Lost In Kiev - Interview du 29/09/2022

Lost In Kiev (interview)
 

Votre dernier album date de 2019, juste avant l’entrée du covid dans nos vies. Depuis, vous faites partie de ces groupes qui sortent un album participant à ce que j’appelle la bande originale de l’Apocalypse, en cela qu’il dresse à sa manière un certain état du monde et se gorge d’une dimension dramatique qui rend compte de l’époque particulière que nous traversons tous. Je pense, par exemple, à la noirceur du dernier Godspeed You Black Emperor et, dans un tout autre genre, à l’élégance du cynisme du dernier Puscifer. En ce qui vous concerne, dans quelle optique avez-vous travaillé ?

 

Lost in Kiev : Ce n’est pas uniquement par rapport au covid, mais il est vrai que l’album a été composé dans une période marquée par la pandémie, mais aussi les guerres, les questions écologiques, etc. Le titre de l’album, “Rupture”, renvoie à un moment où on sait que rien ne sera plus comme avant. Les questions environnementales nous intéressent et on voulait écrire un album sur cette thématique bien avant que le virus n’entre dans nos vies.

 

Donc l’album ne parle pas d’une relation sentimentale qui se termine mal ?

 

LIK : (rires) Non, pas du tout. Mais ça aurait pu. Sur un point de bascule.

 

ça peut d’ailleurs prêter à confusion, quand on lit les titres des morceaux : “Another end is possible” “but you don’t care”... J’y lisais une histoire très personnelle sur une rupture amoureuse.

 

LIK : C’est intéressant que tu cites “But you don’t care”, car ce titre fonctionne à double-sens. Si notre album reste relativement sombre, ce morceau apporte quelque chose de plus positif, de par sa construction et son ambiance presque pop. On a besoin de se raccrocher à des éléments positifs pour créer une balance entre l’ambiance pesante et quelque chose de plus lumineux. Mais on est conscient que notre musique presque totalement instrumentale est vouée à plusieurs lectures différentes. Le fait qu’on utilise moins de samples de voix qu’à l’accoutumée permet à l’auditeur de créer son propre fil narratif. Les titres et quelques paroles donnent des pistes, et la construction harmonique fera le reste. Ici, il s’agit de l’album le moins narratif de notre discographie, on a voulu que les gens puissent se l’approprier en quelque sorte.

 

Du coup, “Digital flesh” n’est pas une chanson sur les applis de rencontres ?

 

LIK : (rires) Ah non ! On n’y a pas pensé non plus, mais ça aurait pu. Ta lecture de l’album est intéressante, j’aime beaucoup cette ambivalence que je n’avais pas vue. Pour le coup, “Digital flesh” est le titre qui se rapproche le plus de l’album précédent, Persona, dans son aspect robotique, mécanique, qui, en réalité, parle du rapport de l’homme à la technologie. Il construit un pont entre les 2 albums.

 

Lost in kiev dans un fauteuil

 

Vous définissez votre musique comme du cinematic post-rock. Qu’est-ce à dire ?

 

LIK : ça vient de notre ancien batteur, par ailleurs graphiste et vidéaste, et Lost in Kiev n’existe pas sans vidéo sur scène. C’est une manière de préciser que l’image fait partie du package. En live, t’en prends aussi plein les yeux. Il y a aussi une seconde lecture à cette étiquette : on aime tous nombre de bandes originales de films. D’ailleurs, nos premiers albums ont été conçus comme s’il s’agissait de BO de films.

 

Tu disais tout à l’heure que Rupture est votre album le moins narratif, pour autant, il comporte pas mal d’éléments qui s’ajoutent à la musique elle-même pour créer une sorte de narration.

 

LIK : visuellement, nos vidéos vont évoluer, mais il nous semble important que la musique raconte quelque chose. Ici, on parle de l’effondrement de la société. Pas uniquement d’un point de vue climatique, mais d’une manière plus globale. On ne se pose pas en lanceurs d’alerte, mais on établit un constat qui nous touche, et le traduire en musique avec une dose de poésie relève de la catharsis.  Loïc Rossetti, de The Ocean, dans la chanson “Prison of mind”, interpelle néanmoins, dans ses paroles : “Eh, je parle de toi, aussi, réveille-toi.”

 

Malgré les thématiques relativement sérieuses et plombantes pour le moral, votre musique ne s’avère pas dépressive, elle se montre cristalline, ai-je envie de dire. Chez vous, les titres sont relativement courts et la production leur confère quelque chose de lumineux.

 

LIK : C’est toute la contradiction de l’album. Comme les sujets sont anxiogènes, on injecte de la lumière dans les morceaux pour garder une once d’espoir. On aimerait bien, un jour, écrire un album très calme, mais pour le moment, on mélange des schémas qui tabassent et des parties davantage dans la retenue. On a enregistré dans les studios d’Amaury Sauvé à Laval, dans les conditions du live. Chaque musicien, séparé des autres, jouait ses parties en même temps que celles des autres. Mais tous se voient. Cette méthode a permis d’obtenir une homogénéité et une cohérence de l’ensemble et rendre la musique plus vivante, plus organique en préservant notre complicité et notre cohésion comme si nous jouions sur scène. C’est là que le covid nous a servi, puisqu’on a eu le temps de composer un grand nombre de matériaux et ensuite de trier pour ne garder que ce qui nous semblait cohérent. Enregistrer de cette manière ne nous permet pas d’user d’arrangements à l’envi, comme doubler les guitares pour les rendre plus lourdes, mais ça nous oblige à penser en amont auxdits arrangements qu’on peut utiliser en direct.

 

Est-ce à dire que quand on écoute l’album, on a une idée précise de ce qu’il donne sur scène ?

 

LIK : Carrément ! Même s’il y a une différence, puisque Jérémie Legrand, notre nouveau batteur, n’a pas participé à l’enregistrement. Son approche du jeu de batterie est plus volubile, de par sa formation jazz. Il a davantage tendance à faire évoluer un pattern au cours d’un morceau, en ajoutant des breaks et en jouant sur la dynamique. Jusqu’à son climax.

 

Lost in kiev

 

Votre façon d’enregistrer l’album, dans les conditions du live, me fait penser à l’album de God is an Astronaut, sorti cette même année, qui revisite leur tout 1e opus, avec moult variations.

 

LIK : oui, ça se comprend, ce genre de projet, surtout pour un groupe comme GIAA qui existe sur le circuit depuis un moment, à force de jouer les morceaux, sur scène, on aime aussi leur apporter des variations, changer la fin de certains titres. L’album représente une version des titres à un instant T, mais ceux-ci peuvent être amenés à évoluer par la suite. En revanche, enregistrer comme nous l’avons fait exige un énorme travail de préparation car on ne peut pas se permettre de se dire qu’on rajoutera tel ou tel arrangement ensuite. Il nous a fallu entre 10 et 15 prises par morceau, même si, le fait d’être séparés, chacun dans sa cabine, et de jouer au clic, nous permet de tricher un peu, en piochant le meilleur de chaque piste. Au final, on évite de recourir à cette option pour préserver la magie et l’alchimie du moment.

 

Parlons influences. Quand j’écoute votre musique, je pense fatalement à des groupes comme Mogwai, Maybeshewill, God is an Astronaut, 65Daysofstatic... Mais vous possédez votre propre identité. Comment vous nourrissez-vous de vos influences personnelles pour créer un univers commun ?

 

LIK : Déjà, nos goûts s’avèrent très éclectiques. On s’est déjà rendu compte, en tournée, qu’aucun de nous n’écoute de manière régulière exclusivement du post-rock. On peut écouter du Deftones, par exemple, mais aussi de l’electro, du dub, et des groupes comme Cult of Luna, While She Sleeps, Parkway Drive, et des compositeurs de musiques de films comme Vangelis... Tu places tous ces ingrédients dans un shaker et ça donne Rupture. Mais surtout, on se connaît tous très bien. On se fait confiance. C’est important pour apporter de la cohérence à notre propre musique.

 

En parlant de cohérence, qu’est-ce qui vous a amené à proposer une collaboration sur un titre avec Loïc Rossetti ?

 

LIK : Premièrement, on aime beaucoup The Ocean Collective et on considère que Loïc compte parmi les chanteurs de post-metal actuel les plus intéressants. Ce qui a commencé par une opportunité, puisqu’on est signé chez Pelagic comme son groupe, est devenu une belle aventure humaine. “Prison of mind” se prête bien à un featuring de voix, avec sa structure couplet/refrain et son ambiance à la A Perfect Circle. On lui a envoyé une maquette du titre, il nous a retourné une V1 déjà bien mortelle, on lui avait fourni la thématique de l’album et il a écrit le texte et les lignes de chant. Rien ne dit qu’on n’ait pas droit à une version live si on est amené à tourner ensemble.

 

Il y a du texte aussi sur le morceau “Dichotomy”.

 

LIK : on a utilisé un vocoder. Tout le monde a testé et on a gardé ce qui fonctionnait le mieux. A la base, c’était une façon de combler un manque dans le morceau, comme apporter un autre instrument, un peu à partir d’une blague, mais le résultat nous a plu, et il nous a rappelé ce que Mogwai avait pu expérimenter auparavant. Mais pour finir sur la question des featurings, on a toujours aimé en apporter dans nos albums. Les samples de voix, par exemple, ce sont des potes qui s’en chargent.

 

Apporter davantage de chant dans votre musique est-il envisageable par la suite ?

 

LIK : aucun de nous n’a vocation à chanter, mais pourquoi pas. Caspian, par exemple, tend de plus en plus à intégrer du chant dans sa musique, ou Pg. Lost qui passe par un clavier. Quoi qu’il en soit, on ne sera jamais fermé à des collaborations avec des chanteurs.

 

Terminons en parlant de vos projets.

 

LIK : on a enregistré une session live pour présenter Jérémie, on sort le clip de “Prison of mind”, et on prépare la release party le 23 novembre 2022 au Petit Bain à Paris. Mais avant, on assure 4 concerts avec The Ocean, fin octobre. Viendra la tournée, au printemps 2023, et on a parlé d’un lieu exotique, mais on ne peut en dire davantage pour le moment.


 

Lost in kiev


 

 

Crédit photos : Moland Fengkov

 

photo de Moland Fengkov
le 02/11/2022

2 COMMENTAIRES

Freaks

Freaks le 02/11/2022 à 15:26:36

Digital Flesh comme nom d'appli de rencontre.. C'est très bon :D
Ton interview est hyper soignée.. c'est du beau boulot Momo! ;)

Moland

Moland le 02/11/2022 à 16:20:13

Haha oui, on a bien ri au sujet de mes contresens :) Merci de l'avoir lue. 

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