Néboas - Nieblas

Chronique CD album (39:12)

chronique Néboas - Nieblas

Disons-le tout de go : cet album de Néboas est excellent. C'est même de la toute bonne, comme on dit par chez moi.

 

Pour leur premier album, les trois musiciens originaires de Vega Baja, entre Murcia et Alicante dans le sud-est de l'Espagne, ont réalisé une performance proche du sans faute. Passer à côté serait une véritable erreur pour quiconque apprécie le style.

 

L'intro éponyme « Nieblas » donne d'entrée l'ambiance pour ouvrir sur le premier morceau « Buscando ventanas bajo tierra », sur un tempo assez lent (qui personnellement me renvoie directement à « Nadie bendice tus manos » d'Ekkaia) mais qui vient vite inclure des parties évoquant le black, un peu à l'image de ce qu'ont récemment très bien fait Tenue, très proches stylistiquement.

 

Ce qui marque dès la première écoute, c'est un son de guitare ronflant qui apparaît à mi-morceau, pour accompagner une bonne partie du disque, que je ne me souviens pas avoir entendu chez d'autres groupes du même genre et dont je ne me lasserai probablement jamais ! Celui-ci qui vient appuyer des mélodies souvent très travaillées qui peuvent rappeler les Barcelonais d'Ánteros, en moins aérien, mais avec un fond très sombre et une voix hurlée écorchée vive qui rattachent définitivement Néboas aux classiques du genre de la scène ibérique.

Difficile en effet de se départir de l'héritage d'Ekkaia & compagnie en ces contrées péninsulaires, tant le groupe et l'école galicienne de neocrust ont marqué le paysage de la musique extrême au début des années 2000. Néboas démontre cependant avoir une réelle personnalité, en mêlant à ces bases des inclinations vers le screamo et une grande qualité de composition, en plus de paroles très réfléchies.

 

Bref, le ton est posé pour la suite : c'est sombre, noyé dans une brume existentielle à s'en arracher le cœur et les poumons (c'est le titre de l'album, en même temps, Nieblas, « brumes »), avec des transitions de l'urgence crust à des zones mélancoliques plus mélodiques très bien réalisées, sans que jamais l'une ne soit réellement séparée de l'autre, pour une qualité sonore plutôt haut de gamme.

 

Mention spéciale au morceau « Alephs », le plus long des dix pistes qui composent les 39 minutes de Nieblas. On y trouve un condensé de ce que le groupe a de mieux à proposer : une intro mélodique contemplative, des parties plus crust avec toujours ce son de guitare qui apporte un vrai plus en contraste, presque un peu de chaleur dans la froideur de l'environnement dépeint par Néboas, alimenté par ces très légères touches de mélodies blackisantes sur des breaks mid-tempo (rhalala, ce riff sur le break de « Donde marchitaron las flores »). Le tout enrobé d'une basse ronde et englobante qui donne beaucoup de texture à l'ensemble,et des paroles qui viennent d'un regard porté sur le monde qui rejoint celui de la scène d'où le groupe est issu : anti-autoritaire, existentiellement désabusé et extrêmement amer vis-à-vis de la société, avec une approche ici plus philosophique et métaphorique que peuvent le faire d'autres groupes.

 

A noter une vraie surprise qui fait irruption à mi-album, avec une mélodie en tonalité majeure extrêmement surprenante, surtout après avoir avalé l'obscurité des morceaux précédents. Sur le moment, cela peut faire le même genre d'effet qu'entendre le black metal « lumineux » de Deafheaven pour la première fois, le tout combiné avec une ambiance à la Viva Belgrado (en plus énervé quand même). « Nuestro último día aquí », notre dernier jour ici, arrive comme un cheveu sur la soupe et prend ce ton presque joyeux, d'une triste joie pourrait-on dire, car c'est notre dernier jour, et que ce sont les animaux qui profiteront de notre absence humaine. Il y a donc une certaine cohérence entre cet air enjoué et les paroles, mais ce morceau reste musicalement très en marge du reste du disque. Je ne sais toujours pas exactement quoi en penser malgré d'innombrables écoutes.

 

Pour la seconde partie d'album, on revient sur des territoires plus proches de ce à quoi l'on se confrontait quelques minutes plus tôt, avec peut-être une plus grande place accordée aux mélodies et aux parties plus lentes, qui viennent presque se revêtir une teinte postcore par endroits (« Tristes Guerras », qui met en musique une poésie de Miguel Hernández, poète antifasciste et antifranquiste mort en 1942), avant l'éruption finale sur « Nos asesinaron los dioses ».

 

En bref, de l'intro « Nieblas » à l'outro « Néboas », Néboas offre avec Nieblas un album exceptionnel dans le style. On n'est pas ici dans le crust qui s'enfermerait dans un D-beat à en faire tomber les murs, plutôt à une croisée des chemins entre ce neocrust et un screamo qui aurait laissé de côté ses tendances grind/powerviolence, mais sans sombrer dans la complaisance larmoyante. On ne va ni aller tout péter, ni être triste que tout soit pété : on constate l'effondrement. On y donnerait bien un petit coup de pouce, d'ailleurs. Mais sans trop y croire.

On a donc un résultat rythmé et mélodique, avec des structures de morceaux qui peuvent dans l'ensemble sembler similaires entre elles, mais où le groupe insuffle toutefois suffisamment de diversité pour que cela apporte plus une sensation de cohérence d'ensemble que de lassitude.

 

Néboas et d'autres groupes comme Tenue ou Drei Affen (pour ne citer qu'eux, mais il en existe bien d'autres) ont cette immense qualité qu'ils maintiennent vive la flamme du neocrust, si cher à la péninsule ibérique, tout en y influant assez de modernité et d'éléments nouveaux pour offrir une nouvelle jeunesse à cette urgence contestataire, conservant toute son intégrité éthique et politique, tout en menaçant celle de nos tympans.

 

De la toute bonne, on vous dit.

photo de Pingouins
le 13/07/2021

11 COMMENTAIRES

Freaks

Freaks le 13/07/2021 à 13:23:21

Au top ! Groupe et chro inclus ;)
T'arrives au bon moment Pingouins, j'ai une flemingite ces derniers jours.. 

Freaks

Freaks le 13/07/2021 à 13:24:36

Le petit relâchement estival sans doute :p

Pingouins

Pingouins le 13/07/2021 à 18:51:03

Hey merci ! Tu connaissais déjà Néboas ? Personnellement ça me surprend que ce disque n'ait pas percé plus que ça dans la scène. 
J'ai aussi vu que de par certaines de tes chroniques, y'a des choses qu'on va avoir en commun :). Je dois être entre Crom et toi en gros en termes de styles.

Crom

Crom le 13/07/2021 à 19:03:07

Nom des gueux que j'aime point ce type de chant.

Freaks

Freaks le 14/07/2021 à 01:06:57

Cromy t'aimes juste pas les timbres screamo à l'arraché c tout ;) Pourtant il en faut de la bravoure pour chanter sur un ton Mid/aigue sur le long court :p

Je connaissais pas du tout Pingouins. Le coté auto-prod qui passe sous les radars surement ;) Il y aura forcément du commun... Toujours! ;)
Avec Cromy aussi c'est dire :p

Freaks

Freaks le 14/07/2021 à 01:22:45

Je sais pas si tu connais, mais Gaur

Freaks

Freaks le 14/07/2021 à 01:23:56

Gaura Devi devrait, Pingouins, t'émoustillé dans l'genre ;)

Vincent Bouvier

Vincent Bouvier le 14/07/2021 à 22:11:33

"tout en y influant assez de modernité et d'éléments nouveaux pour offrir une nouvelle jeunesse à cette urgence contestataire, conservant toute son intégrité éthique et politique, tout en menaçant celle de nos tympans."

Effectivement, tu vas bien t'entendre avec Freaks.

Et, ayant moi même quelques accointances avec ledit monsieur (et de fait, avec toi itou) effectivement, cet album est de toute bonne facture. (variante locale).

Freaks

Freaks le 16/07/2021 à 00:33:49

Dans mon top 2018 rétroactif. 
Carrosserie impeccable, moteur  alimenté au bon vieux mélange: larmes screamo et fièvre libertaire :p Merci Pingouins pour la découverte ;) 

Pingouins

Pingouins le 16/07/2021 à 01:06:17

Ah ben ça fait ben plaisir tout ça, merci pour vos gentils mots :)
Et aussi d'avoir pu faire découvrir ce disque que j'aime beaucoup.

Marc

Marc le 18/07/2021 à 15:15:42

Ca donne sacrément envie, c'est dans ma liste de trucs à écouter désormais ! Merci

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