Lost In Kiev - Rupture

Chronique CD album (51:38)

chronique Lost In Kiev - Rupture

Ils s'attribuent l’étiquette de cinematic post-rock. Une façon de préciser que sur scène, l’image prime autant que la musique, pour un spectacle total. Si la musique de Lost in Kiev prend tout son sens en live, avec l’énergie qui circule entre les musiciens et les créations vidéo-graphiques, force est de constater qu’en studio, leur musique se suffit à elle-même, porteuse d’une pléthore d’évocations thématiques enrichies de ce que l’auditeur y projette de son expérience personnelle. Certes, les titres, de l’album et des morceaux, offrent des pistes de narration, à savoir, avec Rupture, 4e opus des Français, l’idée que le monde, frappé de tous les maux, dont certains, inédits et historiques, n’en laissent aucune parcelle indemne, vient d’atteindre un point de bascule, mais les thèmes qu’ils évoquent s’enrichissent de 1001 autres interprétations et autant de nuances. Là réside la force de la musique instrumentale, en général, et celle de LIK en particulier.

 

"Rupture est un album pensé pour exprimer notre ressenti à propos de la rupture entre civilisation moderne et vie naturelle”, explique le guitariste/claviériste Maxime Ingrand. "La stabilité planétaire ne tient qu'à un fil à cause de trop de consommation et d'autres activités humaines, alors que beaucoup de choses (pollution, vie animale, consommation d'énergie) sont à un point de bascule. Ce sont des sujets qui nous touchent et que nous tentons de retranscrire musicalement, tant en négatif qu'en positif.”

 

Adonc, je dois vous avouer qu’avant de lire le dossier de presse, ma 1e écoute de l’album m’avait porté sur les cendres d’un amour en ruines sur lequel le narrateur porterait un regard empli de mélancolie, mais aussi d’espoir et de dignité. Contre-sens intéressant, au final, à la lecture de titres comme “Another end is possible”, “But you don’t care” ou encore “Rupture”, puisque ces simples mots ouvrent les portes de l’interprétation polymorphe. En réalité, l’enjeu de cet opus s’avère plus vaste, plus global, plus universel, mais dans le fond, l’amour ne relève-t-il pas de l’universel ? Et la relation que l’Homme entretient avec son environnement ne peut-elle pas s’apparenter à celle d’un couple qui, pour perdurer, doit jongler avec les notions d’équilibre, de constance et de cohérence ?

 

C’est là qu’on comprend que, si l’on s’en tient à la musique, stricto sensu, celle de LIK se gorge de moult nuances qui refusent toute dichotomie facile. On navigue sur les terres de groupes comme Mogwai, Maybeshewill, 65Daysofstatic, à la fois sombres et pleines de rage, mais tout autant lumineuses et pures, plutôt que sur celles, ravagées par le désespoir, de formations comme Godspeed You! Black Emperor. Prenez par exemple l’ouverture de l’opus, “We are” : ça commence avec une solennelle résignation, baignée par d’élégantes nappes de synthé rétrofuturiste, avant de monter en puissance par paliers successifs, d’où émerge une certaine forme de colère introspective, comme autant de cris d’alarme. Puis, le morceau s’achève sur une cadence pachydermique qui pourrait figurer l’inéluctable qui se profile à l’horizon mais qu’on voit poindre avec encore suffisamment d’avance pour réagir, avec une explosion de tous les instruments qui expriment l’idée d’urgence. Et soudain, une fin, nette, comme un couperet, celui du destin. Même quand les mots viennent apporter des précisions pour une lecture claire du message que véhicule l’album, par le truchement de la collaboration avec Loïc Rossetti de The Ocean, la force mélodique des lignes de chant de ce dernier sait doser la fureur de l’alerte et de l’urgence à l’espoir selon lequel rien n’est encore perdu.

 

La force de l’album tient dans ce savant mélange entre pessimisme brut, force pleine de rage mais sans colère, et cette clarté, cette pureté, cette lumière cristalline qui nimbe chaque titre, aussi sombre soit-il. De l’ensemble se dégage une sincérité qui confine au sublime. Le fait d’avoir enregistré dans les conditions du live (chez Amaury Sauvé du studio The Apiary à Laval, qui commence à s’imposer comme un producteur incontournable pour ce genre musical), comme l’ont fait God is an Astronaut sur l’album sorti la même année revisitant leur toute 1e œuvre, 20 ans plus tard, y joue pour beaucoup, sans doute. Pas d’arrangement futile, la musique de Rupture se livre dans toute sa complexité sans aucune autre espèce d’affèterie. L’angoisse des thématiques s’exprime avec une honnêteté que lui dispute la brillante sophistication des compositions, exécutées avec une maitrise totale.

photo de Moland Fengkov
le 02/11/2022

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