Madder Mortem - Mercury (20th Anniversary Edition)

Chronique CD album (1:19:40)

chronique Madder Mortem - Mercury (20th Anniversary Edition)

J'ai toujours dans l'idée de la chroniquer entièrement cette discographie des géniaux Madder Mortem. Lentement mais sûrement, un peu à l'image du temps de digestion nécessaire afin d'apprivoiser pleinement chacune des pierres de cet édifice aussi majestueux que profondément singulier et surréaliste. J'avoue qu'à la base, je comptais faire passer Mercury, leur tout premier album en tout dernier lieu, étant donné qu'il s'agit de leur opus le moins audacieux du lot où le conventionnel règne en terme de respect des codes du metal atmosphérique aux consonances gotho-doom tel qu'il était pratiqué à la fin des 90's. Malgré tout, l'actualité en a décidé autrement, les Norvégiens se décidant en cette rentrée de nous sortir une réédition de son tout premier méfait qui fête aujourd'hui ses vingt bougies. Bien entendu, j'y avais déjà prêté une oreille par le passé, peu de temps après ma découverte du combo lorsqu'il sortait Desiderata et j'avoue qu'après les gros coups à l'estomac que m'avaient distribué ce dernier et All Flesh Is Grass, le petit deuxième que j'avais acheté en même temps, Mercury m'avait semblé bien fadasse. D'où le fait que je n'avais aucune envie de me presser pour m'y replonger à rebours. Et pourtant... J'ai beau le savoir tant la troupe l'a prouvé à de multiples reprises : jamais, ô grand jamais, il ne faut sous-estimer Madder Mortem.

 

Bien entendu, on pourra également mettre le fait qu'à seize ans, je n'avais clairement pas les mêmes connaissances, ni même les oreilles aussi affûtées qu'aujourd'hui. Pourtant, lorsque j'ai redécouvert aujourd'hui ce Mercury, livré ici dans son intégralité à l'identique qu'à l'époque, je me suis rendue compte à quel point il est pertinent de l'écouter, là, en 2019, d'autant plus juste après que Marrow, jouant la carte de la synthèse de tout ce qu'ont pu développer les Norvégiens au sein de leur discographie pour en faire un ensemble étonnamment cohérent et où on y retrouve pleinement le côté viscéral de ses atmosphères. Peut-être davantage en 2019 qu'en 1999, c'est dire... Parce qu'évidemment, on ne le regarde pas du même œil aujourd'hui qu'à l'époque où l'on ne faisait que découvrir un nouveau groupe parmi d'autres. Où il était impossible de prédire à quel point Madder Mortem allait devenir cette entité tentaculaire et avant-gardiste qu'il est devenu. Encore moins qu'il allait commencer sa mutation dès l'opus suivant. Là, en 2019, il est davantage de bon ton de faire le processus inverse : constater d'où il est parti et surtout d'essayer de déceler de potentiels éléments avant-coureurs. Lorsqu'on part avec cet objectif en tête, ça ne fait qu'ajouter du piment à Mercury.

 

Un Mercury qui, à la base était déjà un album très réussi dans son style. Imaginez un peu un metal atmosphérique qui rappelle très fortement le The Gathering de cette époque qui aurait complètement oublié de prendre ses anti-dépresseurs ou un Tristania totalement amputé de chant extrême. Mercury porte en lui une profonde mélancolie, bien vicelarde, qui bouffe autant qu'elle nourrit par sa délicate beauté. L'album paraîtra peut-être un peu planplan de par une certaine homogénéité d'ensemble, d'autant plus qu'on se retrouve en majorité confronté par des tempo plutôt lents. Auxquels il ne manquent qu'une bonne grosse dose de lourdeur pour véritablement se montrer doom comme ce sera le cas pour All Flesh Is Grass deux ans plus tard. Là, le délire se veut beaucoup plus aérien, porteur d'une élégance emprunte du gothique (« The Grinding Silence » et son délicat piano), même s'il y règne une grande gravité de ton. Chez Madder Mortem, on ne pleurniche pas parce qu'il y a des petites contrariétés dans la vie. Non, ça dépeint plutôt un tableau digne d'une procession funéraire où l'on se retrouve hagard, les yeux rouges et bouffis, le corps entièrement vidé au préalable de toutes ses larmes. Et c'est lorsqu'on parvient à plonger dans cet état d'esprit, empli de quiétude malsaine, que l'on parvient à se laisser transporter dans ce voyage, bourré de nuances et de subtilités. Se permettant même des moments de bravoure qui collent le frisson. Tel un « Loss » qui se démarque du lot sans peine pour son côté plus énergique, où Agnete se permet des lignes vocales graves et solennelles caractéristiques que l'on retrouvera à de nombreuses reprises au sein de la discographie future. Ou encore l'incroyable « Misty Sleep » où la narratrice se permet des chœurs lyriques ébouriffants – une chanteuse sous-estimée de la scène metal, je ne le répèterai jamais assez ! – sous fond de dramaturgie quasi-théâtrale où l'on sent pertinemment cette envie de partir vers des montées/descentes vertigineuses d'intensité et autres dissonances entre les cordes, voire avec les lignes vocales. Une envie contenue qui explosera par la suite.

 

Rajoutez à cela ces divers passages minimalistes où seule la rythmique côtoie le chant dans une approche jazzy embryonnaire (« Convertion »), que Eight Ways développera sans contraintes dix ans plus tard, et ce goût constant pour les arpèges qui ne laissent rien au hasard et l'on a tôt fait de reconnaître ce Madder Mortem tant chéri. Mais dans sa forme la plus pure et substantielle. Parce qu'au final, c'est en réécoutant aujourd'hui Mercury que l'on se dit que les Scandinaves ont eu beau enrichir sa palette émotionnelle, notamment en lui ajoutant des éclats de rage, et surtout en se la jouant dans l'audace en développant une multitude d'éléments singuliers, novateurs et variés. Dont le côté improbable de ces derniers agissent un peu comme un lâcher de poudre aux yeux qui font dévier notre attention vers eux au lieu du cœur de la personnalité du répertoire du groupe. A savoir, ces atmosphères, ce sentiment global qui sont déjà là sur Mercury et qui, finalement, ont toujours été présent dans chaque offrande, sans exception.

 

Bien entendu, une réédition ne serait rien sans quelques bonus. En cela, celle-ci s'avère fort sympathique, à mille lieux de toute volonté mercantile, hormis une volonté sincère de marquer le coup d'un anniversaire important (vingt ans, ce n'est pas rien) mais surtout de faire plaisir à son public qui ne peut plus trouver cet album dans les rayonnages de galettes neuves depuis un bail (et dont le prix de son pendant d'occasion fluctue selon les périodes, parfois assez salement). Ce public qui a contribué au financement, c'est dire si le groupe brasse assez de fric pour se permettre de la jouer vautour. Au programme des petites croustillades, trois titres de Mercury réenregistrés. Qui n'ont rien d'un simple upgrade de production comme le proposent tant d'autres artistes mais d'une véritable revisite avec le bagage artistique du Madder Mortem d'aujourd'hui, permettant d'ailleurs de vérifier toute mon argumentation précédente étant donné que cette triplette se voit modifiée et enrichie des éléments « habituels » (vocaux masculins rageurs ou encore un « Renmants » réinterprété de manière plus grave et écrasante notamment) développés au cours des années, sans qu'elle ne perde forcément de son identité première. Un exercice de style vraiment intéressant qui fait quelque peu regretter de ne pas l'avoir vu étendu à son intégralité. Tant pis, l'on ravalera et l'on se contentera des deux inédits également présents, « Shadows Coming Home » (qui n'aurait clairement pas fait tâche sur Desiderata d'ailleurs) et « Vigil » (qui aurait très bien pu faire partie dans ce premier album sans choquer le moins de monde), dont les idées ont été piochées parmi celles laissées de côté durant le processus de création de Mercury, là encore réemployées avec le bagage artistique actuel. Bref, cette réédition s'avère surtout être un petit moment de partage et de communion que le fan ne pourra que s'en délecter avec plaisir. Tout en représentant une opportunité de rattrapage bienvenue pour les curieux. Parce que quitte à trouver le pressage original d'occasion à un prix sensiblement identique – si ce n'est plus cher d'ailleurs – autant prendre celle-ci, neuve et agrémentée de bonus loin d'être dénués d'intérêt.

photo de Margoth
le 21/11/2019

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