Griffon - ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς

Chronique CD album (40:22)

chronique Griffon - ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς

Ambitieuse et déterminée, tels sont les deux adjectifs me venant à l’esprit lorsqu’il s’agit d’approcher le parcours et les intentions, passées et actuelles, de la formation parisienne Griffon, créée fin 2013 par Sinaï (guitare) et Aharon (chant). Un premier EP Wig ah Wag voit le jour très rapidement, un an plus tard. En 2016, lui succède l’album Har HaKarmel, qui traite alors de la mort du paganisme. Avant que le split Atra Musica sorti avec Darkenhöld en 2019 marque le début d’une collaboration marquante avec Les Acteurs de l’Ombre Productions, séduit par un Black Metal que notre Xuxu n’a pas hésité à qualifier de « classieux », « épique », voire « baroque ».

 

Ce même label n’a pas dû réfléchir très longtemps, avant de soutenir le deuxième long-format intitulé ὸ θεός ὸ βασιλεύς | o Theos, o Basileus. Pour pénétrer toute la richesse et la complexité de ce travail, vous ne pourrez guère faire l’économie de tenir compte du concept qui en a charpenté la réalisation, à savoir l’histoire féconde et tourmentée des relations entre pouvoir politique, d’une part, et pouvoirs religieux, d’autre part. Que les religions chrétiennes aient vu dans les monarchies un irremplaçable bras armé pour défendre et imposer leurs desseins ou que les rois aient fait de Dieu un inextinguible instrument de pouvoir, l’un ne cessant de renforcer et nourrir l’autre, c’est cette confusion ou plutôt cette collusion, propice aux violences et aux négations de l’Autre, qui a concentré ici tous les efforts d’écriture, de composition et d’orchestration de Griffon, et ce au moyen de huit morceaux, en fait de huit chroniques. D’ailleurs, toutes ces acceptions font l’objet, avant chaque titre, de plusieurs lignes explicatives bien venues, contenues dans un très joli livret que l’on ouvre avec autant de délicatesse et de plaisir que les frères Cyrille et Méthode le faisaient à leur époque avec leur sacramentaire. Les lyrics sont même laissées en grec dans le premier morceau, afin de suggérer la puissance évocatrice de cette langue, utilisée ici pour donner vie à plusieurs extraits du Nouveau Testament.

 

ὸ θεός ὸ βασιλεύς n’est donc rien de moins qu’un concept-album où l’Histoire est mobilisée, afin de placer l’auditeur – encore faut-il que celui-ci soit poreux aux ambitions savantes ainsi affichées – à mi-chemin entre spirituel et temporel, entre ciel et peuple. Misant sur la plasticité du temps, cette approche diachronique touche ainsi à des périodes, des acteurs, des évènements importants, qui embrassent toute l’ère chrétienne. Elle aborde tout à la fois les voyages de Paul de Tarse ("Δαμασκός" | "Damaskos"), le culte impérial antique ("Apotheosis"), les persécutions confessionnelles qui traversent l’histoire de l’Empire romain ("Abomination", "My Soul is Among the Lions") et de la monarchie française ("Les Plaies du Trône") et le très georgesdubyesque dimanche de Bouvines ("L’Ost Capétien"). Le morceau "Régicide" nous amène même jusqu’à aborder les relations heurtées entre l’État et l’Église au … XIXe siècle, avec notamment les discours du début des années 1870 de deux hommes forts d’une jeune et bien fragile Troisième République : l’un est monarchiste, Mac-Mahon, l’autre est républicain opportuniste, Gambetta. Le Drapeau blanc finira par tomber. Définitivement. En dépit de quelques maladresses, à l’exemple de l’usage inadéquat du mot « totalitarisme » pour la période médiévale ou moderne, l’ensemble conceptuel défendu tient la route. Le thème choisi permet à cet opus de dégager une forte identité visuelle : il autorise en effet une richesse hiératique de mots, de symboles et de couleurs visible aussi bien sur la pochette que sur le layout, orné d’un chrisme, mais aussi de croix grecques et latines.

 

Layout artwork de o Theos, o Basileus

(travail de Tedd, Mehxôhorr Artworks)

 

Et le son dans tout ça ??? Et bien, la patène de Griffon est fort bien garnie ! Le quintet parvient à dégager de son travail d’écriture et de composition une originalité certaine, si bien que ses sensibilités néo-classiques et son attrait par les civilisations gréco-romaine et chrétiennes (catholique comme orthodoxe) permettent à la formation parisienne de proposer quelque chose de relativement différent par rapport au Pagan/Medieval Black Metal proposé entre autres par Aorlhac, Darkenhöld, Sühnopfer ou Véhémence.

 

Nos oreilles seraient davantage ointes ici d’une sorte de Havukruunu à la sauce byzantine ! Cet album buissonne d’orchestrations (à l’exemple de la guitare, du clavier et des intrus à vent mêlés dans "L’Ost Capétien" ou encore de la pause instrumentale "…et Praetera Nihil"), de samples (prières, incantations) et de paroles lentement lues ou psalmodiées (tels les mots de Châteaubriand prononcés avec solennité dans "Régicide"). Grâce à une réalisation impeccable dans le mix final, où la basse joue un rôle déterminant de liant et de fixateur des mélodies, le tout s’enchâsse avec force et fluidité avec la rapidité et l’agressivité portées par le Black Metal. L’ambiance peut être parfois pesante, sombre ("Régicide") et même mélancolique ("Les Plaies du Trône"), à l’image de l’obscurité dans laquelle se précipite une Humanité prisonnière de ses tensions religieuses. L’agilité et la diversité du Black mélodique défendues par Griffon prennent tout leur sens avec le superbe "Abomination", où les notes légères des premières secondes font place à un passage fracassant, puis aux chants lugubres d’Aharon ! Une buterie. Le titre "My Soul is Among the Lions", dont les segments au chant clair font de suite penser au Maïeutiste, m’a certes moins emballé que le reste, moins marqué que l’outro "Apotheosis" aux lignes mélodiques pénétrantes, mais je ne pourrai pour autant le réduire à une pâle mélopée…

 

Face à un tel decorum musical, riche, sensible et soigné, en un mot impétueux, il n’est pas étonnant de voir qu'armé de son second album, Griffon affiche une belle communion avec l'ecclesia Ladlo, et plus généralement avec la communauté des (Black) Metalleux, qui connaîtra à coup sûr en 2021, grâce aux efforts de ce label surinvesti, un nombre d’adeptes de plus en plus significatif !

 

En attendant, ὸ θεός ὸ βασιλεύς est – avec Y de Borgne – la sortie 2020 la plus probante proposée par Les Acteurs de l’Ombre, que je trouvais quelque peu essoufflé par rapport aux propositions de l’année passée. Il semble donc que je me sois égaré…

 

… Aussi suis-je enchanté que ma dernière chronique de l’année soit celle-ci.

photo de Seisachtheion
le 29/12/2020

2 COMMENTAIRES

Xuaterc

Xuaterc le 29/12/2020 à 13:14:10

Une grosse sortie, riche et pleine de surprises plaisantes

Aharon

Aharon le 29/12/2020 à 17:06:09

Merci à toi.
Pour la question des "anachronismes", je peux essayer d'apporter quelques précisions pour expliquer ma démarche. L'idée n'est pas de faire des textes qui collerait politiquement à la vision de l'époque. J'essaye plutôt de mettre un regard contemporain sur des évènements du passé.
C'est ce que j'ai notamment essayé de faire sur l'Ost Capetien. Le morceau est complètement anachronique en de nombreux points en ce qu'il présente Philippe II et la France comme étant le continuateur de la Roma Aeterna tant païenne que chrétienne. C'est une vision complètement fantasmé, anachronique et objectivement très contestable historiquement parlant.
L'idée avec ces textes n'est pas de faire de l'Histoire (pour cela il y a la recherche), mais plus de créer le "Mythe". L'idée c'est que la musique a une fonction actuelle.

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