Traître Câlin - De La Ruine

Chronique CD album (41:53)

chronique Traître Câlin - De La Ruine

Nous voilà 713 jours après Ex-Voto, premier album de Traître Câlin. Un album qui m'avait bien plu avec son côté hip-hop indus sale, noisy, expérimental et à texte. Un album qui semble, et c’est bien malheureux, être passé un peu sous le radar des médias. Un album qui avait inspiré une chronique dont je retirais quelque fierté mais pour laquelle ma plume s’était orientée vers un style clownesque et cynique alors qu’il est désormais certain que le duo méritait un traitement un peu plus sérieux.

Il va donc falloir user d'une formule plus classique pour tenter de vous convaincre de porter votre intérêt, votre curiosité musicale vers ce mystérieux duo corse qui revient avec De La Ruine car si leur formule acousmatique enrichie en originalité et en bruits musicaux en tout genre reste leur apanage assumé, elle a gagné en puissance sans laisser de côté son aspect conceptuel malaisant. Un conceptuel qui réussit à ne jamais tomber dans le bullshit arty grâce à une interprétation acide, rugueuse autant dans le son que dans les textes.

 

Passées avec succès sous les fourches caudines de la saturation, les instrumentations ont pris de l'ampleur, gagné de la poigne tout en conservant cette espèce de nonchalance harmonique, toujours plus aigrie et jamais plus aigrelette. Les empilements de couches révèlent ainsi un hip-hop industriel falsifié par ces talentueux faussaires dans lequel le bruit est dompté par des filtres trollesques, la mélodie sclérosée par des machines tordues, la voix expectorée dans des micros léprosés. Traître Câlin nous trompe et essaie de nous convaincre qu’ils n’y connaissent rien. Tout semble utilisé à mauvais escient mais sonne divinement : les instruments rythmiques se meuvent en mélodie, les leads assurent l'assise rythmique (et ce saxo zornien dans "Autodafé"). Tel deux facétieux hackers musicaux, Traître Câlin ne fait rien selon les codes, préférant inventer, imposer les siens en donnant l’impression qu’ils leurs échappent. Deux funambules sans filet et même sans fil, deux schizozos qui ne prennent même pas le temps de déconstruire l'existant, ce serait lui donner une considération qu’ils moquent. Deux hypnotiseurs qui nous imposent une méditation musicale en pleine inconscience avec une production riche, puissante et surtout originale.

 

Les textes, à l'instar des instrumentations, ne manquent pas d'originalité et décrassent la langue de Molière à coup de brosse émeri et en ravivent les mots à grande rasade d'ammoniaque, un nettoyage littéraire industriel en mauvaise et indue forme. La plume est acerbe dans sa grâce crasse, malingre dans sa beauté cloquée. Plus qu'un simple examen, cette plume, il faut la disséquer, la traduire, l’interpréter et en comprendre les entrailles car c'est de là qu'elle vient, assurément. Aucune facilité linguistique, aucun pis-aller stylistique pour cette illittérature fine, maline et assassine. Il y aurait tant à dire : "A La Fin Du 0" et son improbable code cabalistique caché, le CV mortuaire d’"Avide D'épave", la prose théâtrale logorrhéique de "La Chapelle de Diogène". On distingue une thématique, celle de la Ruine, de la Déchéance, mais on en distingue mal les détails, Traître Câlin ne fait pas dans les textes mais dans l’escape game verbal. Un labyrinthe de prose, une continuité détruite d’ex-votos dans laquelle ils s'amusent à nous perdre.

 

Fidèle à ses choix, narguant de ses seules envies le conformisme ambiant, Traître Câlin continue donc à merveille son périple musical, solitaire, chaotique, méphitique, cynique et inventif avec un album plus puissant, plus intelligible, plus torturé et surtout particulièrement brillant. Aucune concession artistique, aucun popularisme, aucun folkisme ne nourrit ce qui s'apparente à une pièce d'art musical brut livré dans un jus âcre que je ne me lasse pas de téter goulûment. Si l'écoute ne sera pas aisée pour tout le monde, elle doit être abordée aussi comme l'expérience d'une curiosité musicale insidieuse mais qui pourra se révéler fructueuse. 

 

 

Alexandre Jardin a récemment sorti un nouveau livre, Les magiciens, dans lequel il nous conte les histoires de ces hommes et ces femmes qui, en dépassant la pensée commune, les carcans sociaux, politiques, géographiques, culturels qu'on leur imposaient, se sont révélés et ont accompli de grandes choses. Ces "magiciens", ces prophètes malgré eux, de l'anti-conformisme souvent ignorés par leur pairs, les livres d'histoire, les biographes et autres érudits nous rappellent que les grandes choses se trouvent rarement au bout d'un chemin tout tracé. Traître Câlin sera désormais un de mes magiciens musicaux.
 

 

On aime bien : un style toujours unique et assumé, "artistique" oui, "arty" non, les textes hypra léchées, les instrumentations, le son, la prod

On aime moins : bah désolé mais je ne vois pas...

photo de 8oris
le 01/10/2022

6 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 01/10/2022 à 09:17:18

Je vais écouter ca…

Xuaterc

Xuaterc le 01/10/2022 à 11:50:16

Nous ne sommes plus certifiés ISO-NAWAK-19001?

8oris

8oris le 01/10/2022 à 12:05:24

Avec cet album, on est plus que jamais certifié! ;)

cglaume

cglaume le 01/10/2022 à 12:50:04

Une écoute rapide du tout début de l’album ne m’a pas hameçonné… Par contre 8oris, mon salaud, tu sais mettre à profit la langue pour appâter l’oreille !!! Superbe chronique ❤️

8oris

8oris le 01/10/2022 à 13:27:02

Justement, c'est pas l'écoute rapide qui peut révèler cet album! ;)

Thedukilla

Thedukilla le 02/10/2022 à 11:24:50

Très grand album, à ranger juste à côté de la mise en musique des Soliloques du Pauvre par Virus, pas trop loin de l’intégrale de Psykick Lyrikah (régulièrement l’impression d’entendre Alkpote rapper des textes de Arm tout au long de l’album, mais j’ai peut être juste mangé trop épicé).
Merci pour la découverte !

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