Prieuré - Magie, ténèbres, amertumes

Magie, ténèbres, amertumes, EP 4-titres, 30 copies cassette très rapidement épuisées et puis … c’est tout !

Pas simple de débusquer des projets Black Metal français de qualité, quand ceux-là tiennent comme ici à demeurer coûte-que-coûte dans le monde interlope – mais finalement rassurant et protecteur – de l’underground. Est-ce le cas de l’artiste breton qui se cache derrière le pseudonyme fort à propos de Sans-Visage. Ce dernier a même fait le choix de créer son propre label Vetus Capra, tout « tiny », centré autour de ses créations (Vipère, Vieille Chèvre justement), ainsi que de celles de ses proches coreligionnaires (Feuille Morte).

Avec Prieuré, Sans-Visage déploie ses différents méfaits depuis deux ans maintenant, depuis la sortie en catimini de sa demo La foi des bourreaux en juin 2021. Son talent jaillit déjà avec un morceau tel que "La sombre beauté des âmes perturbées", brillamment achevé à la guitare sèche, avant que son (très) Raw Black Metal ricoche moins de six mois après sur un EP 5-titres Nos prières. À l’image de "Sacrifiés", la prod’ punkisante de fonds de garage, parfois bien crasseuse, est mis au service d’une musique fielleuse !

Muet en 2022, Sans-Visage nous revient cette année, une année marquée pour Prieuré du sceau de la prolificité, avec – outre l’EP sous revue – deux splits, le premier avec Peurbleue (on y retrouve Sakrifiss au chant), le second avec Vermineux (le projet solo de Bret "Spectre" Tardiff, le gratteux et chanteur de Minenwerfer) … Deux collab’ qui claquent ! Le son de Prieuré y gagne en complexité ("Sang"), en dépit d’un mixage volontairement bien râpeux ("Le tas").

L’EP Magie, ténèbres, amertumes parait alors être comme le marche-pied idéal du long-format Le Départ qui vient tout juste de sortir ! Bonifiée par l’apport de samples soignés (ruissellements pluvieux, grondements orageux) et permettant une discrimination plus facile des lignes instrumentales et vocales, la production évolue assez nettement, sans pour autant lisser la crudité de ce Black Metal qui ne souhaite pas se départir d’une once de sa véhémence mélodique. Il faut sans doute y voir les effets vertueux de la coopération technique, pour le travail de mastering, avec le studio sarladais la Borie de la Combe Noire. Joli télescopage des talents armoricains et périgourdins !

Dès le premier titre éponyme, on est saisi sur le vif par cette froideur, qui éclate autant de la profonde dissonance du riffing, du caractère entêtant des mélodies accrocheuses et acrimonieuses, que de l’hostilité assumée du chant ("L’escalier"). La voix féminine de la « Dame d’Alsace » – déjà présente sur la demo – vient par instant en adoucir les traits ("L’autre vie"). Par ailleurs, ce Prieuré ne perd pas l’occasion de nous agresser les conduits, quand il le peut, comme au mitan de "La pluie". Si je devais synthétiser en quelques mots mes impressions à l’écoute de ce Magie, ténèbres, amertumes, je dirais qu’il s‘agit là en fait de la bande-son idéale d’une obscure cérémonie où deux époux maudits, au crépuscule d’un jour venteux et pluvieux, auraient réuni dans les ruines splendides d’un ancien édifice religieux leurs invités, tous vêtus de noir, un noir dont se serait même parée la mariée. Le tout, le temps d’un bref, mais intense moment…

Seisachtheion

le 03/11/2023