Sanguisugabogg - Tortured Whole

Chronique CD album (33:00)

chronique Sanguisugabogg - Tortured Whole

Mère me dissuadait toujours de m’asseoir à côté de notre cousin Rudi lors des repas de famille dominicaux chez mes grands-parents. Il était affligé d’une laideur fascinante qu’il cultivait avec un soin confinant à la perversion. Son regard bovin rougi par une pratique régulière de la fumette - “il manque de sommeil” disait naïvement sa mère - ne se distinguait qu’à peine entre les adiposités de son visage constellé d’une acné sévère qu’encadrait une masse informe et huileuse de cheveux. On ne perdait de toute façon pas grand chose, il ne daignait que rarement lever les yeux en direction de l’assistance attablée avec lui, trop absorbé à lire des exemplaires du Nouveau Détective dont il tournait les pages de son pouce luisant de la graisse du poulet dominical. Il avait par ailleurs une conception de l’hygiène tout à fait contestable, une odeur persistante de tabac froid et de sueur mêlés semblant ne jamais vouloir le quitter. Il était l’exemple même d’une déchéance précoce dont mes chers parents voulaient à tout prix m’éloigner, ils payaient déjà suffisamment cher ma scolarité au collège Saint-Stanislas. 

 

“Il ne sera bon qu’à travailler dans un abattoir” disait souvent grand-père que la saleté et la bêtise revendiquées de Rudi scandalisaient. Il ignorait qu’il lui faisait un compliment. Au grand dam de maman, il exerçait un pouvoir de fascination inexplicable sur le jeune imbécile que j’étais. Au moins, il ne fallait pas l’écouter religieusement jouer du piano après le déjeuner comme cette chieuse de Sixtine avec son serre-tête à carreaux Vichy. Non, Rudi mangeait bruyamment avec les doigts au mépris des convenances et des règles de savoir-vivre édictées par nos grands-parents, s’essuyait mesquinement les doigts sur la nappe et  nous racontait en aparté les histoires les plus sordides qu’il avait lues dans ses revues, ce qui nous changeait des récits enthousiastes d’Anselme lorsqu’il revenait d’un week-end parmi les scouts d’Europe. Rudi n’avait pas envie de bien se comporter en société et de faire semblant de se conformer à la bonne éducation que notre famille exigeait de lui, il était, à sa manière, libre et nous le jalousions secrètement pour cela. 

 

Sanguisugabogg, comme mon cousin Rudi, est le rejeton un peu honteux du death metal, celui dont on n’est pas forcément fier mais que l’on a toujours secrètement hâte de retrouver. C’est le death metal lourd, gras, infect et bas du front que j’ai découvert lorsque, lycéen au début des années 2000, j’empruntais le sampler de Relapse Records 1999 à la médiathèque du coin et découvrais tout autant fasciné qu’atterré mes premiers morceaux de Mortician ou Regurgitate. C’est le death metal aux pochettes gores et aux titres de chanson atroces dont je n’assumais pas vraiment l’écoute de peur de passer pour un être primitif et dérangé et de repousser plus encore la date de mon déniaisage. C’est au brutal death et slam death au son de guitare sous accordé et compressé, aux vocaux gutturaux et au jusqu’au-boutisme crétin que rend hommage Sanguisugabogg en utilisant volontairement un son de caisse claire qui sonne comme une casserole en fin de vie ou en vomissant des titres aussi débiles que "Dragged by a truck", "Dick filet" ou "Urinary Ichor". Toute nostalgie mise à part, dans un créneau musical aussi restreint, Sanguisugabogg se distingue par un peu plus de subtilité, un sens du groove aussi sournois qu’efficace et un second degré outrancier. Plus musical que Mortician (en même temps c’est pas dur), moins rébarbatif qu’un Devourment, ce Tortured Whole est le disque parfait pour revendiquer votre droit inaliénable et inaltérable au mauvais goût musical et à la débilité sur vos étagères.

photo de Marc
le 14/03/2022

5 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 14/03/2022 à 10:12:37

Haha, chouette chronique ! :)

sepulturastaman

sepulturastaman le 14/03/2022 à 10:18:26

Putain ça m'donne envie de poulet rôti et purée de pomme de terre au jus de poulet rôti.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 14/03/2022 à 11:36:01

Excellente chro ! On dirait Les lettres de Mon Gourdin !!!

kurg

kurg le 24/01/2023 à 17:41:28

quel est le nom de l'artiste qui a fait l'artwork de la pochette svp ?

Pingouins

Pingouins le 24/01/2023 à 18:15:07

Selon Discogs, il s'agit de Joseph Heuermann (Nightmare Imagery).

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