Lathe - Tongue of Silver

Chronique CD album (36:18)

chronique Lathe - Tongue of Silver

Quand on parle de cette frange si particulière et reconnaissable du rock, on pense à certains de ses plus évidents fers de lance, des Ecossais de Mogwai aux Canadiens de Godspeed You! Black Emperor, en passant par les Irlandais de God is an Astronaut, entre autres, qui ont tous marqué de leur empreinte l’année 2021 avec de monstrueuses sorties contribuant à entériner la légitimité de l’adage de circonstance selon lequel l’année sera post-rock ou ne sera pas. Dorénavant, il n’est pas impossible de devoir compter sur de nouveaux venus qui, non contents d’ajouter leur modeste nom à une pléthorique liste de formations de bon aloi, redéfinissent les règles du genre en bousculant ses lignes et ce, sans forcer le trait mais avec une identité d’ores et déjà bien assumée. Présentations.

 

Adonc, msieudames : Lathe. Ils nous viennent de Baltimore, Maryland, Etats-Unis, et ceci représente leur tout 1e méfait. Dès son entame, on saisit l’intention de départ, et la destination du voyage qui débute avec l’insouciance de ceux qui savent que rien ne sert de courir puisqu’il s’agit de partir à point. Exit les références du post-rock citées plus haut. Le trio puise ses influences plutôt dans les univers de Ry Cooder quand celui-ci signe la BO de Paris, Texas, le chef d’œuvre de Wim Wenders, en électrisant l’ensemble pour le plonger dans une neurasthénie légère, ou de David Lynch quand celui-là lance un vieil homme sur les routes de campagne, juché sur son tracteur-tondeuse, à la rencontre de son frère, mais aussi des visages modestes de l’Amérique croisés en chemin. Eh non, chers contrefaiseurs, nous ne parlons pas là du BangBang Bar de Twin Peaks mais de The Straight Story, ce road-trip de 1999 présenté au Festival de Cannes pour lui insuffler une bonne dose de poésie striée d’éclairs. On l’aura compris, les paysages qui se déploient dans l’esprit de l’auditeur à l’écoute de Tongue of silver se gorgent d’une dimension hautement cinématographique. Devant lesquels on peut allègrement tomber (et non être) en pâmoison. Ce sont là de grands espaces qui se déploient au gré des partitions du groupe, dans lesquels on se fond volontiers sans la moindre méfiance.

 

Car la musique de Lathe se montre amène, rassurante et apaisante. Elle ne sort pas des sentiers battus, ne cherche pas à explorer de vastes terres arides et vierges, mais chemin faisant, sans se perdre, dans une paradoxale dynamique, elle avance en adoptant son propre rythme, sa propre démarche, singulière et affirmée, elle n’hésite pas à soulever la poussière et ne s’embarrasse pas de celle qui reste collée aux semelles. C’est donc tout naturellement qu’elle vient mêler celle-ci aux volutes qui s’échappent des esquisses de sourires plongés dans la pénombre d’une fin de journée cuite au soleil qui l’accueillent quand elle pousse les portes à double-battants des saloons isolés qui n’ont rien des lieux interlopes tapis derrière les lisières des forêts frontalières. Prenez « Heat wave ». Comme son titre l’indique, ce morceau se traîne dans la nonchalance d’une chaleur languide et partant, laisse les perles de sa sueur rouler de manière sensuelle le long de ses 4 trop courtes minutes. Est-ce là ce que le combo définit lui-même comme du country doom ? Amusante étiquette, quand on envisage sa musique comme du post-rock coiffé d’un Stetson.

 

Quand la musique de Lathe finit par crisser, notamment à la fin de la course effrénée de « Rodeo Fumes », sur fond de rallye de monster trucks, on pense forcément à Earth et son doom dronesque ou même à Sunn O))) et ses expérimentations sonores quand le titre se prolonge sur les nappes telluriques de « 351W » et on se dit qu’on tient là un des éléments constitutifs de son originalité. Chez Lathe, ça swingue au moment idoine, en cadence, ça se vautre dans le blues folâtre, face aux astres incandescents, ça livre de l’americana enroué, et si une certaine menace pos-métallique peut se tapir au détour des arrangements qui vrombissent et des accords bavards à la verve traînante, comme sur « Journey to the East », petit bijou qui progresse imperceptiblement et opère des métamorphoses silencieuses, c’est toujours avec ce rictus goguenard qu’arborent ceux qui savent qu’il parviendront à destination avant vous, et qu’ils vous survivront. Il y a dans la musique de Lathe cette force tranquille qui bouillonne et jaillit avec la précision du geyser le plus ponctuel de Yellowstone. De ces 1001 nuances, le groupe tire un album parfaitement équilibré qui représente un galop d’essai plus que convaincant, puisqu’il continue à habiter l’auditeur, longtemps après sa dernière note évaporée dans le silence. La poussière des semelles, portée par la moiteur hypnotique de l’ensemble, sait virevolter dans les rais de lumière avant de disparaître, non sans vous avoir laissé son goût sur la langue, le cœur et l’esprit.

photo de Moland Fengkov
le 07/09/2022

3 COMMENTAIRES

Dams

Dams le 07/09/2022 à 13:48:45

Vraiment classe, merci pour la découverte !
Cela me fait penser à une version énervé de Calexico par moment.

Dams

Dams le 07/09/2022 à 13:50:24

*énervéE ! 🙈

Moland

Moland le 07/09/2022 à 14:27:32

Avec plaisir. Calexico, je connais que de nom. Du coup, vais aller écouter. Merci pour la référence. C'est ça que j'aime, en musique, comment un album ou un groupe peut permettre de dérouler des fils vers d'autres artistes. 

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