Navian - Cosmos
Chronique CD album (38:46)

- Style
Modern Prog printanier - Label(s)
Indie Recordings - Date de sortie
19 novembre 2021
écouter "Breeze"
Reset, sorti à la rentrée 2020 (et non pas « rentré à la sortie 2020 », ce qui ne voudrait rien dire), nous avait fait l’effet d’un massage sensuel effectué dans l’oasis matinal d’un jardin tropical tempéré par une brise printanière. Le Prog moderne mais organique, pointu mais doux, instrumental mais narratif de ces Norvégiens nous avait touchés en plein cœur, comme seul un mélange onctueux mais subtil de Scale The Summit (un bon 80%), And So I Watch You From Afar et Animals As Leaders (les 2 se partageant à peu près équitablement les 20% restants) aurait pu le faire. Un an plus tard, l’arrivée de Cosmos était donc la promesse potentielle d’un enchantement nouveau, entre apaisement et émerveillement, la perspective que l’incroyable EP précédent ne soit qu’une ébauche précédant un chef d’œuvre longue durée encore plus époustouflant ayant de quoi faire gronder les feux intérieurs d’une curiosité dévorante et d’espoirs fous.
On ne va pas faire semblant : Reset avait reçu un 9/10 mérité alors que Cosmos ne se voit attribuer qu’un asymptotique 7.99/10… « Il doit y avoir une pointe de déception quelque-part, mon cher lapin ! ». Légère, la pointe. Mais réelle, en effet. Mettons ‘de suite les choses au clair : je ne suis pas étonné par les excellentes notes aperçues ici et là sur le web. D’ailleurs je les comprends, et je ne peux pas dire qu’elles ne soient pas méritées. Sauf que le brillant trio a perdu un petit quelque-chose en chemin. Allez, abordons directement les points qui fâchent, en y allant crescendo :
- Pour commencer Navian a décidé d’enfoncer un peu plus profondément le clou synthético-électroïde en recourant plus fréquemment aux épaisses nappes de clavier et aux roucoulements non organiques. Ce n’est pas forcément une tare – la magnifique iridescence soyeuse qui ouvre « Luna » est par exemple le fruit d’un tel choix artistique – mais ce type d’orientation aurait plutôt tendance à brosser votre interlocuteur dans le sens inverse du poil. Voyez donc pourquoi en écoutant le synthé rose bonbon recouvert d’un tapis de glitcheries qui ouvre « Apricity », ou en découvrant le début de « Duchess ». Mais après tout, le chef d’œuvre Weightless était lui aussi assez froid, presque cyber… Alors là ne doit pas être le fond du problème…
- On pourra ensuite être gêné par une certaine homogénéité de ton, et une approche certes sophistiquée mais au final assez récurrente de la composition. Malgré de nombreuses écoutes, on a en effet un peu l’impression que notre promenade au long de la tracklist nous ramène toujours dans les mêmes lieux, pour ressentir les mêmes émotions. La rosée fait subtilement scintiller les rayons d’un soleil protecteur, les frissons sont délicieux… Mais une certaine routine finit par s’installer – sensation dont le format court de l’EP précédent nous avait préservés.
- Enfin, là où Reset réussissait à rester suffisamment tendu, suffisamment frais pour nous tenir en haleine, Cosmos a tendance à s’enfoncer progressivement – de « Luna » à « Temple », puis rebelote de « Breeze » jusqu’à « Cosmos » – dans une mièvrerie confite (je suis un peu dur, je le reconnais volontiers) au sein de laquelle on se laisse glisser, le cerveau pernicieusement engélifié, comme devant une émission de Michel Drucker. Les solos satrianesques semblent de plus en plus consensuels au fur et à mesure des morceaux, les angles s’arrondissent de plus en plus… Et cette musique que l’on vivait initialement comme une sorte de délicat et lumineux bonheur devintownsendien se transforme sans que l’on s’en rende vraiment compte en un fond sonore sophistiqué mais indolore pour ascenseur d’EHPAD réservé à de riches mélomanes nonagénaires…
Mais tentons de revenir dans un mode plus froidement objectif. Et reconnaissons que certains des mots précédemment utilisés sont un peu trop chargés en vitriol, vu la qualité de la musique proposée. Quand on considère le verre à moitié plein, on se doit de reconnaître que si le riffing est parfois un peu bavard, il reste toujours élégant – Martin Stenstad Selen est une sorte d’Edouard Baer de la guitare, à la fois poétique et chirurgical. Et puis soyons honnêtes : certains morceaux réussissent à provoquer à nouveau l’émerveillement ressenti lors de la découverte de Reset. « Luna » par exemple, qui sait trouver le chemin de nos tripes. « Ghost Stories », qui s’apparente à une conversation amicale au long de champêtres sentiers, et qui ouvre une sympathique parenthèse « Smooth Cuba », vers 2:12, lors de laquelle on croirait entendre une version smokings blancs & petits fours du Buena Vista Social Club. Et puis le superbe « Breeze » encore, dont la vigoureuse fraîcheur nous sort de l’hébétude dans laquelle nous avait laissés « Temple ».
Voilà, vous savez tout, ou presque. Oui, Cosmos est un album magnifique, subtile, exigeant, touchant. Mais là où les compositions de Reset restaient pures et équilibrées – bref du bon côté de cette fine limite séparant le doux du mielleux, le délicat du gnangnan – celles du nouvel album frôlent parfois le routinier, le sirupeux, le lénifiant. Oh tout cela est léger, ça se joue sur les nuances et dépendra des sensibilités. Mais je ne peux m’empêcher de regretter que cette jolie nouvelle venue qui semblait si élégante, si sexy, si brillante se révèle – après avoir gratté un peu – être fan de Louane, de Marc Levy et du régime exclusif frites / mayo / ketchup…
C’est pas la mort, mais ça gâche un peu le plaisir sur les bords.
PS : si vous voulez tout savoir, Mats Haugen (de Circus Maximus) vient faire un tour sur « Duchess »
La chronique, version courte: comme Reset avant lui, Cosmos est un manifeste brillant et délicat d’un Metal Prog moderne et instrumental devant beaucoup à Scale The Summit, mais aussi à And So I Watch You From Afar et Animals As Leaders (ceux qui savent citent également Plini, Intervals & co). Bien que la chose ait largement de quoi émerveiller, au fur et à mesure que l’album avance, on se retrouve un brin gêné aux entournures par une approche plus synthétique qu’auparavant, par une homogénéité un peu trop grande au regard du talent des musiciens, ainsi que par quelques sourires un peu trop tièdes et sucrés – mièvres ? – qui entachent certains morceaux et empêchent qu’on s’émerveille autant qu’en 2020… Pour autant, pas de quoi déclencher un début de dépression chez les fans.
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