Shame - Food for Worms

Chronique CD album (43:01)

chronique Shame - Food for Worms

« T’as quoi comme concert de prévu dans les prochains jours ?

- Je vais glisser à l’AB voir Shame. Ça va être la première fois, j’ai encore jamais eu l’occas’ de les voir. Et puis, j’adore leur premier album et le groupe a l’air d’être une tuerie en live.

- Je te le confirme. D’ailleurs, t’as eu le temps d’écouter le petit dernier ?

- Juste une oreille discrète parce que manque de temps, mais je ne sais pas trop quoi en penser »

 

Cette conversion volée un soir d’atmosphère bleutée bruxelloise résume en quelques mots les sentiments mitigés ressentis à la première écoute de Food for Worms, troisième album de Shame. Une brève écoute qui n’en suscita gère d’autres, si bien que je dégringolais au concert du 5 avril dans une relative méconnaissance des dernières compositions. Évidemment, ce qui devait arriver arriva : la folie furieuse des Londoniens m’aspira dans une spirale d’énergie punk dévastatrice qui fit migrer mon estomac en direction de mes chevilles ; et c’est terrassé par la prestation que je m’empressai de filer au merch’ histoire d’y claquer mon maigre pécule d’intérimaire pour le LP. Durant tout le trajet jusque chez moi, je ne pu décrocher mes yeux de cette cover au pouvoir d’attraction phénoménal. En même temps : l’adrénaline, la nuit, Bruxelles, les trams, l’odeur âcre du gus fermenté assis près de moi, la fatigue. Voilà, voilà.

 

La réussite de Songs of Praise en 2018 avait établi les londoniens parmi les sensations post-punk du moment aux côtés des Idles, et l’attente générée fut globalement confirmée par le succès de Drunk Tank Pink en 2021 ; une suite qui subissait cependant la comparaison avec son prédécesseur, et ce malgré une influence lorgnant par moment du côté des Talking Heads – preuve que Shame était conscient de la nécessité de s’aventurer vers des contrées sonores singulières. Par conséquent, la sortie de Food for Worms s’accompagnait d’une profonde interrogation sur la direction musicale de cette troisième livrée et – plus sérieusement – sur les velléités artistiques à long terme de Shame. Finalement, cette inquiétude fut rapidement annihilée par les écoutes successives de l’album en question les potards réglés à 10 dans le salon – et ayant déjà été en partie rassurée par la prestation live dont je venais juste de m’évader.

 

Au fur et à mesure que je retournais les faces A et B, j’ai pu mettre le doigts sur la raison pour laquelle cette première écoute évasive ne m’avait pas happé : Food for Worms souffre – aux premières écoutes – d’une intensité inégale, où les titres abrasifs en côtoient d’autres au rythme nettement moins soutenu. Cette impression est fortement ressentie sur la première face qui nous introduit par le génial « Fingers of Steel » et qui enchaîne sans crier garde par le virulent « Six-Pack » – abreuvé à la wah-wah. Alors que ce dernier vient de nous faire passer la cinquième, on se retrouve désemparé à débrayer d’urgence avec un « Yankee » dont les premières notes t’obligent à négocier un virage sec en deuxième pour ne pas t’expulser hors de la chaussée. Ce troisième morceau illustre explicitement ce qui a néanmoins pu être entraperçu subtilement plus tôt : Food for Worms sera le terrain de jeu artistique bordélique et foutraque de Shame.

 

En effet, il est impressionnant de constater que les structures des morceaux implosent sous l’impulsion créatrice des cinq londoniens, et désemparent aisément à la première écoute pour progressivement se révéler au fur et à mesure du temps. Ce ressenti est davantage accentué par un track listing qui s’amuse à désemparer l’auditeur·rice par de brusques changements de rythme et d’ambiance imprévus : que ce soit l’enchaînement précédemment évoqué ou encore celui de « Burning by Design » / « Different Person » – dont ce dernier illustre magnifiquement la palette technique impressionnante de Josh Finerty et Charlie Forbes. Néanmoins, ces altérations sont aisément visibles à l’intérieur même des différents titres dont les structures se déconstruisent dans une liberté créatrice radicale et intransigeante : des chansons comme « Yankee », « Allibis » et « The Fall of Paul » témoignent de la richesse avec laquelle Shame jongle habilement entre moment d’apaisement et frénésie punk.

 

Néanmoins, Shame conserve ce son hérité du post-punk de The Fall et de la Britpop made in Oasis, tout en abandonnant les influences de Talking Heads qui jaillissaient de leur précédent effort. A la place, on se surprend à ressentir l’ombre d’un Lou Reed planer sur le splendide « Orchid », qui offre au chant exceptionnel de Charlie Steen une partition tout en tendresse et finesse ; Food for Worms propose ainsi plusieurs titres qui dévoilent encore une fois la puissance émotionnelle du chanteur, comme en attestent le final aux effluves folk « All The People », l’intense « Burning By Design » et le délicat « Adderall » à l’ambiance aussi planante que le produit dont il discute.

 

Finalement, Food for Worms est un album bourré à ras-bord d’idées musicales impromptues et d’altérations aussi brusques que soudaines, témoignant ainsi du désir de Shame d’explorer et d’expérimenter – et tant pis si ce virage t’oblige à t’asseoir dans ton fauteuil pour en apprécier toutes les subtilités. Quelques fois, il est bon de laisser le mobilier en place, et de simplement s’installer et contempler cette pochette lunaire aux éclats mélancoliques inquiétants.

photo de Arrache coeur
le 09/10/2023

2 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 09/10/2023 à 07:35:51

Oui, celui-ci est nettement moins percutant que le précédent en effet, il est plus difficile d'accès.
Je préfère tout de même largement "Drunk Tank Pink" mais ça reste un bon disque !

Arrache coeur

Arrache coeur le 09/10/2023 à 07:47:11

Je comprends tout à fait cet avis, cet album a longtemps joué au yo-yo avec mon ressenti : grosso modo, ça allait de "je m'emmerde" à "Tcheu mais c'est bien foutu ce truc" haha. Dans le fond, ce Food for Worms est vraiment intrigant, et je suis vraiment très curieux d'écouter ce que le groupe proposera par la suite.

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