Drache - De Mauvais Augure

Chronique CD album (51:04)

chronique Drache - De Mauvais Augure

Approcher l’esprit créatif d’un artiste est toujours un exercice malaisé, surtout lorsqu’il s’agit de dégager en quelques dizaines de lignes les intentions, les pulsations de son auteur. Par crainte sans doute de les dénaturer, voire de les mésestimer… Cette crainte a été bien réelle à l’approche du De Mauvais Augure, premier album de Drache. Il faut dire que derrière ce projet se cache l’un des musiciens – avec le Russe Wintaar peut-être – actuellement le plus prolifique de la scène Black Metal européenne : Olmo Lipani a.k.a. Déhà. On lui doit sous cet alias près d’une trentaine de long et court formats depuis 2018, dont l’un des derniers, Decadanse, a été soutenu par Les Acteurs de l’Ombre. Nombreuses également sont ses participations à des projets collectifs dont les plus marquants seraient peut-être Acathexis, The Nest et Wolvennest. De sacrés Dream Teams à chaque fois…

 

Chose assez rare chez ouam – il m’a paru important, par l’entregent de Marie du label Transcendance, de rentrer en contact avec cet artiste belge pour tenter de pénétrer les arcanes de ce processus créatif complexe et habité qui traverse les 50 minutes et 4 titres de cet album, dont les premiers échos, largement positifs, ont fini de me convaincre d’y regarder et de l'écouter d’un peu plus près.

 

C’est tout d’abord l’artwork corbin qui m’a attiré. Ce grand passereau noir, compagnon idéal de la pluie, de l’hiver, du froid, a été souvent la victime expiatoire des pires maux et fragilités de nos sociétés passées, lui l’avant-courrier de la mort, le déchu, le déprécié, le malfaisant, le sale, le fourbe, le corrompu, la créature impie ; soit justement quelques traits saillants qui ont parfois collé et colle toujours au râble du Black Metal. Une telle marque visuelle suinte sur l’identité sonore de cette musique dénudée, sinueuse et, au total, très personnelle. Cette musique ne sonne en rien comme ce que l’on entend souvent, à savoir une allégeance revendiquée à ce Nord irremplaçable, le Nord scandinave. Rien de tel ici, car pour Déhà, il s’agit de déballer dans ce Drache un autre nord, « ce nord souvent oublié : la Belgique, ses mines, son froid, sa pluie, sa grisaille, sa platitude, son conformisme », tout en y inscrivant ses sentiments propres.

 

On se rend compte alors, dès le premier souffle de "Laissez-moi Seul", qu’il ne sera point besoin de palabrer de longs instants pour débusquer l’intensité et l’anxiété de cette plaque noire, qui s’articule justement autour de ces quelques mots, d’abord parlés, puis hurlés – « Laissez-moi seul » !!! –, de véritables résonances cathartiques. Quelle chair de poule provoqué par ce cri apotropaïque ! Déhà le hurle de manière si forte et itérative que cela rend joli chaque instant de solitude inviolée… Cette ambiance menaçante, épaisse et chromophobe ne s’affadit pas, lorsque approche "Extinction", le meilleur titre de l’album. Dix-huit minutes pour nous précipiter dans le spectre de ce nouveau projet, dix-huit minutes pour nous agripper les entrailles. Et rien de mieux que d’être soutenu dans ce dessein funeste par la voix sinistre de Brouillard, derrière laquelle se cache … Marie de Transcendance et avec laquelle une premier split album avait déjà vu le jour en avril dernier. Ici le Noir, trop souvent associé aux temps d’affliction et de pénitence, est beau ; le Noir est intense ; le Noir est épique.

 

Les dernières minutes portées par l’insertion de plus en plus franche dans le mix de la guitare sèche, telle une mince éclaircie, nous offrent un sursis à notre tristesse. Mieux elles créent une jolie bulle introspective.  Ce répit se poursuit d’ailleurs au début du morceau "Une Cellule Vide", où un autre guest de marque est à l’œuvre au chant : Corvus von Burtle (Wolvennest, Aerdryk, The Nest). Jusqu’à la fin de l’album et son ultime souffle "Souvenirs et Hivers", la trame demeure solidement ancrée : un riffing répétitif et crépusculaire au service d’une mélodie so(m)bre, des lignes de batterie entêtantes et bien en chair (pas de drums programmées ici) et un croassement mis légèrement en retrait dans le mix final pour en révéler toute la profondeur.

 

En fin de compte, après tant de créations et de collaborations, et si, ET SI ?, avec De Mauvaise Augure de Drache, nous tenions enfin là, entre nos mains et nos esgourdes, l’ultime objet musical de Déhà, celui-là même qu’il a si ardemment souhaité créer depuis le début de sa carrière… L’ultime, le plus abouti, le plus personnel peut-être bien, mais certainement pas le dernier !

photo de Seisachtheion
le 25/10/2022

3 COMMENTAIRES

Moland

Moland le 25/10/2022 à 08:14:54

Tu allèches. J'ai tellement adeuré The Nest, même si ici, ça n'a visiblement rien à voir. Belle chronique. 

Xuaterc

Xuaterc le 25/10/2022 à 16:47:07

Froid et implacable comme la pluie du Chnord

AdicTo

AdicTo le 28/10/2022 à 05:13:36

Merci pour la découverte :-)

Du coup j’ai aussi pris l’album de VERTIGE sorti plus tôt dans l’année. Très bon aussi.

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