Ckraft - Epic Discordant Vision

Chronique CD album (04:40)

chronique Ckraft - Epic Discordant Vision

Attention, chronique fleuve, c’est pas la mode sur le web mais impossible de faire autrement. Pour les pressés, les fans du TLDR: si tu aimes le metal, le jazz et les groupes qui ont réellement quelque chose de neuf à apporter, regarde la note, check le style, ne réfléchis pas et fonce écouter CKRAFT. Pour les courageux, c'est parti...

 

Je ne compte pas le nombre de fois où un groupe décrit sa musique comme - je cite - "un mélange de insérer une liste de styles typés metal et de jazz". Si la promesse est alléchante sur le papier, la dégustation se révèle souvent décevante car dans la majorité des cas, ce style jazz n'est là que comme une explication (un peu facile) d'incursions musicales un peu inhabituelles (jazz?) dans un autre style plus conventionnel (metal!). Quelques exemples: le groupe a utilisé un accord à quatre notes dans un morceau: c'est du jazz, un riff à la signature rythmique asymétrique et hop c'est du jazz, un solo de saxophone sur une gamme brisée et hop c'est du jazz. Et je n’exagère qu’à peine. Dans le meilleur des cas, vous aurez le droit à de la fusion ou du prog, dans le pire des cas, vous aurez le droit à...bah de la fusion ou du prog aussi. Pour vous expliquez la différence entre la bonne fusion et la mauvaise fusion, je vous invite à consulter CGlaume. Pour le prog, faudra demander à Moland.

En outre, mélanger, métisser deux styles, disons le metal et le jazz, n'est pas chose aisée de prime abord. Il ne s'agit pas de jouer un riff métal puis une syncope jazzy et ainsi de suite car un gâteau, ce n'est pas une liste d'ingrédients qui se suffit à elle même, c'est une liste d'ingrédients mélangés selon une (sinon la) recette bien précise qui leur permettra de s’associer, de se compléter de la meilleure des manières. Dans bien des groupes, le choix des ingrédients fait souvent de belles promesses mais le résultat parfois blesse.

 

Mais pourquoi diable clamer que son style est jazz? A croire qu’avoir un côté jazz serait devenu vendeur dans le metal. Mais c'est très simple, ma bonne dame! Tout d’abord, l’explication vient peut-être du fait que le niveau technique du metal a considérablement évolué ces dernières années. Entre les Archspire et autres Obsidians, I, on ne sait plus où donner de l’oreille.

Il faut dire avouer que l’étiquette “jazz” fait classe, érudit musical et donne une espèce de label intellectualisant un projet et sa démarche artistique. Et pour cause, ami non musicien, sachez le, le jazz est sûrement un des style les plus délicats à aborder pour un musicien, celui qui mettra ses connaissances et son niveau à rudes épreuves car le jazz est une musique diablement savante mais outrageusement libre, un style qui se construit dans sa propre déconstruction, un style qui ne sort pas des sentiers battus mais cherche de nouveaux chemins à chaque fois différents, un style où l’improvisation sonne écrite et ou l’écriture sonne improvisée. Je ne suis pas un trVe fan de jazz, je connais mes classiques, quelques pépites par-ci par là mais j’apprécie grandement ce style que j’appréhende comme une étrangeté sonore jouée par une élite.

En bon fan de metal, je nourris depuis des années le fantasme de trouver le Graal..Mon Graal...Un groupe capable de véritablement proposer du jazz-metal d’une façon complète, aboutie, exhaustive; un groupe capable de démontrer l’équivalence parfaite entre ces deux styles dans une parfaite adéquation nécessaire et suffisante, sans jamais laisser un des deux prendre le pas sur l’autre.

 

Ce fantasme se serait-il transformé en réalité avec ce tout jeune groupe de l'est hexagonale, CKRAFT? Niveau CV, c'est déjà carrément crédible. Je sais bien qu’on ne peut pas juger sur cette simple base mais quand même...Quand le guitariste joue du Cor pour l’Orchestre Nationale de France (WTF?!), que le bassiste accompagne en live Tigran Hamasyan (sûrement l'un des meilleurs pianistes de jazz de ces dix dernières années et de loin mon préféré), que l’accordéoniste traînent ses guêtres chez Sayag Jazz Machine, que le batteur est un session guy bien occupé et que tout ce petit monde s’est rencontré au conservatoire, on se dit, au moins, “Tiens, ça va nous changer des projets montés par des anciens du M.A.I”.

Après, cette introduction affreusement longue, parlons un peu musique. CKRAFT propose donc un mélange parfaitement dosé de jazz et de metal le tout dans un format 100% instrumental. Vous avez donc de la guitare bien lourde, des rythmiques syncopées ultra tight, tout en retenu, pas très loin d’Animal As Leaders, des plans lead aux harmonies complètement improbables et géniales qui m'ont souvent rappelé l'approche de Coltrane et parfois celle de Ron Jarzombek (qui fait de la musique avec..euh..son nom). Par certains aspects, la musique pourra rappeler celle de Klone ou un genre de Mats/Morgan Band en plus électrique, plus puissant, plus lourd. Le rêve! Les plans leads sont globalement déments et comme ils sont joués aussi bien par le saxophone, la guitare, la basse, l’accordéon ou tous le monde en même temps, cela amène une certaine variation qui repose l'écoute. Petite originalité comme une cerise géante sur cet appétissant gâteau, le groupe utilise un accordéon augmenté, sorte d’instrument hybride bien plus bad-ass que la version d'Yvette via lequel Charles Kieny pilote des sons synthétiques en plus du son de l’accordéon, ajoutant ainsi une touche délicieuse à la fois originale et électro.

 

Là où le groupe excelle, c’est dans le dosage. Un peu avant-gardiste mais pas trop, ni trop jazz, ni pas assez Jazz, ni trop metal, ni pas assez metal, il y a bel et bien pourtant l'esprit de ces deux styles dans Epic Discordant Vision. Ainsi, malgré un caractère 100% instrumental, un album conséquent (50 minutes au compteur), on s’y laisse transporter sans aucun effort, aussi grâce à une track-list réfléchie qui amène assez progressivement l’auditeur depuis des choses “classiques” vers des choses beaucoup plus “free” ("Ave Echidna" et ses thèmes musicaux aux accents grégoriens (oui, oui comme dans "chant grégorien").

Un autre point qui m’a particulièrement plu est la sensation que le groupe ne joue pas la surenchère technique, tout semble “couler de source”, à aucun moment, l’auditeur, même s’il n’est pas un fan absolu de jazz, peut se dire “mais attend, c’est quoi ce truc? on dirait des notes complètement random!” car l’interprétation est d’une fluidité hallucinante et d’une expressivité à pleurer, lui conférant ce caractère magique du jazz: on ne comprend pas toujours tout mais ça fonctionne parfaitement. J’en arrive à la conclusion que CKRAFT, ce ne sont pas des musiciens de jazz qui jouent du jazz/metal, ce ne sont pas non plus des musiciens de metal qui joue du metal/jazz, ce sont des musiciens qui jouent.

 

Masterisé par le fameux Thibault Chaumont du Deviant Lab et enregistré par Marc Karapetian (de OneFoot et qui a été aussi bassiste pour Tigran Hamasyan au passage), le son de l’album est superbe, d’une chaleur incroyable. Saxophone ultra moderne, jamais criard (parce que ca growle un saxo, surtout ici, la vache), guitare bien croustillante et moderne, basse bien ronde et qui secoue le fond du futal, batterie au juste milieu entre claquant et mat (peut être un poil en retrait ceci étant).

 

 

 

Ni trop avant-gardiste, ni trop free-jazz, suffisamment déstructuré pour qu'on s'y perde mais suffisamment structuré pour qu'on garde une bonne visibilité, servi par un mixage réussi et chaleureux, Epic Discordant Vision est une véritable pépite musicale, un pur joyau instrumental jamais ennuyeux (metaaaaalll) et joliment complexe (jaaazzzz), une nouvelle preuve que la musique sait encore se réinventer et que le métissage jazz-metal, finalement, existe. Oui...Mon top de l’année 2022 vient de prendre un sérieux coup dans l’aile et la cuisse. Je crois même que ma quête du graal musical s’achève ici, là avec cet album.

 

 

On aime bien: un casting de rêve sur le papier pour un album de rêve, le dosage jazz/metal parfait, l'accordéon augmenté

On aime moins: ma carrière de chroniqueur pourrait bien s'arrêter ici

photo de 8oris
le 16/06/2022

9 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 16/06/2022 à 09:54:29

Ce que j'en avais écouté m'avait carrément bluffé !!!

8oris

8oris le 16/06/2022 à 11:00:04

Si tu écoutes le reste, tu pourrais être carrément bluffé aussi! ;)

pidji

pidji le 16/06/2022 à 21:56:59

En tout cas, super chronique, qui m'a donné envie d'y jeter une oreille !

Wlad

Wlad le 17/06/2022 à 11:10:36

L'album m'évoque, en plus poussé et en version jazz, l'un de mes albums préférés, le Matter de Crossing the Rubicon, qui faisait preuve du même talent pour mélanger les leads au saxophone et à la guitare, dans un registre djent/prog.
Ce Ckraft est fracassant. Je me demande juste quand le grand couturier s'est mis à la descente en eaux vives (quoi, ça ne se lit pas "CKraft, le raft de Calvin Klein" ?)

Vikingator

Vikingator le 19/06/2022 à 17:55:17

Bonjour,
Tout d'abord je souhaite féliciter pour cette belle chronique. Pour le coté jamais de réel groupe de jazz métal , il y avait tout de même Panzerballet qui était clairement monstrueux (album de reprise de Noël complètement dingue) . En tout cas belle découverte . merci et bonne soirée

cglaume

cglaume le 19/06/2022 à 18:01:51

Panzerballet, chroniqué sur ce site ;)

8oris

8oris le 20/06/2022 à 19:06:56

Je reconnais que Panzerballet tirait grave son épingle du jeu mais ils avaient une approche très technique (toujours en gardant un côté fun ceci étant) qui les rendent moins abordables.

Vikingator

Vikingator le 20/08/2022 à 10:55:06

Obsidians, I ? Je ne connais pas et je ne trouve pas pourriez vous m'aider s'il vous plait ?

Pingouins

Pingouins le 20/08/2022 à 12:21:43

Il s'agit probablement d'une coquille et du groupe Ophidian I, qui ont sorti un très bon album de death technique l'annee dernière. La chronique est trouvable sur le zine :)
Si je me trompe, n'hesitez pas à corriger !

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