Dirt Poor Robins - Anthems to the Edge of the Earth
Chronique CD album (01:25:08)

- Style
Cabaret Metal orchestral - Label(s)
Autoproduction - Date de sortie
17 mai 2021 - écouter via bandcamp
J'ai un peu honte, si si. D'avoir cédé à la facilité. Mais c'est leur faute, aussi, aux Dirt Poor Robins ! À l'heure des playlists et du streaming, je ne savais même pas que ça se faisait encore les « Greatest Hits » ! Il y a un quart de siècle, quand sortir une compilation signifiait placer de nouveaux CD dans les bacs – et donc engranger quelques pépettes supplémentaires – OK, cela avait un sens... Mais de nos jours ?
D'autant qu'il semblerait qu'Anthems to the Edge of the Earth ne soit pas une sélection mitonnée par le groupe lui-même, mais plutôt un regroupement de leurs titres les plus écoutés en ligne... Pour ça, d'habitude, on laisse faire Deezer / Spotify / Youtube / TaMèreEnStream ! C'est plus ou moins l'une des fonctionnalités de base de ces fast foods de la consommation musicale, non ? Quoiqu'il en soit, oui, j'avoue mon Père : j'ai cédé à la tentation. Plutôt que d'aller dénicher les pépites à la dur, en parcourant dans son intégralité, machette à la main, l'immensité luxuriante d'une discographie déjà bien fournie, j'ai fondu sur cette sélection prédigérée pour me gaver du plus-meilleur-du-haut-du-panier des créations de ces fantastiques troubadours des temps modernes.
Mais rappelons au lecteur tombé ici par hasard de quoi il est question. Dirt Poor Robins, c'est un couple de musiciens – si j'ai bien compris, car il est terriblement difficile de trouver des infos sur le line up des loustics – qui embarque l'auditeur dans des histoires romantico-steampunko-baroques éminemment cinématographiques (cf. Queen of the Night). Quoique, plutôt que de grand écran, on peut tout aussi bien parler de « comédie musicale » – d'ailleurs la pochette de The Raven Locks annonce « a new musical performed by ... ». Plonger dans cette musique gorgée d'émotions et pourtant éminemment rythmique, illuminée par une voix angélique et rehaussée d'orchestrations nuancées, c'est embarquer à bord de montagnes russes conçues par Georges Méliès. C'est suivre un cours d'horlogerie dispensé par Jack et [sa] Mécanique du Cœur. C'est Diablo Swing Orchestra dans des nuances sépia. C'est Major Parkinson qui aurait eu la bonne idée de confier son micro à Asphodel (Pin-Up Went Down, Chenille). C'est un émerveillement continu, un long fil de barbe-à-papa déroulé par un Tim Burton en mode Pierrot-la-lune, qui demande, afin d'être dégusté pleinement, de s'extraire un temps de sa carapace de gros métalleux buvant sa Kro à même le crâne de son ex-voisin fan d'Elton John.
Anthems to the Edge of the Earth, ce sont donc seize titres extraits des 4 premiers albums du groupe, ceux-ci se voyant remixés quand cela s'avère nécessaire (… j'ai écouté les titres originaux issu de The Cage, et en effet, la remise à niveau sonore leur a fait beaucoup de bien). Seize titres, plus un inédit : le superbe morceau-titre, qui justifie à lui seul l'écoute de ce florilège musical. Car celui-ci est un émerveillement continu. Des battements de cœur initiaux jusqu'aux chorales juvéniles et au solo Rock superbement sobre concluant ces cinq minutes vingt-huit, en passant par ces orchestrations merveilleusement équilibrées et – surtout – la toute-puissante féminité et l'indiscutable dignité d'une Kate DeGraide magistrale : tout ici est justesse, frappe majestueuse, maîtrise et volupté. Une putain de leçon. Et il ne s'agit que de la première piste...
Pendant une heure vingt-cinq, les Américains nous emmènent fumer dans de vieux clubs de Jazz (rendez-vous à St Germain, dans l'entre-deux guerres de « Maximilian Von Spee »), écouter des vinyles sous la couette (séquence émotion-édredon sur « Further Star »), regarder des Disney lacrymaux plein de feuilles mortes emportées par le vent (cf. « The Saints I »), danser le verre à la main dans le cabaret gitan des Barons of Tang (cf. « We Forgot We Were Human »), et même s'abandonner un temps à la fièvre Rock'n'Roll (« Leviathan » s'offre à mi-course une jolie parenthèse oldy-burnée typée Deep Purple, puis dérivant vers ZZ-Top pendant le solo). Mais ce ne sont pas tant les décors qui fascinent – quoique, à ce niveau, il y ait déjà largement de quoi s'impressionner les mirettes – que cette capacité à nous remplir le palpitant jusqu'à ce que celui-ci se sente terriblement à l'étroit dans sa cage thoracique. Car si le magnifique titre d'ouverture évoqué tout à l'heure participe pour beaucoup à cette expansion cardiaque, il peut également compter sur de nombreux complices soufflant tout aussi fort dans nos artères coronaires.
Parmi eux – c'est un crève-cœur de ne pas en citer plus, mais essayons de ne pas vous ensevelir sous un assommant panégyrique exhaustif – on ne peut pas ne pas citer « Welcome to Lady Hell », morceau dont la rythmique enjoint à claquer des doigts, et le refrain à la « Love is All » agit comme une formidable bouffée de bonheur qui met des papillons dans la tête et de l'optimisme plein les tripes. On doit également évoquer « Great Vacation », la superbe complémentarité de ses chants, la délicieuse vague mélodique qui berce son refrain, mais aussi le glissement réussi « en mode Gospel » sur la fin du titre. Il faut arborer la chair de poule provoquée par « All There Is », qui démarre sur un pizzicatto rappelant le « Sail Away » d'Enya, et ne quitte jamais plus la graduation « Sublime » sur le thermomètre mesurant l'altitude des plus hauts sommets musicolympiens. Il faut faire entendre la vaillance et les espoirs de la marche féministe entreprise sur « Anthem of the Seaward Suffragettes ». Il faut enfin suggérer la grandeur printanière de « Love Again », son fin filet riffé, ses sifflets insouciants et ses chœurs étrangement aspirés qui en font [encore] un [autre] tube évident que l'on ne peut qu'accompagner de clap-your-hands enthousiastes.
Ce genre de compilation est dangereuse. À tous les coups c'est l'une de ces douces illusions tissées par la Matrice. Car elle laisse l'impression que la vie est belle, que l'humain peut être sauvé, et que les lendemains pourraient chanter. Elle remplit le dedans de notre tripaille d'optimisme, de grâce, d'une douce et irrésistible chaleur organique. Alors qu'il ne faut pas nous prendre pour des dindons : on a tous vu le gris du dehors et les pleurs dans le petit écran...
Mais quitte à se voiler la face, plutôt que de se planter une aiguille dans le bras ou de choisir la pilule bleue tendue par Morpheus, quel bonheur... Non : QUEL BONHEUR de pouvoir écouter d'aussi transcendantes, d'aussi bienveillantes, d'aussi revigorantes musiques que celles proposées sur Anthems to the Edge of the Earth.
La chronique, version courte : Anthems to the Edge of the Earth compile les meilleurs moments du riche répertoire élaboré par Dirt Poor Robins sur ses quatre premières réalisations. Et c'est peu dire que cette corne d'abondance de presque une heure et demie constitue un trésor aussi scintillant que le magot sur lequel veille jalousement Smaug. Évoluant dans un élégant registre « cabaret cinématorchestral » situé aux frontières poético-sépia des discographies de Diablo Swing Orchestra et Major Parkinson, les Américains nous content des histoires fantastiques qui s'invitent plus qu'occasionnellement derrière le sternum pour nous remuer le dedans de la pompe vitale. Le genre de musique à vous rendre gaga-roudoudou le plus grincheux des barbares...
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