['selvə] - eléo

Chronique CD album (32:13)

chronique ['selvə] - eléo

Alors qu'ils avaient proposé leur premier opus lajf həbɪtʃuəl deux ans plus tôt, les Italiens de ['selvə] (à prononcer Selva, si vous n'êtes pas familier-e-s avec l'écriture phonétique) reviennent en 2016 avec cet eléo, second long format qui, selon moi, constitue la pièce maîtresse de leur discographie.

 

Groupe plutôt confidentiel, ce disque est néanmoins pour moi une petite pépite, que j'installerais volontiers dans un triangle stylistique entre des zones du postcore dystopique de LLNN, l'emoviolence multidirectionnelle d'Heaven In Her Arms et le post-black tout aussi polycéphale de Glassing. Intrigant, n'est-ce donc ? Pour donner une idée de mon attachement à cet album, il s'agit de l'un de ceux desquels j'avais envie de parler au moment où j'ai rejoint la fine équipe du webzine sur lequel vous zonez actuellement, l'été dernier. Et puis les menaces, la corruption, les barbecues, tout ça a fait perdre du temps et remis cette chronique à plus tard, jusqu'à maintenant. Bref.

 

Là où lajf həbɪtʃuəl exploitait l'articulation du screamo au post-black metal de façon assez convaincante, sans toutefois être stratosphérique, eléo n'en reprend que les aspects les plus sombres et agressifs, pour un ensemble beaucoup plus dense et intense que ne l'était leur musique dans un passé pas si lointain. De plus, cette impression est accentuée par le fait que l'album ait été enregistré en live en studio, notamment du fait d'un travail de mixage et de post-prod excellent.

 

Masterisé par Jack Shirley, ce qui n'est pas un hasard au vu de la musique pratiquée par le trio de Lodi (la petite ville dont le groupe vient), l'album ne compte que quatre titres. Ce qui peut paraître court sur le papier, certes, mais si l'on prend en compte le fait que celui qui s'étend le moins vient déjà taper la barre des six minutes, le plus long dépassant les 11, on arrive à un produit final à la durée tout à fait respectable.

 

La pochette, pour sa part, frappe d'entrée de par son aspect d'une certaine forme de 'romantisme contemporain' (et là, normalement, celles et ceux qui s'y connaissent en histoire de l'art devraient vouloir ma mort je pense, à raison), cette composition mettant en scène la danseuse Giada Vailati, avec son côté spectral mais classieux, à la fois précis et figuratif, qui pousse à la réflexion. Et qui je trouve colle bien avec le contenu de la musique ainsi qu'avec les titres des morceaux, assez sybillins bien que le groupe aie cette fois décidé de laisser de côté l'écriture phonétique pour revenir à une lisibilité plus classique.

 

Une fois faites ces présentations d'usage, puisqu'il n'y a que quatre titres, on peut se risquer à une approche plus ou moins step-by-step :

 

Le premier morceau, « soire », est l'incarnation dès les premières secondes de ce qui nous attend sur eléo : « bbrlaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhh » est le seul message de bienvenue que nous adresse le chanteur, déjà noyé dans la saturation des cordes et des fûts. Un vrai mur de son pour débuter ce LP, au milieu duquel se distingue petit à petit une ligne de guitare au milieu de la distorsion, mais la tension ne redescend pas un instant. Après un ralentissement vient enfin une accalmie, faite d'accords de guitare esseulée qui viennent se perdre dans le vide (et là on retrouve du Glassing dans l'esprit, bien que cet album de ['selvə] soit antérieur à la musique des Texans) avant que ne réapparaissent les autres instruments, toujours tendus, pour une fin de morceau qui va s'échapper dans un paradoxe plus ou moins aérien qui plongerait dans les entrailles de la Terre, dans une ambiance d'effondrement. Le chant, sur cette piste comme sur les suivantes, est totalement arraché, inutile de chercher à comprendre le moindre mot, ce n'est qu'une ligne de saturation en plus, mais que l'on sait venir d'un être humain, ce qui est donc vecteur d'une émotion forte et cathartique dans les morceaux.

 

« alma », en seconde position et plus long morceau des quatre, commence sur un tempo radicalement différent, plus lent, mais toujours dans une ambiance brumeuse, saturée de son. On est en zone peut-être plus sludgy/postcorisante, pas très loin de ce qu'à fait LLNN récemment sur Unmaker dans l'ambiance. Puis ce sont des paysages en accéléré, plus proches de Deafheaven, avec ces couleurs que ce groupe a apporté dans le domaine du post-black. Après un tout petit break épuré à la guitare, l'assaut ultra frontal reprend sur des riffs brisés plutôt héritiers d'une forme de l'emoviolence/screamo à partir de la mi morceau, sur un fond de batterie punk-hardcore. Le final est marqué par l'apport du violon de Nicola Manzan de Bologna Violenta, alors que la musique semble devenir une sorte de bande sonore d'une série sur l'équitation au dix-huitième siècle (c'est l'image la plus proche que j'ai pu trouver de ce que m'inspirait ce passage, désolé!). La saturation remonte petit à petit, et l'on comprend alors la partie précédente comme interlude de respiration, avant qu'un dernier riff tout en montée vienne parachever le tout.

 

Si « indaco » reprend les hostilités d'entrée sur le modèle de « soire », avant qu'un break entre postcore et screamo se pointe, le dernier titre « nostàlgia » nous propulse dans un univers beaucoup plus black atmosphérique, avec des ambiances très réussies entre ses tremolos évolutifs, sa rythmique lente et sa basse bien présente. C'est d'ailleurs presque l'endroit du disque où l'on fait le plus de distinction entre toutes les lignes instrumentales, ou le mur se fracture pour en laisser discerner les composantes, et mis en bout d'album comme ça, c'est du plus bel effet. La voix, elle, est très peu présente : à peine une courte apparition, pour finir sur ce morceau quasi-instrumental de grande qualité.

 

Bref, vous l'aurez compris, j'aime ce disque. J'espère que vous l'aimerez aussi. Et puis c'est à prix libre. Et le groupe existe toujours, a quelques autres EP en ligne pour celles et ceux que ça intéresse. J'aimerais vraiment pouvoir les voir en live, où leur musique doit se magnifier, englober les sens et plonger dans un bouillon vibrionnant d'ondes sonores. En attendant, restons-en là, et à vous de voir si vous vous synchroniserez aux fréquences vibratoires de ['selvə].

 

A écouter pour quitter un instant le monde physique classique et aller découvrir si la dualité onde-corpuscule peut s'appliquer aux vibrations musicales.

photo de Pingouins
le 09/03/2022

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