Puscifer - Existential Reckoning

Chronique CD album (1h)

chronique Puscifer - Existential Reckoning

Ce n’est pas un hasard si le 4e album de Puscifer sort à la fin d’une année tristement historique à bien des égards. 2020 restera dans les mémoires comme un sombre et funeste millésime marqué essentiellement par une pandémie mondiale frappant l’humanité tout entière, dans moult compartiments de ce qui la constitue, notamment dans le domaine de la culture. Eté 2019, après 13 longues années d’absence, l’un des 5 plus grands groupes de toute l’histoire du metal, Tool, sort un joyau qui n’a pas encore fini de livrer ses richesses : « Fear inoculum ». Devait naturellement suivre une tournée mondiale, avortée par la crise sanitaire. Qu’à cela ne tienne. Maynard James Keenan, le leader charismatique du quatuor génial, est engagé dans d’autres projets tout aussi passionnants. On connaît A Perfect Circle, la version pop de Tool, pour user d’un raccourci réducteur, mais on connaît moins Puscifer, cet autre terrain de jeu pour l’esprit torturé du chanteur. Puscifer, c’est ce qui s’éloigne le plus de l’univers de Tool. MJK y développe un côté théâtral à la limite de la schizophrénie qui sort du cadre de la musique elle-même. Puscifer, plus qu’un groupe, c’est un concept. Habité par un humour cultivant le second degré sans vulgarité mais avec une classe folle. Un champ d’expérimentations narratives et musicales, qui s’affranchit des étiquettes, bouscule les frontières. Si sa composante principale reste rock, sa musique s’autorise des bons dans le temps et l’espace, allant puiser ses références dans les sonorités electro des 80’s, et n’hésitant pas à tutoyer l’infini et l’éternité en portant son regard vers le futur et l’inconnu, avec une liberté déconcertante. De fait, elle se gorge de mille et une richesses qu’il faudra dénicher en creusant son apparente simplicité.


« Existential reckoning » ne débarque donc pas dans les bacs par hasard. Cet opus bénéficie du coup de frein subi par Tool, mais au-delà de ces contingences matérielles, sa genèse et son avènement résonnent comme jamais avec notre époque. Au-delà du récit fantasque qu’il propose, autour d’enlèvements par des aliens, son contenu se traduit par un regard désabusé porté sur l’année écoulée en particulier et sur notre époque en général. De cet album se dégage un sentiment global de mélancolie légère maîtrisée avec l’élégance du cynisme. Un peu comme si, alors que la terre tremble autour de vous, s’ouvre et engloutit toute chose dans sa colère punitive, vous vous installiez au dernier étage d’un gratte-ciel sur le point de s’écrouler, parce que la vue y est magnifique, devant un piano, et que vous vous lanciez dans un ultime numéro de crooner, la clope au bec . Il faut noter avec quelle désinvolture sont entonnés les « shut the fuck up » de « Fake affront ». Nulle colère, puisqu’il s’avère vain d’épuiser son énergie en de pathétiques plaintes, mais une indignation d’une tristesse pleine de classe, libérée de tout espoir. Le rythme entraînant du titre, bondissant sur ses beats sonnant comme autant de battements cardiaques vous rappelant que vous êtes encore en vie, et appuyé par ses riffs de guitare frais comme une brise de fin d’été, élève l’ensemble vers de hautes sphères de résilience. Il faut noter avec quelle froid mécanisme les paroles de « Apocalyptical » défilent (« be damned, dumb, be damned, dumb, … they won’t believe you until it’s far too late »), sur une musique robotique, sans affect, comme la fatalité. Comme une blague dérisoire racontée sans sourciller.


Le génie de cet album réside dans sa capacité à faire surgir moult sentiments contradictoires à partir d’une trame en apparence simple. Mais en réalité d’une richesse folle, non seulement fournie par la subtilité des arrangements, mais surtout par la puissance des 2 voix, masculine et féminine, qui se relaient, s’entrechoquent, se chevauchent, se complètent, se marient tour à tour. A la 1e écoute, on bute sur son austérité, sa sobriété, sa frigidité. Mais très vite, on se laisse capter et embarquer par les mélodies envoûtantes. Les voix de MJK, mais aussi de Carina Round, représentent la colonne vertébrale, la clé de voûte de toutes les compositions. Tour à tour robotiques (la fin de « Upgrade », comme l’annonce d’une longue liste de mises à jour énoncée par une intelligence artificielle, tourne à l’hypnose), aériennes, habitées, goguenardes puis impérieuses et péremptoires, d’un titre à l’autre, et bien plus souvent, au sein d’un même titre. Elles plongent dans l’inconfort, mais dans la même dynamique, elles caressent l’auditeur avec une certaine sensualité en l’invitant à entamer un pas de danse dénué de tout complexe. On se trouve à des années lumières des polyrythmies de Tool, on navigue plutôt dans des structures et des tempos binaires, avec des riffs de guitares discrets et un apparent minimalisme de l’ensemble qui oscille entre le malaise et la respiration salutaire, que survolent et dominent les lignes de chant d’une élégance majestueuse. Si « Existential reckoning » se rit de l’absurdité de notre condition humaine, c’est sans méchanceté ni condescendance, mais avec une certaine dérision d’une intelligence rare. Dès l’ouverture, « Bread and circus » nous ouvre la voie. En douceur, l’album nous propose du pain et des jeux, de la poudre aux yeux et sans crier gare nous prend discrètement la main pour y déposer la puissance de ses mille et un souffles. A la fin de « Bread and circus », notre âme s’est déjà enrichie sans s’en rendre compte. Le voyage peut réellement commencer. Dès lors, chaque titre s’apparente à un plat dans un grand restaurant : nom complexe, ingrédients finement choisis et associés, présentation sobre mais sophistiquée, et des promesses tenues d’explosions de papilles à chaque bouchée, dans une orgie de saveurs mêlées. Tout comme un met d’exception, la musique de « Existential reckoning » se mérite. Vous pouvez expédier l’affaire, ou alors en explorer chaque recoin, dont certains resteront longtemps rétifs avant de se livrer. Prenez « Bullet train to Iowa », parfait exemple des atmosphères, au pluriel, de l’opus. Intro hypnotique, lignes de chant posées avec la précision d’un orfèvre, jusque chaque respiration, chaque souffle, chaque écho, guitare tapie dans l’ombre avant, dans sa seconde partie, de glisser des vagues rafraichissantes mais froides, presque élégiaques. La beauté du désespoir.


Adonc, c’est avec cette élégance du cynisme, à la fois sensuel et repoussant, que « Existential Reckoning » livre sa vision résignée du monde, pour se hisser parmi les albums les plus importants de 2020 et sans doute le meilleur à ce jour de Puscifer. Derrière la désinvolture sophistiquée de l’ensemble, c’est un objet unique qui se cache dans toute sa complexité. A ce titre, le titre de clôture, où la voix de MJK se montre par moments presque gothique en fouillant dans les graves, résume bien l’incroyable voyage que vous venez d’entreprendre en compagnie de ces saltimbanques ni dépressifs ni moqueurs qui dansent en veston sans transpirer : chaque sensation s’accompagne presque systématiquement de son pendant négatif. Quand la chanson s’éteint sur cette litanie répétée à l’envi, « It’s gonna be alright », on n’y croit évidemment pas. La ligne de chant ne tente même pas de nous convaincre.

 

photo de Moland Fengkov
le 02/11/2020

3 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 02/11/2020 à 11:53:06

Pfiou il va me falloir du temps pour le cernier celui-là !

Moland Fengkov

Moland Fengkov le 02/11/2020 à 14:24:36

Oui,  il paraît austère, voire simpliste, au prime  abord,  mais  comme  dans  la  plupart des projets  impliquant  MJK,  il faut persévérer  si on  veut  espérer  passer la barrière  et  accéder aux richesses tapies derrière. 

Nicoscope

Nicoscope le 02/11/2020 à 22:18:54

A la première écoute, le titre en lien ci-dessus me paraît bien plus intéressant que l'intégralité dernier album de Tool. Vu mon absence d’intérêt pour Puscifer jusqu'à aujourd’hui, j'en suis le premier surpris. Et c'est sûrement ça qui fait défaut au dernier Tool : la surprise (ainsi qu'une bonne dose de viscéralité).

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