Pain - I Am

Après un brusque accès de fièvre du samedi soir qui, aux alentours du début 2005, m’avait poussé dans les bras de Pain, alors que celui-ci sortait Dancing with the Dead, j’ai arrêté net de me dandiner sur le froid dancefloor de Peter Tägtgren. Pas tant par lassitude que du fait que, à l’époque, la consommation de musique n’avait rien à voir avec celle de la génération Spotify : il fallait être plein aux as pour écouter tout ce qui sortait. Ou fils/fille de disquaire. Et je n’étais ni l'un ni l'autre.

De l’eau et du gros son ont coulé sous les ponts et dans les salons (c’est selon) depuis. Arrive 2024, et avec lui la neuvième offrande de l’encore fringant Suédois. C’est l’occasion qui fait le larron, et permet de raccrocher mon wagon au train de ce daron qui ne veut décidément pas devenir un crouton. Et vous savez quoi ? Le gugus est resté bloqué dans une faille temporelle. Sans doute fête-t-il quotidiennement le jour de la marmotte avec Bill Murray. Ou alors peut-être est-ce lui qui a fini par avoir la tête de Connor MacLeod… Quoi qu’il en soit, en appuyant sur >Play, on se retrouve immédiatement plongé dans la même boîte de nuit alternative, au milieu des mêmes mélodies et beats synthétiques qu’il y a maintenant bientôt 20 ans. Le mimétisme est tel que, lorsque « Don’t Wake The Dead » s’est invité entre mes oreilles, j’ai vérifié rapidement s’il ne s’agissait pas d’une remise au goût du jour de « Dancing With The Dead ». Non, en fait non… N’empêche : le morceau est venu toquer sur exactement la même porte de la grande bibliothèque de mes vieux souvenirs trop longtemps archivés.

Mais ne jouons pas trop vite la petite musique du C’est-tout-comme-avant-c’est-du-rabâché-c’est-abusé. Car l’on peut aussi positiver la chose en disant que Pain a su développer sa propre identité musicale, à cheval entre mélodies move-your-booty-rétro-flashy-catchy et guitares froidement joufflues, la voix du Monsieur et ses tics de composition l’ayant positionné dans une case bien à part. D’où, logiquement, une sensation de déjà vu quand on vient y retremper les orteils le lendemain, ou après plusieurs années. Bref : on ne peut pas vraiment lui reprocher. Il y a d’autres points, en revanche, qui expliquent pourquoi on n’a pas goûté l’aventure autant qu’on aurait aimé. On va y revenir.

Mais avant le Yang « Je boude », causons du Yin « C’est good ». Car une petite moitié de I Am pourrait avoir été sponsorisée par Red Bull. Parce que pour foutre la patate et donner envie d’appuyer sur le champignon, ce neuvième album propose de belles munitions. Dès la claque « I Just Stopped By », qui nous tanne le cuir à grands coups de beats Teutonic Tanz Fiezta, et nous force à transpirer jusqu’au bout de la night – du moins pendant 3 minutes 52… Yeeees, ça c’est le Peterounet qu’on aime !! Moins à fond, « Go With The Flow » est pourtant lui aussi l’un de ces tubes incontournables qui donne l’impression que, munie de grosses guitares et d’une grosse prod, la version allemande de « Partenaire Particulier » (… admettons que celle-ci existe) aurait eu une putain de gueule !

--- Permettez-moi d'ouvrir ici une parenthèse. Vous avez remarqué ? « Teutonic » par-ci, « allemande » par-là : l’Electro Metal de Pain fait plus que jamais preuve d’une relative martialité. Ajoutez à cela la simplicité de la structure des morceaux, et un calibrage si contraignant qu’il découle sur une certaine prévisibilité… Et vous éprouvez rapidement la sensation que I Am a été forgé dans l’un de ces studios sidérurgiques d’outre-Rhin… Le syndrome Lindemann (projet de Peter et Till – Mr Rammstein), peut-être ? Mais reprenons à présent le cours normal de la section « Yin - C’est good ». ---

Stimulus Electro trépidant, absence de flonflons inutiles (… ou presque), gratte charbonneuse, refrain-slogan scandé et saupoudré de « Suck My Balls ! » impératifs : « Not For Sale » atteint son objectif, pile-poil entre les yeux. S’il est moins définitif, le Tanz Metal grésillant de « Push the Pusher » mérite lui aussi le tampon «Taurine inside », tout comme « Revolution », qui n’est certes pas révolutionnaire, mais montre suffisamment les crocs pour qu’on accepte de jouer dans son équipe.

Là. Un format court constitué de ces cinq seuls titres eut été un chouette EP Yin.

Oui mais non. Car « Peter n’en fait qu’à sa tête » (c’est ce qu’on peut lire en ligne, en cherchant bien). Il en fait d’autant plus à sa tête que celle-ci semble tournée dans la même direction que le « grand public » : ladite caboche a en effet soif d’arrangements violoneux, de bonnes grosses mélodies sans aspérité, et de ces beaux élans sentimentaux qui, soyons-en sûrs, sauront convaincre radios, directeurs financ…, euh, artistiques, ainsi que Kelly, ma cousine, qui a fait son premier Hellfest, là, tout récemment, parce qu’elle aime bien Evanescence, elle qu'elle en a récemment ajouté quelques morceaux à sa playlist Rock/Pop/Alternatif. Ainsi « Don’t Wake The Dead » est-il terriblement lisse et téléphoné, tout comme le fadasse « Party in my Head » (… m’étonne pas que ce truc ait cartonné, tiens). Quant à « My Angel », quelle horreur ! Mais pourquoi ce duo avec Zazie ?? Comment ? Cécile Siméone ? Mouarf… quelle différence ? C’est atroce ! Michel Drucker adorerait ! Et alors qu’on pensait ne plus rien avoir à vomir, Bam : « Fair Game », un point final plein de gelée qu’il est bien pour faire un câlin à son doudou en agitant son briquet devant la scène…

Mais qu’est-ce qui te prend Peter ? Tu t’es dit :

« Merde, j’ai 54 ans : il est temps ou jamais que je gagne de la thune comme les mecs de Rammstein. Après tout je ne suis pas moins bon qu’eux, bordel ! Et puis qu’est-ce que ça veut dire, au fond, « respectabilité » ? C’est pas juste une question de point de vue, tout ça, en fait ? »

.. hein, c’est ça, dis ?

Allez, on ne peut pas t’en vouloir. Car ça va sans doute marcher. Et c’est toujours mieux que la majorité de la soupe qu’on entend sur les ondes. À la limite on aurait préféré que tu n’aies pas pondu cette poignée de titres bien sexy, tiens : on aurait eu moins de regrets. Ou mieux : tu ne voudrais pas recycler toutes tes idées typées « Eurovision Hits » au sein d'un nouveau groupe, voire un nouveau boys band – tiens, Eagles of Dance Metal, le nom c’est cadeau – afin de vraiment pouvoir t’y concentrer sur le sucre et les pépettes, et réserver le gros son qui sent bon pour Pain, et nous éviter ainsi les boutons ?

Merci de bien vouloir envisager cette éventualité, Peter.

Avec toutes mes plus respectueuses salutations,

Cglaume

La chronique, version courte : I Am Peter Tägtgren, 54 ans, touche-à-tout génial pouvant tout aussi bien souffler le Death Metal le plus brûlant que faire tourner les serviettes sur les dancefloors de l’Eurovision et des Rammstein party.  I Am, donc, est mon 9^e album. Il contient 4-5 lampées de Red Bull Electro Metal qui bute, ainsi que de trop nombreuses gouttes sirupeuses de Dance Metal téléphoné, qui plairont sans doute au plus grand nombre... Mais vous connaissez comme moi le goût du plus grand nombre, alors ne vous étonnez pas si ça pique un peu !

Cglaume

le 25/07/2024