Theophonos - Nightmare Visions

Alors qu’était annoncée il y a peu de temps la sortie de son premier long-format Nightmare Visions, Jimmy Hamzey, originaire de Détroit, n’était pas tout un fait un inconnu pour moi…  En effet, créant sous le doux surnom de Theophonos, ce ‘Ricain  avait accablé mes esgourdes par son projet Serpent Column, véritable maelstrom expérimental que j’ai eu grand mal à dompter au travers d’une chronique où j’ai abordé frontalement ses deux albums Mirror in Darkness (une merveille) et Kathodos, ainsi que son EP de 2020 Endless Detainment. Sans doute un des textes que j’ai eu le plus de mal à pondre tant je faisais face alors à « un musicien habité de je-ne-sais quelle énergie cathartique et qui est parvenu à retranscrire en musique, avec sa violence créatrice, une vie intérieure triturée, mais riche, tellement riche… »

À première vue, Serpent Column n’est plus… Or, pendant ces « années Serpent Column », Theophonos a justement composé d’autres pistes, strictement distinctes de son projet d’alors et animées de paroles « intensément personnelles ». Il n’ambitionnait pas moins ici que de capturer ses (nos ?) cauchemars et avec ceux-ci ses doutes, ses fragilités, ses paniques, ses pensées les plus souterraines pour mieux les mettre en musique dans un Black Metal expérimental et avant-gardiste, mâtiné de Hardcore ("Lower Types"). Ainsi Theophonos a fait naître un nouveau projet : Theophonos ! Ainsi est né le méfait délicieusement intitulé Nightmare Visions. Pour mieux accompagner ses créations, Jimmy Hamzey a demandé à Hafsteinn Ársælsson (Wormlust, Guðveiki) d’illustrer ses tourments avec plusieurs dessins torturés, à l’image de la bestiasse oppressante qui s’offre à vous durant ces 8 morceaux et cette demi-heure ramassée mais sacrément intense !

Cette plaque, accompagnée par le label Mystískaos (Andavald, Skáphe, Arnault Pavie, Det Eviga Leendet...) et soutenue également par Amor Fati Productions, est une véritable déferlante, qui nous enferme dans une atmosphère irrespirable, une nasse sonore dont il est difficile de sortir indemne. Theophonos part à l’assaut de ses auditeurs avec un parabellum de violence. Les morceaux "Thousand Imaginary Swords" et "Nightmare Visionary", ainsi que l’outro et ses dernières minutes hypnotiques, sont tout particulièrement velus. L’entrelacs né d’une production au top, d'un riffing dantesque (qui a force d’être écouté devient de plus en plus caractéristique du son de cet artiste), de lignes de batterie ravageuses - véritable machine asynchrone -  ainsi que d’un chant fielleux, est un précieux allié pour bâtir cette puissance immersive. On suffoque dans ce labyrinthe ! Aucune voie de sortie ne semble pouvoir se dégager de ce lacis impénétrable. Si… Seul le titre "At Rest in Turbulence" vous octroiera une pause bienvenue !

Captifs de cette musique implacable et sans compromission, élaborée par le démiurge maudit Theophonos, vous sortirez particulièrement groggys et poisseux de l’écoute de cet album. En venir en bout sera d’ailleurs une épreuve inconfortable, formidable – à prendre en considération ici dans son sens premier et étymologique –, une authentique douleur même. Un cauchemar, j’vous dis…

Inutile de scotomiser vos peurs inavouées : Nightmare Visions s’occupe de les mettre au révélateur. Il y a tout à craindre de ce Theophonos : prenez garde en effet qu’il ne vous transforme pas, à force d’y prêter l’oreille, en somniloques tourmentés…

Les illustrations de Hafsteinn Ársælsson

Seisachtheion

le 10/03/2023