Impure Wilhelmina - Antidote

Chronique CD album (52:12)

chronique Impure Wilhelmina - Antidote

Dans le DVD "Tour 66 Stade de France" de Johnny Hallyday sorti en 2009, on voit un homme pleurer d'émotion.

Ce passage, qui ne dure qu'une minuscule seconde sur les 120 minutes de concert, me hante depuis des années. J'en ai fait une fixette au point d'imaginer toute une mythologie autour de ce spectateur passionné. Je lui ai donné un prénom, Jacky, je lui ai construit une vie, une histoire à partir de constats sociologiques (à l'emporte-pièce) observés chez des fans de Johnny.

 

Je n'arrivais pourtant pas à répondre à la question qui me taraudait :

"Comment un bonhomme, répondant aux canons de la virilité (le genre de mec qui te traite de PD si tu utilises un allume-feu pour ton barbecue, qui te fait des appels de phares et menace de te péter la gueule parce que tu doubles à 127km/h au lieu de 130, qui, malgré l'âge, cherche encore à impressionner sa femme à la fête foraine en explosant le score de la machine à coup de poing) peut se mettre à chialer comme une madeleine, au milieu de 80.000 spectateurs, lorsque Johnny chante en duo avec Sylvie Vartan ?

 

Pendant des années, je me suis gentiment moqué de cet inconnu...jusqu'à ce que je comprenne...que je suis comme lui.

Je n'ai pas la larme facile et mon émoi ne se réveille pas lorsque Jojo refuse de mourir d'amour enchaîné, mais, malgré les centaines de groupes que j'écoute, aucun ne me retourne comme Impure Wilhelmina. Cela fait bientôt deux décennies que ça dure, et il ne me surprendrait pas qu'Hallyday parle également, depuis son adolescence, au chouineur en marcel.

 

Impure Wilhelmina ne remplit pas les stades et exerce son art dans un genre de niche, il est malgré tout parvenu à fidéliser un public qui se hâte sur chaque sortie pour retrouver cette pelletée d'émotions que soulève la musique des Suisses.

À l'instar de l'autre chignard tatoué d'un chien-loup, je me sens à chaque fois hyper touché par les mots et une musique qui m'accompagnent depuis mes 17 ans.

Aujourd'hui âgé de 36 ans, cette affirmation n'a jamais été aussi vraie avec Antidote.

 

 

Septième album d'une "aventure" débutée il y a 25 ans, Antidote n'est donc pas l'œuvre de jeunes puceaux de la scène mais de personnes qui ont traversé les années comme musiciens et tout simplement comme hommes.

Avec tout le poids que cela incombe.

À commencer par celui de l'expérience. Et l'expérience, c'est avoir deux jambes avec d'énormes mollets hyper musclés auxquels sont attachés des gros boulets.

Autant dire qu'IW a des jambons de cycliste mais la "Wrecking ball" de Miley Cyrus comme bracelet de cheville, car, en plus de ses sept albums (et une poignée de sorties plus courtes), les Suisses ont une personnalité, une singularité éclatante, reconnaissable entre 1000.

Inimitable, le groupe prend à chaque fois le risque de l'auto parodie et de devenir sa propre caricature.

 

Sur Antidote, encore une fois, la bande parvient à mêler ce qui fait sa personnalité...

 

-le travail harmonique des deux guitares

-la mélodie mélancolique / grave (avec une énorme prédominance sur le chant clair)

-la section rythmique et son rythme "bâtard", lourd, une rondeur de la basse, une frappe qui ajoute en gravité.

-le genre indéfinissable (trop dur pour être simplement du "rock" / pas vraiment "metal" / pas "hardcore" mais style et son conviennent aux coreux)

 

...avec des éléments qui lui sont plus nouveaux.
Cela peut se faire par quelques petites touches (des solos de guitare beaucoup plus variés disséminés sur tout l'album / Le passage Deafheaven-ien / black-metal de "Dismantling" -Notons que Michael a un passé black braillard avec Vuyvr-) ou une écriture plus complexe (on y revient dans quelques lignes).

Dans le même temps, on peut dire qu'IW regarde dans le rétro sur quelques titres ("Solitude", "Gravel") en se disant qu'ils n'auraient pas dénoté sur les premiers albums. Paradoxalement, ce petit goût d'ancien...est nouveau, sans être un pénible clin d'œil, un relent nostalgique, ou une redite peu inspirée. Juste un agréable et mesuré rappel...

 

Cet album est aussi une ouverture vers des titres à l'abord plus alambiqué. Ce virage est abordé avec "Jasmines" (et se retrouve sur "Unpredicted sky"). S'il n'a jamais eu peur d'attaquer des morceaux "longs" qui tournent autour des 7-8 minutes, IW n'avait jamais eu autant d'aisance à laisser parler son "côté prog'"...et "ambiant".

L'occasion de reparler...de Vuyvr qui prenait également le temps de mêler cet entre-deux ! On retrouve cette ambiance "vapoisseuse" (vaporeuse mais poisseuse / lourde) amenée par le clavier, le chant et le son d'un "malaise".

L'héritage de l'expérience Vuyvr est aussi cette intensité ténébreuse qui nécessite un paquet d'écoutes afin d'en dégager toutes les subtilités.

La subtilité : une constante palpable également dans toute la discographie d'Impure Wilhelmina.

 

Antidote peut charmer, "accrocher" son auditeur avec quelques mélodies prenantes sur les premières pistes avant que les choses ne se compliquent sur le second bloc de l'album. Plus tortueuses (à l'exception du magnifique titre "Vicious" dans le pur style d'Impure et de l'interlude "Antidote"), ces pistes, copieuses, vont simplement demander plus de temps pour être digérées.

 

Ces 52 minutes sont aussi une affaire de mots (et si j'étais aussi peu inspiré que Sartre, je dirais aussi de maux, mais je ne me laisserai pas aller à cette facilité).

 

Michael Schindl nous confiait ici-même en 2017 : "Parler d'un sujet qui n'a pas une forte résonance en moi ne m'intéresse pas".

À titre personnel, c'est ce qui m'intéresse le plus dans IW (et en particulier dans cet album) car je me suis rendu compte que nous vieillissons ensemble. Que les thématiques de Michael évoluent avec le temps...et qu'elles sont, malgré les années, très proches des miennes. Qu'un homme dont je ne connais rien, avec lequel j'ai échangé timidement 12 mots il y a 5 ans s'exprime en musique sur des sujets qui ont aussi une forte résonance en moi.

"Midlife hollow man", "Dismantling", "Vicious", "Torrent" : dès la première écoute les pistes défilaient, et les mots étaient là. Chantés, criés, posés : peu importe la manière, ils étaient là.

Le frisson qui nous parcourt adolescent lorsqu'on entend un artiste dire "ce que l'on ressent" se prolonge à l'orée d'aborder la seconde moitié de ma vie.

 

Et là j'ai repensé à mon gaillard, Jacky, le fan larmoyant.

Parce que son Johnny a peut-être réveillé son passé mais peut-être aussi lui parle-t-il de ses craintes, peurs, amours perdus etc. Toujours est-il qu'on partage à peu près la même émotion. Et là je me suis moins foutu de sa gueule : parce qu'avec Antidote, je me suis rendu compte que Schindl était mon Johnny.

 

À la différence tout de même notable qu'Hallyday n'a jamais été foutu d'écrire lui-même une seule parole. Et si c'était donc tout simplement la performance vocale qui lui parlait ?

 

La voix. En voilà un point très clivant dans Impure Wilhelmina.

La singularité du chant clair de Michael, a une empreinte énorme sur le ton et l'univers musical du groupe.

Elle semble être un frein pour la conquête d'une audience plus large : "trop fragile", "geignarde", "pas assez dure" et je passe d'autres commentaires (que je ne comprends pas). Ils semblent toutefois oublier que :
 

-l'originalité, la singularité c'est aussi sortir d'un cadre. Quitte à sortir de la justesse ("Torrent") pour mieux capter l'imperfection naturelle d'un moment sincère.

 

-Contrairement à Johnny, Michael chante ses mots, rendant la démarche 1000 fois plus intéressante.

 

Jacky, lui, lâche une larmiche sur un interprète qui se contre-branle de ce qu'il chante. Alors que mon Michael, lui, il y met tous ses tripes. Cela ne correspond pas aux attentes canonisées dans ce monde où tout est lissé, chirurgical, dénué de toute imperfection (en un mot : chiant). Ici chaque mot sonne plus "vrai", plus "touchant", plus prenant.

Evidemment, on peut ne pas aimer la voix, tout simplement (les goûts les couleurs) mais il ne faut pas craindre d'habituer ses oreilles à son chant tant il renforce chaque mot...et inversement !
 

Tout cela est à faire sans oublier qu'entendre n'est pas écouter et que lire n'est pas comprendre. Et comme tout album d'Impure Willhelmina, il demandera beaucoup de temps...

 

Enregistré dans le contexte que l'on connaît en 2020-2021, Antidote est un mot qui ne peut que nous parler.

Mais Antidote peut prendre une autre signification (On demandera quand même un de ces quatre aux intéressés l'histoire -s'il y en a une- autour du choix de ce titre).

Car comme Johnny avec Jacky, Impure Wilhelmina fait du bien. Peut-être à ses membres, mais assurément à ceux qui les écoutent.
Cet album est un antidote, qui soigne le mal...par le mal...mais qui le fait très bien.

 

photo de Tookie
le 20/05/2021

7 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 20/05/2021 à 09:55:27

Mais pourquoi as-tu maté "Tour 66 Stade de France" ???? :P

Tookie

Tookie le 20/05/2021 à 10:00:27

Je savais que ce serait la première question !
Il y a une douzaine d'années, lors d'un passage à la FNAC, c'était le DVD qui tournait...
Et parfois, je me fais plaisir à en regarder un montage autrement plus dans mes goûts musicaux... (et on voit le mec qui pleure)
https://www.youtube.com/watch?v=wkiWu_7WIPM

cglaume

cglaume le 20/05/2021 à 13:40:27

Là oui :D

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 20/05/2021 à 19:21:14

Totalement et toujours définitivement pas mon truc.

Freaks

Freaks le 20/05/2021 à 23:13:33

Sans dec Cromy t'as pas aimé!?Aha ;)
La première écoute ne m'a pas plus parlé que ça.. On retrouve tout le travail subtil autour du riffing et l'ambiance morose qu'on connaît au groupe, ça manque juste de titres accrocheurs. En tout cas, émotionnellement je reste un peu sur ma faim... A voir en écoutant d'avantage, c'est souvent comme ça avec ce groupe...

Freaks

Freaks le 20/05/2021 à 23:15:10

Pour le chant, c'est comme si on arrivait pas à déterminer entre ce qui est beau ou repoussant.. J'crois qu'on appelle ça le charme ;)

CTEkills

CTEkills le 02/06/2022 à 09:05:59

Encore un très bon album du groupe. Comme toujours. Je n'attends pas d'écouter un ténor ou un soprano quand j'écoute un groupe underground comme Impure Wilhelmina, j'attends de l'authenticité. Ce manque de justesse et cette accent apportent une fragilité qui scied parfaitement à la musique et au texte du groupe.

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