Madder Mortem - Marrow

Chronique CD album (53:21)

chronique Madder Mortem - Marrow

« La carrière de Madder Mortem est un des rares exemples de sans-faute total que l’on peut trouver dans le metal moderne. Quel autre groupe de plus de quinze ans d’existence peut se targuer d’avoir ainsi évolué constamment sans jamais se répéter, tout en restant pertinent et en ne perdant à aucun moment la patte unique qui est la sienne ? »

 

Je me permets de citer les propos de Cosmic Camel Clash des confrères des Éternels tellement je n'aurais pas pu mieux dire pour entamer cette chronique du septième et nouvel album des Norvégiens de Madder Mortem. Dont, au moment où j'écris ces lignes, je suis la première dans l'Hexagone à m'y frotter. Mais nul doute que le confrère cité le fera un de ces quatre tant il nourrit sans doute la même passion que moi à l'égard de cette formation injustement méconnue. Je ne doute d'ailleurs pas qu'il soit en train de passer de merveilleux moments d'écoute préparatoire. Parce que ce Marrow... Bon sang, Marrow quoi ! Sans doute le meilleur album que les Scandinaves aient sorti depuis Desiderata (2006) qui était déjà lui-même de haute volée, c'est dire !

 

Et pourtant, cette fois, Madder Mortem n'y est pas allé de sa petite évolution comme il a coutume de le faire à chaque nouvel album. Pas vraiment de développement d'une nouvelle facette – hormis peut-être cette fureur qui lorgne quelque peu sur le core sur « I Will Be Done » – il est plutôt question de synthèse. Ce qui, en soi, n'est pas gênant pour une telle formation tant son répertoire est si personnel qu'on ne le retrouve nulle part ailleurs. Et que de réunir les éléments disséminés çà-et-là depuis 2001 pour constituer une unité, voilà quelque chose qui n'avait pas encore été fait. Et vu comment le groupe a su partir loin dans son délire – on pourra citer le très jazzy et complexe Eight Ways parvenir à garder une cohésion d'ensemble est tout sauf aisé. En tout point, il y est parvenu sur Marrow, voilà l'exploit !

 

On retrouve sur cette galette tout ce qui a su réjouir nos petites oreilles au travers des années. Que ce soit les constantes avec les superpositions mélodiques dissonantes qui frétillent dans le conduit auditif (le post chorus de « Far From Home » est sans doute le cas le plus représentatif et réussi), les montées/descentes de puissance typées montagnes russes (« Stumble On » qui augmente progressivement son intensité sur toute sa longueur avant de la stopper net alors que l'on attendait davantage à la voir exploser) ou encore les breaks inattendus qu'on se prend violemment dans la gueule comme un facehugger vorace (notamment l'enchaînement brut et inopiné entre la fin de « Waiting To Fall » et l'outro qui reprend la petite introduction acoustique telle une boucle sans fin). Mais également les exercices de styles représentatifs d'un album en particulier. C'est ainsi qu'on y retrouve la part doom de All Flesh Is Grass (« Marrow », « Waiting To Fall » sur ses passages électriques ou encore la lourdeur globale écrasante de « I Will Be Done ») ; le côté progressif de Deadlands (« Marrow », riche de progressions et nuances et le morceau fleuve de neuf minutes « Waiting To Fall ») ; la facette plus neo issue de Desiderata (« Liberator » qui rappelle « My Name Is Silence » en terme de construction et d'impact, le côté groovy sous-accordé de « My Will Be Done ») ; les influences jazz retro et élégantes de Eight Ways (« Until You Return », les phases calmes de « Waiting To Fall ») ; et les frasques plus légères et poppisantes développées dans Red In Tooth And Claw (le refrain imparable plutôt pop/rock dans l'esprit de « Moonlight Over Silver White », « White Snow, Red Shadows » qui se gobe aussi légèrement qu'un bonbon). Bref, tout est là dans Marrow.

 

Et surtout, tel le cochon, tout est bon dans Marrow. A aucun moment, on nourrit l'impression d'incohérence, d'être confronté à des éléments totalement hors-sujets qui n'ont rien à foutre là. Ça a toujours été la force de Madder Mortem de toute manière : savoir marier les éléments semblant totalement improbables pour un résultat apportant une variété certaine tout en nourrissant une certaine homogénéité. Aussi contradictoire cela puisse-t-il paraître. Pour cet album, cette cohésion d'ensemble vient surtout du fait de son atmosphère qui ne faillit à aucun moment : Marrow pue le désespoir et ce, qu'importe de quelle manière il aborde ce sentiment. Même si, de base, le propos n'a jamais été très gai, il s'agit là sans doute de son album le plus sombre qui ait été pondu dans sa discographie. Ce qui fait assurément bizarre lorsqu'on le confronte avec son prédécesseur, Red In Tooth And Claw, qui paraissait presque guilleret à côté. C'est justement cet intense désespoir qui sert de fil conducteur qui le rend aussi puissant et percutant dans son ensemble. Qu'il l'exprime au travers de la fureur (« My Will Be Done »), de la souffrance déchirante (« Marrow ») ou de la capitulation résignée (« Until You Return », « Waiting To Fall »), l'impact est là et prend profondément aux tripes. En laissant au bout du compte cet irrésistible petit goût un peu masochiste de « reviens-y » tant on y décèle à bien des niveaux une profonde beauté intrinsèque, aussi destructrice soit-elle.

 

Pour reprendre la citation d'introduction, peut-être que Madder Mortem s'est permis de jouer sur la redite avec Marrow. Cette septième offrande s'inscrit dans la synthèse : on y retrouve tout ce qui a forgé le style si unique des Norvégiens. On s'assoit autour d'une table, on réunit tout et on mixe le schmilblick avec maestria pour donner une œuvre aussi profonde qu'esthète... Qui sera sans nul doute délicat de dépasser tant l'on sent que le groupe est au sommet de son art sur ce coup-là. Alors oui, peut-être s'est-il quelque peu répété cette fois-ci mais jamais ne s'est-il montré aussi pertinent... Avec lui-même. Uniquement avec lui-même.

photo de Margoth
le 15/10/2018

5 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 15/10/2018 à 10:07:18

Effectivement les morceaux en écoute sont séduisants...

Xuaterc

Xuaterc le 15/10/2018 à 10:53:35

" La carrière de Madder Mortem est un des rares exemples de sans-faute total que l’on peut trouver dans le metal moderne. Quel autre groupe de plus de quinze ans d’existence peut se targuer d’avoir ainsi évolué constamment sans jamais se répéter, tout en restant pertinent et en ne perdant à aucun moment la patte unique qui est la sienne ? "
Solefald?

Margoth

Margoth le 15/10/2018 à 13:17:52

Bien vu Xuxu, même si je ne suis pas assez connaisseuse de Solefald pour une telle affirmation (mais des quelques uns que j'ai chez moi, c'est du sacré niveau). Dans tous les cas, on reste quand même dans la thématique de l'avant-gardiste norvégien ;)

Xuaterc

Xuaterc le 15/10/2018 à 14:53:01

Et Manes...
"dans la thématique de l'avant-gardiste norvégien": hasard ou réalité scientifique?

CCC

CCC le 21/10/2018 à 10:23:33

Cassedédi en retour bientôt chez les Eternels. ;-)

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