Ckraft - Uncommon Grounds

Chronique CD album (09:27)

chronique Ckraft - Uncommon Grounds

Un peu plus de deux ans après l'excellent Epic Discordant Vision dans lequel nous avions découvert avec plaisir l’accord(éonage) du metal et du jazz savant de CKraft, les 5 big-bandistes remettent le couvert avec Uncommon Grounds alors allez vite chercher votre plus belle serviette de table parce que pour ce nouveau menu en 8 temps, les 5 chefs-musiciens ont mis les grands plats dans des plats encore plus grands.

 

Vu d'en haut, de très haut même, la base restera la même: du metal/jazz dans un format instrumental qui restera suffisamment accessible pour débutants et particulièrement délectable pour les érudits. Jazz métallisé? Metal jazzifié? Du mezz? Du Jtal? Du Mezzjtal ? Il en faudrait des valises pour le mot valise qui décrirait parfaitement le style de cette musique essentialisée par sa richesse et sa parfaite complétude. Si vous n'aviez pas aimé CKraft avant et que vous êtes malgré tout clients de ces précieux groupes qui associent les saveurs avec talent, originalité, passion (bref, le fameux TOP, d'ailleurs cet album rejoint directement celui de 2025), redonnez leur quand même une chance et une vraie.

A ceux rebutés par des pistes aux promesses uniquement instrumentales, il y a bel et bien deux vocalistes: l'accordéon dans toute sa majestuosité harmonique et le saxophone, plus fin, plus taquin, plus sautillant et qui livre ici une prestation absolument incroyable. Pensez les notes comme des mots, des termes non-figuratifs, pensez les accentuations comme de la ponctuation malicieuse qui atteste le bon sens, pensez le rythme comme des verbes conjugués à tous les temps et à tous les modes, et vous aurez les clés nécessaire pour appréhender la base du langage de CKraft, un langage dont le propos ne fait sens que par les émotions qu'il procure et par la méticulosité avec laquelle il est tenu.

 

Vu du milieu, on se rend compte d'une association toujours aussi ubuesque et merveilleuse de talents. Ceux de musiciens aux intentions et aux montures "metal", ceux d'un saxophoniste résilient qui s'ébroue dans une parfaite flexibilité mélodique et navigue aisément entre les tessitures houleuses et groovy de ses compères, et ceux d'un accordéoniste dont les doigts agiles patinent son instrument d'une belle modernité.

 

Vu d'en bas, on ne peut que saluer le travail de composition et d'arrangements. L'approche emprunte autant à la formation classique du "rock band" qu'à celle du "big band" avec une parfaite gestion du rythme, du "jouer ensemble". CKraft est un groupe de metal qui joue du jazz et un big band (version réduite) de jazz qui joue du metal. La formation est carré, géométrique, les angles sont parfaitement dessinés mais les arêtes incroyablement douces, CKraft ne cherche pas à nous impressionner, à nous perdre, à nous mépriser avec sa technicité savante, CKraft nous invite à une communication différente.

Rythmiquement, l'approche ne relève plus seulement de la "pulse" mais d'un langage, d'une sémiologie où la moindre croche a un sens, rien n'est là par hasard, rien ne dépasse, tout est parfaitement cadré, pensé, maîtrisé. L'exemple parfait de ce que la rigueur des années de conservatoire peut entraîner de meilleur dans la musique dite "populaire". La maîtrise est un vernis que CKraft sait appliquer en couche délicate.

 

Vu d'en dessous, c'est effrayant. Les grooves sont (encore plus) dantesques, les structures céliniennes, les harmonies holdsworthienne (le titre éponyme de l'album est une dinguerie) et, toujours, les influences grégoriennes. Ces dernières continuent à donner cette sapidité si particulière. Le travail de mise en place et d'interprétation est incroyable, et au-delà de sa complexité technique, joue beaucoup sur les intentions de l'album. Comme "Pageantrivia" qui fait la part plus que belle aux accents, chacun semble être un petit trésor, d'une importance cruciale qui doit être joué avec soin, comme un secret dont chacun des musiciens serait le gardien. Ou comme "Nostre", et ses 4 mouvements, l'accordéon et le saxophone sont sur le ring, cette introduction superbe à l'accordéon, puis ce lead dans lequel il se grime en guitare pour laisser place à un saxophone tout aussi prolixe, le tout arbitré par une section guitare/basse/batterie métronomique.

Quelques oreilles fines relèveront ici ou là quelques subtiles et très diluées proximités avec les dernières productions de l'excellentissime Tigran Hamasyan dans lequel le bassiste de Ckraft officie. Un trois fois rien, quelques clins d’oeils réflexes, d’inconscients hommages dont on se délecte.

 

 

Là ou Ckraft excelle, c'est que alors qu' Epic Discordant Vision nous vendait un concept (un accordéoniste rencontre un groupe de metal et il y a aussi un sax), Uncommon Grounds présente le produit dans une sa version finale. Le groupe se connaît mieux, les places sont réparties plus intelligemment, chacun s'exprime plus librement et plus exhaustivement, les dialogues sont plus limpides, plus travaillés et, donc, expriment plus. Ils ont réussi cet impensable pari: faire mieux qu'eux même n'aurait jamais pu le faire.

 

 

On aime bien: CKraft qui confirme plus que jamais.

On aime moins: …

photo de 8oris
le 17/01/2025

10 COMMENTAIRES

Seisachtheion

Seisachtheion le 17/01/2025 à 11:06:43

200e chronique 8oris !!!! Félicitations ;)

cglaume

cglaume le 17/01/2025 à 11:38:30

Bravo 8o8o !!

8oris

8oris le 17/01/2025 à 13:08:40

J'aurais mis un peu de temps par rapport à certains mais c'est cool, merci messieurs! Et je suis d'autant plus content que ça tombe sur cet album. :)

Pingouins

Pingouins le 17/01/2025 à 14:39:20

🌟

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 17/01/2025 à 15:05:14

Ah bah GG collègue ! Et en plus c'est avec du jazz metal, tu régales nom de Zeus 😮

CKRAFT

CKRAFT le 17/01/2025 à 18:35:41

Merci 8oris, encore une chronique de dingue, tu nous honores !
Charles pour CKRAFT

cglaume

cglaume le 18/01/2025 à 10:32:00

Tu m'as convaincu 8oris. En plus ils sont français : j'achète !

Greg

Greg le 18/01/2025 à 13:43:19

Très très belle chronique, qui m'a beaucoup ému, bizarrement. J'ai découvert ce groupe grâce à coreandco, et n'ayant pas découvert le nouveau disque, cette chronique est pleine de promesses. 
La chronique fait honneur oui, elle est très bien pensée, elle est juste, les images sont douces et très vraies, connaissant la musique de Ckraft. Bravo à 8oris. Grande classe. 
Je vais donc acheter ce disque, comme je l'ai fait pour le précédent. 

Greg

Greg le 18/01/2025 à 13:59:41

Ah ben je l avais déjà acheté (pré commande) ;)

cglaume

cglaume le 08/02/2025 à 07:58:17

Après de multiples écoutes (cent fois sur le métier j'ai remis cet ouvrage, suite à ta chronique), je jette l'éponge. Trop piquant, trop cérébral, trop heurté pour moi. Je comprends qu'on puisse aimer, vraiment. Mais ce lieu est trop sévère, ce cadre trop universitaire : ça manque de chair et de chaleur ! Sans moi  :(

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