Fugue - Interview du 23/11/2024

Fugue (interview)
 

Pour ceux qui ne vous connaissent pas ou comme moi qui viennent de vous découvrir, pouvez-vous nous résumer l'historique de votre groupe ? Comment vous êtes-vous formés ?

 

Fugue : on s'est rencontré dans un même village des Hauts-de-France, Antonin et moi, on a commencé à jouer ensemble dans son garage. Des reprises, pour commencer. Puis on a rencontré Romain, le batteur, au skate park et à trois, on a continué à jouer les morceaux des autres, des groupes comme Sum41, Papa Roach, des groupes de la scène nu metal. On est passé ensuite par plusieurs formations différentes, dont une qui s'appelait Easy Noise. On avait une chanteuse, à l'époque, qui tenait également la basse. A la fin du lycée, Nathan nous a rejoints à la basse, remplaçant notre chanteuse, et c'est moi (Thibault) qui me suis collé au micro. On a continué avec cette formation durant 3 ans, jusqu'en 2021. C'est là qu'on a changé de nom et de style. On a commencé à composer des titres davantage shoegaze et post-punk. Et à envisager une approche plus professionnelle dans la composition et les démarches. En réalité, on avait déjà commencé à composer assez tôt, dès 2014. C'est pendant la crise du covid qu'on a changé d'identité. Et c'est ainsi qu'est né Fugue. En clair, on est de vieux potes, on a grandi ensemble. Avec Antonin (Thibault), on se connaît depuis nos 4 ans. Robin, le nouveau bassiste, nous a rejoints il y a 6 mois. Lui, c'était mon coloc à Brest. On était en école de son ensemble. A la base, il était notre ingénieur du son, et il a repris la basse. Il nous dépannait déjà sur certains plans, du coup, il connaissait déjà les morceaux.

 

Alors, parlons du nom. Fugue. Pour moi, ça sonne comme une révolte d'ado. Et ça me fait également penser à l'idée de fuite en avant. On vit dans l'urgence, vous voyez ?

 

Fugue : le sens qu'on lui donne, et c'est de ça dont il est question dans nos chansons, c'est le passage à l'âge adulte. Comment quitter notre condition d'ado et commencer à endosser des responsabilités. La fugue sous-entend aussi une façon de s'échapper des atrocités de ce monde.

 

ça se retrouve aussi dans le titre du nouvel EP : "Yell". Comme un cri de révolte ?

 

Fugue : Complètement. Il s'agit d'un hurlement qui peine à sortir du fait de plein de choses qui nous tiennent à coeur et qui nous font mal et restent contenues. La musique nous sert de thérapie, en quelque sorte, elle nous aide à expurger tous ces noeuds qui restent coincés.

 

Et quand vous aurez 50 ans de carrière, vous parlez de quoi, du coup ?

(rires)

Fugue : On parlera de notre jeunesse !

 

Plus sérieusement. Votre nom est en français, mais vous chantez en anglais ?

 

Fugue : oui, mais "fugue", ça marche aussi en anglais. Pourquoi on chante en  anglais ? Premièrement, on écoute beaucoup de groupes anglo-saxons. Les reprises qu'on travaillait étaient en anglais aussi, alors cette langue s'est imposée naturellement. Il s'agit d'une langue qu'il nous semble plus facile à faire sonner que le français. On a tenté cette langue, mais on galérait à trouver des textes qui à la fois font sens et ne paraissent pas trop bébêtes. Ou alors juste à faire sonner les mots ensemble. Alors on a continué en anglais.

 

Fugue Fugue

 

 

Il y a pas mal de groupes qui, toutes nationalités confondues, assument leur identité et chantent dans leur langue maternelles, comme le finnois, le portugais, le polonais... et le français. Mais j'aime bien le fait qu'on puisse appréhender votre nom en français et en anglais. Alors, on parle du chant, parlons des paroles. Les textes me paraissent plutôt engagés, non ?

 

Fugue : oui mais on essaie de ne pas paraître moralisateurs. Car tout le monde fait bien comme il peut avec ce qu'il a. En revanche, on aborde des sujets plutôt graves mais on les présente dans une dynamique de prise de conscience. On se base sur des histoires qu'on a soit vécues ou dont on a entendu parler, et on en dresse une sorte de photographie. On raconte une histoire intime pour toucher à l'universel sans tomber dans le piège d'une pose moralisatrice. Les textes sont principalement écrits par Thibault, mais aussi Nathan, notre ancien bassiste. On s'entoure aussi de personnes qui maîtrisent l'anglais pour que les mots qu'on choisit détiennent le sens qu'on veut leur donner.

 

Parmi ces thématiques, j'ai remarqué que vous êtes sensibles à la cause LGBT.

 

Fugue : de manière plus large, on parle de toutes les inégalités qu'on peut observer dans le monde actuel. On parle des violences sexistes, des minorités de genres. Sur ce sujet, on a voulu organiser une soirée de sensibilisation. En partenariat avec l'association Nous Toutes, à Brest, il y a 2 ans. L'association prenait la parole entre chaque changement de plateau, et nous-mêmes, on a appris plein de choses au contact de cette asso. On essaie aussi, quand on jouit d'une marge de manoeuvre sur l'organisation de ce genre de soirée, comme celle de notre release party, ce soir, de ne pas proposer de line up 100% masculin.

 

Je ne sais pas si on peut y voir un rapport, mais je remarque que tu portes une jupe (Antonin), comme le chanteur de Ditz, entre autres. Pourquoi ce choix ?

 

Antonin : moi, j'adore. Esthétiquement, et puis, c'est confortable. Essayez au moins une fois. Il ne s'agit pas forcément d'une posture militante mais plutôt parce que je me sens bien sur scène dans ce genre de vêtement. Je n'en possède que 2, car j'essaie d'acheter en seconde main, et c'est pas évident de trouver à ma taille ou des jupes qui me plaisent vraiment. Bref, ma garde-robe va s'agrandir au fur et à mesure, j'écume les friperies, les meilleures se trouvant à Lille !

 

Puisqu'on parle d'esthétique, abordons la question de l'artwork. Comment choisissez-vous les artistes avec lesquels vous collaborez pour signer les pochettes de vos EPs ?

 

Fugue : pour Yell, on a travaillé avec une amie, Emma Devigne qui a étudié aux Gobelins. Elle est photographe, à la base. L'artwork de l'EP est à la base une image prise en argentique d'une modèle qui s'appelle Zoé et qui a réalisé le clip de "The Beast". La photo a été développée en utilisant le procédé du cyanotype, ça lui confère cette teinte bleutée. Elle a ensuite rayé à la main l'image. On aime ce côté artisanal.

 

Est-ce vous qui l'avez guidée en lui donnant des pistes et des idées ou lui avez-vous laissé carte blanche avant de juger sur pièce ?

 

Fugue : un mix des deux. On avait déjà des inspirations, surtout la couleur bleue. Une couleur qui nous suit, comme sur scène, par le truchement des éclairages, ou dans nos clips. On a ensuite beaucoup discuté avec elle. L'image d'un visage qui crie, ça nous plaisait. Elle avait carte blanche sur les procédés utilisés. On a organisé une séance de shooting avec Zoé et elle, et une semaine après, elle nous proposait déjà 4 images, toutes géniales. Le plus difficile fut de choisir.

 

Parlons musique, à présent. Vous comptez 2 EPs à votre actif. Pourquoi 2 mini album et pas un 1e LP directement ?

 

Fugue Fugue

 

 

Fugue : parce qu'il convient de trouver ses marques, avant. Sur le précédent EP, on cherchait encore, on savait qu'on voulait explorer le shoegaze, mais on n'arrivait pas encore à trouver notre son. Y a un titre, par exemple, "Pepper", qui peut rappeler l'univers de Placebo. On s'est éloigné de ce genre. Entre les 2 EPs, il y a eu pas mal de concerts, et on a beaucoup composé. Du coup, on jouait sur scène des titres qui n'étaient pas encore sortis. Notre musique a tellement évolué depuis le 1e EP qu'on ne voulait pas attendre trop longtemps avant de proposer une nouvelle sortie. D'autre part, on accorde une grande importance au format long, alors on n'a pas envie de se jeter dans ce travail dans la précipitation. Quand on sortira notre 1e album, il faut que celui-ci reste cohérent de A à Z, comme ce qu'on peut entendre chez Just Mustard ou Fontaines D.C. Et puis, quand tu sors un album, tu dois avoir une communauté qui l'attend. Pour le moment, on en est encore à la phase où on construit cette communauté.

 

Vous venez de citer quelques noms de groupes. Parlons influences.

 

Fugue : on aimerait bien connaître le même succès que celui de ces groupes, mais on veut surtout tracer notre propre route, suivre notre propre direction. En réalité, on aime beaucoup Just Mustard, mais notre musique se nourrit aussi de groupes plus vieux et incontournables, comme The Cure ou My Bloody Valentine. Le plus important restant de digérer ces influences pour créer notre identité.

 

En écoutant votre musique, j'ai pensé à un vieux groupe français des 90's qui s'appelle Little Nemo. Qui chante un peu en français et un peu en anglais.

 

Fugue : pour continuer dans le name dropping des influences, on écoute aussi beaucoup Marquis de Sade. Je les vois comme les pendants français de Gang of Four, on a grandi avec eux, et leur musique nous accompagne souvent en voiture. On suit également depuis très longtemps les Psychotic Monks. On aime l'émotion qui traverse leur musique. Quand on s'éloigne un peu de nos univers, on va écouter du Nick Cave, par exemple, ou de l'hyper pop pour l'énergie qu'on y trouve et qui rappelle celle du punk. Avec ce côté DIY et cette recherche de sonorités extrêmes.

 

Si on s'adonne au jeu des étiquettes, on peut définir votre musique comme une sorte de shoegaze noisy, non ? On remarque comme un renouveau de cette scène, depuis quelques années. Comment la faire revivre, elle qui était tombée en désuétude ? Tout en lui apportant une touche de modernité.

 

Fugue : nous, on accorde beaucoup d'importance à la mélodie. Pas mal de groupes se montrent rentre-dedans, avec une approche très noisy. On reste attaché à cette notion de mélodie. Le shoegaze et le post-punk gardent une dimension très rock, mais ça peut aussi sonner très pop. Chez The Cure, on trouve des titres très post-punk ou new wave mais qui sonnent très pop, par exemple. Slowdive, aussi, parviennent à insuffler une dimension pop à leur shoegaze. C'est ce qu'on aime dans ces groupes, leur côté accrocheur.

 

Dans votre musique, la basse se montre hyper présente. L'importance que vous lui accordez relève-t-elle d'un processus de composition spécifique ?

 

Fugue : quand on compose, ça commence très souvent par la basse. Même moi, quand je travaille mes lignes vocales (Thibault), je me base sur la basse. On essaie de construire des lignes de basses mélodiques, pas uniquement des parties qui suivent la fondamentale. La basse et la batterie, c'est comme une maison, et les guitares et le chants s'occupent de la déco intérieure. Dans le shoegaze, tu trouves souvent la guitare très prenante, et t'as la basse et la batterie qui se retrouvent en fond de couloir. Nous, on fait le contraire.

 

Fugue

 

Prenons un exemple. "Whisper" est un titre très éthéré mais qui se construit sur une rythmique très entraînante. Avec des poussées d'adrénaline. A titre perso, quand je l'écoute, ça sonne presque comme un morceau de fin de concert.

 

Fugue : nous, on le pense davantage en début de concert. Sans doute parce qu'on l'a pensé comme un single qui se veut entraînant. C'est un des rares morceaux avec un refrain, d'habitude on est anti-refrain. On voit notre set comme une évolution dans l'intensité. Nos derniers titres s'avèrent plus noise, davantage rentre-dedans. On termine généralement nos concerts avec "Chameleon", du précédent EP, et souvent, ce titre nous fait saigner des doigts. La version live gagne en intensité tout en gardant la même structure que sa version studio. On aime la plus-value du live, car on vient du live, à la base. On peut changer les arrangements, en répètes, et même parfois, quelques minutes avant le début du concert. Avec "The Beast", composé en pensant à Just Mustard, mais qu'on peut rattacher à The Cure, on atteint le point de bascule dans notre set, à partir de là, le concert devient plus sombre et plus tendu.

 

Est-ce la direction que vous voulez suivre ? Car si on prend un titre comme "Moon", on y entend moult petites explosions et bidouillages noisy expérimentaux dans la façon d'approcher le son qui ne sautent pas à l'oreille d'emblée car la mélodie reste prégnante. On imagine aisément ce que ça peut donner sur scène. Quand vous composez, vous pensez déjà aux versions live des titres ?

 

Fugue : avant d'enregistrer, on joue en prêtant attention à ce que ces titres vont donner, effectivement, en live. La plupart des titres de cet EPs viennent du live et des répétitions. On les a composés dans des conditions du live, je pense que c'est pourquoi ils gardent cette dimension dans leur version studio. On accorde aussi beaucoup d'attention aux détails. C'est comme raconter une histoire avec une trame principale et de temps en temps, t'as un personnage qui apparaît quelques secondes.

 

C'est quoi, la suite ? J'ai vu qu'en termes de faits d'armes, vous avez déjà partagé la scène avec des groupes bien installés comme Lysistrata.

 

Fugue : on a joué en festival avec eux, oui, l'été dernier, près d'Amiens. Pour le moment, on va faire vivre l'EP, dont on est très fier, par le live, puis entrer à nouveau en studio.

 

photo de Moland Fengkov
le 17/03/2025

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