Melt-banana - 3+5

J'adore cuisiner. Loin de moi la prétention de me hisser au rang des Alain Ducasse et autres Auguste Gusteau, tant s'en faut ; à minima apprécié-je la bonne chère au point de voir un trigger warning à la simple évocation d'une recette de banane fondue. Alors quand un groupe pousse la provoc à préférer la choisir comme nom de scène (parti-pris de traduction tout à fait arbitraire et assumé de ma part) à celle des bananes flambées, des caramélisées ou même du banana split, tu peux légitimement t'attendre à quelque chose de pas banane – banal pardon ; réflexe. Et les Nippons de Melt-Banana officient justement depuis maintenant 32 ans dans un noise rock bien relevé, caustique et impulsif ; un combo que rien de moins que l'Obscene Extreme Fest se fait une joie de convoquer lorsque s'en présente l'occasion, c'est peu dire.

Melt-Banana peut en effet se targuer d’une identité assez unique en son genre, au-delà de la simple aberration musicale que constitue sa musique si particulière. Au service d’un medley d’influences aussi diverses que tout ce que le Japon peut offrir en termes de contre-cultures, leur exécution hyperactive et sans complexe formalise un noise-rock sacrifiant l’agressivité pure et dure à la jouissance de tous les instants. Les sonorités électroniques aussi bien artificielles que délivrées par la guitare sans pareil d’Ichiro Agata rythment 3+5, leur premier album studio en 11 ans, d’autant de glitchs que de fuzz criards, bien davantage que n’y parvient la batterie (entièrement samplée par ordinateur, soit dit en passant).

« Puzzle » ou « Hex » impriment par conséquent au skeud un tempo vertigineux, dans sa rapidité comme la profondeur quasi-cyberpunk se dégageant de cet amalgame de distorsions surnaturelles. Qu’étançonne d’autant mieux le chant étourdissant de Yasuko Onuki dans ses inflexions suraigües de sidekick féminin de shōnen, tout particulièrement dans son mixage savamment accolé à l’arythmie environnante (« Code », « Flipside »). Tout comme un ancrage instrumental parfois soucieux quand même de maintenir ses fondations résolument metallisées, à l’appui du riff punkisant en ouverture de « Scar », voire des blasts grindesques parcourant « Case D ».

Bordélique ? Certes, 3+5 l’est ; de la part de Melt-Banana on se serait plutôt révolté du contraire. C'est précisément à cet égard que se manifeste le génie structurel du duo nippon, vis-à-vis de la prodigieuse cohérence parcourant un album aussi erratique, à la tracklist aussi déstructurée. On navigue justement en plein bordel organisé, linéaire dans son infatigable degré de dislocation, dont chaque morceau se voit pourvu de la petite excentricité nécessaire à sa propre identité (nappage atmosphérique aérien en appui du tempo épileptique de « Seeds », impression de partition synthétique éthérée sur « Stopgap »…). Une véritable boîte de Pandore pour les amateurs de musique extrêmentale.

Tel un bambin de 6 mois érigeant des volcans dans sa purée à grands « Kapoué ! » braillés à tue-tête, Melt-Banana se complaît d’album en album dans un noise rock ludique et burlesque. Certes, sculpter un château dans de la banane fondue relève d’une gageure bien moins évidente pour un résultat infiniment plus informe, mais on ne peut que leur en témoigner une admiration à la mesure de la fierté crispée que l’on se doit de manifester envers ladite insupportable progéniture.

Aldorus Berthier

le 12/11/2024