Aodon - Portraits

N’est-il donc pas déstructuré, intrigant, complexe, alléchant, troublant cet artwork de l’illustrateur philadelphien Alex Eckman-Law ? Celui-ci n’en est pas à sa première collaboration avec le monde du Metôl (Imperial Triumphant, Pillars of Villainy, Dirty Black Summer, …), notamment avec le label Willowtip Records et son roster bien sexy (Pyrrhon et consorts), dont font partie justement les Français d’AODON. La trajectoire de ce trio, tout droit extrait de la douce ville moyenne de Périgueux, est paradoxale à bien des titres : voilà en effet un des groupes français de Black Metal les plus appréciés de l’underground nord-américain mais les plus mésestimés, tout du moins les plus méconnus de ses coreligionnaires hexagonaux, et ce malgré son dernier album sorti il y a trois ans maintenant. Le déjà excellent 11069 marquait alors par sa densité et sa sophistication.

Pour ce Portraits (avec un « s »), l’illustration de sa pochette est un essai plastique, un défi esthétique, devant se référer directement au concept de cet album, dont la radicalité doit ruisseler aussi bien sur la musique que sur les paroles qui l’accompagnent. Neuf titres ? Davantage neuf portraits, réels ou fictifs, à l’écriture ciselée, où les paroles sont entaillées d’idées noires et de sentiments les plus contrastés, pour ne dire les plus néfastes. Chacun de ces segments réflexifs se fait l’écho d’un élément qui peut contribuer nolens volens à l’effondrement de toute personne prête à se laisser tenter : la misère, l’ego, l’addiction, la croyance, la violence, l’obéissance, l’abus, la destruction, l’amour.

Soutenu par Laurent à la rythmique et Alix R. à la basse et aux lyrics (j’y reviendrai), M-Kha, tout à la fois lead guitariste, batteur, chanteur et compositeur d’AODON, m’a prévenu : « Attends-toi à de la colère, attends-toi à de la violence… ». En effet… de la pure violence cathartique post-covid, condensée à nouveau avec force dans les paroles écrites en français – point important – par Alix. Je ne puis résister à l’idée de vous adresser quelques bribes torturées, d’autant que la technique et la teinte des éructations vocales de M-Kha rendent chaque mot parfaitement compréhensible…

… « Désœuvré », « asphyxié », « noyé », « enlisé », « condamné », « encerclé de néant », « esseulé », « sombrant dans la démence », « cerné par la solitude », on est bien là… !  Or, achevant de me couper le sifflet, la musique se met au diapason de cette « poésie glaçante », au moyen d’un Black Metal sans fard, pourtant riche de ses nuances atmosphériques, « à la fois enragé et mélodique, hostile et immersif », comme l’avancent les membres d’AODON eux-mêmes. La construction des morceaux est souvent proche, avec des nappes mélodiques animées par des lignes de guitare éthérées qui disparaissent brutalement, ensevelies, consumées par la double qui emporte tout sur son passage, à l’exemple des débuts de "Egon" et de "Sheelagh" ou de la 4^e mn de l’énorme "Miquella". La batterie tabasse sévère ("Adam", "Andreas", "Liza" entre autres).

Les titres s’enchaînent sans perdre une once de cette rage viscérale, de cette intensité fielleuse. Que voulez-vous ? Quand on a cette impression ultime d’entendre durant plus de 45 mn le riffing cristallin d’un Mgła se dissoudre dans la furie d’un Misþyrming et dans la noirceur mortifère d’un Hyrgal, on ne peut qu’en sortir sonné et ébloui ("Inaki") !

Plus d’excuses, vous ne pouvez plus les ignorer davantage, de même qu'ils ne peuvent plus se cacher (ça serait bien qu'ils trouvent un batteur pour pouvoir tourner quand même...) : ils s’appellent AODON M’sieurs Dames !

I repeat pour les distraits du fond :  A.O.D.O.N. !

Seisachtheion

le 16/06/2023