Cleric - Retrocausal
Chronique CD album (01:18:44)

- Style
Trve Avant-garde Mathcore - Label(s)
Autoproduit - Date de sortie
8 décembre 2017 - écouter via bandcamp
Ami.e.s fans de mathcore vraiment très mathcore et de musique avant-gardiste vraiment très avant-gardiste, bienvenue, rentrez, ne prenez pas la peine de vous essuyer les pieds, c’est un vrai bordel (je vais vous raconter), les autres, vous trouverez plein d’autres excellents chroniques ici. Je préfère y aller franco parce qu’on va parler de Retrocausal, le deuxième album de Cleric sorti en 2017, 7 ans après Regressions, lui même sorti 7 ans après la formation du groupe en 2003. Les philadelphiens ne sont pas clients de la surproductivité et on comprend pourquoi.
Car Retrocausal, c’est 78 minutes d’un maelstrom proto-mathcorien avant-gardiste d’une densité à faire pâlir bien des habitués du genre, moi y compris. On se raccroche de temps en temps, le temps d’un riff, à des souvenirs des premiers albums de Dillinger Escape Plan (avec ces rythmiques irrégulières basées sur un simple accord diminué), à ceux de Car Bomb ("Lunger"), des plans à la The Number 12 Looks Like You (les petits leads jazzy bien sentis) et des attitudes musicales à la Naked City (pour toutes les échappées noisy free-jazz). On se raccroche de temps en temps mais on passe surtout son temps à décrocher, à trébucher, à se perdre entre le calme, la lourdeur, la puissance, la douceur, les affirmations musicales et les questionnements harmoniques.
Les morceaux n’ont aucun scénario, aucune chronologie, enchaînent les ambiances avec une liberté des plus totale. Ici point de structure clairement définie, aucune ritournelle mélodique déjà entendue. Retrocausal fait flirter l’anti-pop avec l’anti-folk. Même la technicité instrumentale est effacée au profit d’une totale progressivité musicale.
Cleric ne fait cependant pas dans la fusion fofolle, funky et rigolote. Ici, les sentiments, les émotions se mélangent avec une préférence pour une malaisance énervée s’appuyant sur une base hardcore. Et, comme seules évidences offertes par le groupe, ce sont les voix, l’approche des riffs de guitare qui permet des les affubler de cette étiquette. Une étiquette qui ne tiendra pas très solidement car Cleric n’affirme pas son style, ne cherche même pas à empreindre l’auditeur ce dernier, suspend sa définition, nie le concept même.
Retrocausal déroule ainsi ses 9 titres comme le résultat improbable mais prouvé d’une recherche musicale aboutie dans laquelle la maîtrise des musiciens est le tirage brillant d’un négatif mal cadré de cette liberté créatrice surexposée. Si cette dernière est souvent salvatrice, elle aurait été parfois plus dispensable comme ce "Resumption", de 13 minutes dont 4 pour un épilogue noisy-free-jazz inutile pour un album studio. Que dire de "Grey Joy" qui clôture l’album avec 7 minutes de vociférations jazz-grind-death hyperactives et son saxo schizophrénique. Album ou performance, entre les deux, on passe son temps à hésiter mais eux aussi apparemment.
Difficile de qualifier en des termes manichéens. Cleric, ce n’est finalement ni bon, ni mauvais. C’est parfois profondément intéressant et d’autres fois complètement claqué au sol. Mais dans tous les cas, c’est un album qui mérite autant l’attention d’écoute que l’intention d’écoute.
La production, quasi sous-marinière, renforce l'imperméabilité des morceaux. Peut-être qu’un traitement plus moderne (on est en 2017 quand même) aurait aidé l’auditeur à s’approprier plus facilement les morceaux. Cependant, sans être exceptionnel, le mixage est sans défaut majeur avec son côté très caverneux et très “post”.
Même tarif pour le track-listing qui ne propose pas une entrée progressive et en douceur dans l’album, réservant les morceaux les plus abordables au deuxième quart de ce dernier.
J’avoue avoir quelques regrets par rapport à ces deux partis pris du groupe de rendre l’inabordable encore plus inabordable. Une production plus brillante, plus travaillée sur l’équilibre aurait permis d'appréhender cet ovni musical plus facilement sans forcément compromettre la démarche générale.
Loin d’être un simple délire créatif fumeux, on décèle dans Retrocausal une véritable volonté de proposer quelque chose d’original, intense et travaillé. Mis en œuvre avec soin, parfait dans ses défauts et imparfait dans ses qualités, Retrocausal est aussi un pur projet de ce laboratoire d'instrumentistes fous qu’est Cleric, un prototype auditif issu d’une expérience musicale sans protocole. Si vous vous sentez l’âme d’un cobaye, foncez, vous ne serez pas déçus.
On aime bien: l’avant-garde pas très loin de son paroxysme, le niveau technique des structures, le sentiment d’une véritable recherche
On aime moins: vraiment rude à appréhender, certains passages qui semblent relever plus de la performance musicale que de la musique
4 COMMENTAIRES
Pingouins le 07/11/2022 à 14:21:56
Excellente chronique qui me donne bien envie d'aller me faire maltraiter les oreilles !
8oris le 07/11/2022 à 16:35:59
En espérant que cela ne dégrade pas notre relation! :D
cglaume le 07/11/2022 à 18:21:33
‘spèce de masochiste !!!
Tookie le 08/11/2022 à 07:06:14
Juste déçu que sur l'ecran de la caisse enregistreuse, le groupe n'ait pas écrit avec les chiffres le mignonnet "soleil" ou le plus ado attardé "Elle baise" (meilleure occupation au collège avant l'arrivée du Nokia 3210 dans ma vie).
AJOUTER UN COMMENTAIRE