Habak + Fractal - Habak / Fractal split

Chronique CD album (31:57)

chronique Habak + Fractal - Habak / Fractal split

« Welcome to Tijuana, neocrust, post-rock y poca alegría » aurait pu chanter Manu Chao s'il avait écrit les chansons de Clandestino une grosse vingtaine d'années plus tard.

 

Mais si Manu Chao n'a rien à voir avec cette chronique (et quelque part tant mieux), Tijuana oui, puisque c'est de cette ville que sont originaires les deux groupes réunis sur le présent split : Habak et Fractal, qui se partagent donc ici une grosse demi-heure de plages audio.

 

Habak, qui ouvrent le bal avec trois morceaux, est un groupe que je suis depuis quelques années, ayant beaucoup aimé leur EP de 2018 Un minuto de obscuridad no nos volverá ciegos, proposant un neocrust somme toute relativement classique, assez mélodique et pas vraiment offensif, mais plutôt bien foutu.

Un album (Ningún Muro Consiguió Jamás Contener la Primavera, 2020) et quelques années plus tard, on retrouve dans les trois morceaux proposés sur ce split l'évolution assez logique de la musique du combo mexicain, qui agrémentaient leurs compositions de sections à la limite du post-rock et de mélodies mine de rien assez lumineuses. Cette différence de tons dans les mélodies est assez déterminante de la différence entre leur EP et leur album.

 

Ici, on retrouve donc cette dynamique, avec ces introductions typées post-rock (aux influences Explosions in the Sky / Red Sparowes, je dirais, notamment avec cette basse bien mise en avant) ou acoustiques pour chacun des trois morceaux, toujours ce sens de la mélodie, et le fracas qui s'ensuit et auquel on se prépare, assez classique au niveau de la structure donc, mais relativement différent sur chacun des morceaux.

Si « Cataclismos » passe au neocrust au bout d'environ une minute, plutôt dans le courant anglais que dans celui ibérique, suédois ou nord-américain, « Nuestra Condena es el Colapso », teinté de postcore, ira chercher les transitions blastées avant les breaks neocrust typiques, tandis que « La insignificancia de la vida cotidiana » enclenchera des parties d-beat avant de s'abandonner sur une fin plus ambient, ouvrant logiquement sur la deuxième partie instrumentale du split.

 

Du côté vocal, Alex se râcle bien la gorge, de façon consistante mais assez monocorde. Peut-être manque-t-elle d'un poil de puissance et d'agressivité pour le style pratiqué, mais elle fonctionne tout de même très bien en tant qu'élément musical intégré à l'ensemble de l'orchestre, sans forcément devoir être trop mise en avant. Et vu le caractère assez mélodique de l'ensemble musical, ça passe. Personnellement, j'aime beaucoup sa voix.

Notons par ailleurs qu'elle a été présente parmi les multiples guests au micro sur le dernier album de Morrow, The Quiet Earth, et qu'Alex CF (Morrow donc, Fall of Efrafa, Anopheli, Archivist....) a dessiné l'artwork de leur album de 2020. Et là encore, ça colle avec les influences que l'on ressent dans la musique.

 

En ce qui concerne les paroles, les hispanophones pourront les trouver sur leur bandcamp. Pour les autres ou celles et ceux qui ont la flemme, les mots d'Alex, souvent poétiques, parlent de politique vécue à la première personne, d'influence des structures étatiques et économiques dans la structuration des désirs, des imaginaires, des oppressions dans lesquelles nous nous enfermons, d'un point de vue anarchiste sur le monde et sa perte de sens. Vous aurez donc une idée de la gamme chromatique vestimentaire des membres du groupe. Et aussi une explication du choix d'autoproduire ce split, dans la plus pure tradition DIY.

 

Pour celles et ceux qui apprécient la direction musicale d'Habak sur ce split, vous pouvez vous rendre du côté des guêpes et papillons de leur album de 2020. Pour les autres, qui aiment les choses un poil plus sombres (mais qui restent mélodiques tout de même), ce sera le lapin-poulpe d'Un minuto de obscuridad no nos volverá ciegos à qui il faudra rendre visite.

 

Fractal, pour leur part, que je découvre sur ce split, arborent dès les premières minutes un son finalement presque plus sombre, écrasant les fûts, distordant la mélodie, que leurs comparses de Habak, à rebours donc de ce qu'on aurait pu imaginer au vu des étiquettes inscrites sur le papier.

 

Moi qui ne trouve souvent pas mon compte dans le post-rock, je trouve qu'on passe ici un très bon quart d'heure avec cette composition de Fractal, assez chargée en mouvements et en détails, en changements de rythmes, pour que l'on ne s'ennuie pas : le quartet ne se contente pas de faire une montée aérienne, il prend le temps d'intégrer et d'ôter des éléments, d'inviter le spectateur à contempler certaines petites touches, à reprendre son souffle, sans jamais tomber dans le mièvre. Ce qui est souvent un obstacle majeur dans le style. Et on notera de beaux accompagnements au violoncelle, qui fonctionnent vraiment bien (vers les 12:00 notamment).

On aurait finalement presque l'impression, à les écouter, qu'ils n'ont juste pas trouvé de chanteur ou de chanteuse pour venir les rejoindre, mais s'en sont bien accommodés.

 

On pourra peut-être regretter que la basse soit cette fois moins audible dans le mix, puisqu'elle aurait éventuellement pu apporter son significatif lot de détails supplémentaires et de jouer sur le changement d'instrument qui mène la danse (qui, ici, est un travail partagé entre guitares et batterie selon les sections).

Mais au bout du compte, ces quinze minutes défilent assez vite, sans véritable temps mort, ce qui est un bon étalon de la qualité de la composition du groupe.

 

Réunir sur ce split deux groupes officiant dans des styles a priori assez éloignés était un pari peut-être risqué, qui a plutôt bien fonctionné, les deux se complétant et interagissant plutôt bien pour aller explorer et développer une gamme d'émotions (plutôt sombres, vous l'aurez compris) en de nombreuses nuances. Même si le format choisi (trois pistes de cinq minutes avec chant, puis une d'un quart d'heure instrumentale) était à mon sens un peu casse-gueule pour le maintien d'une cohérence d'ensemble, la tension de fond installée par Fractal est suffisante pour soutenir l'effort d'Habak qui les précèdent.

 

Bref, on a donc un groupe de neocrust pas trop offensif et un groupe de post-rock tendu, les deux assez qualitatifs. Est-ce que le fait de faire ce split a orienté le travail de composition de chacun des deux groupes en ce sens ? Je ne sais pas, mais je trouve ça intéressant tout de même.

Maintenant, à vous de voir.

 

A écouter empreints de mélancolie estivale.

photo de Pingouins
le 24/08/2022

1 COMMENTAIRE

Pingouins

Pingouins le 24/08/2022 à 13:33:20

Ah merde, j'aurais tellement du mettre "crustgaze" comme style, pour faire plaisir à Crom :D

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