Néboas - Otros Claros del Bosque

Chronique CD album (36:59)

chronique Néboas - Otros Claros del Bosque

J'adore Néboas. Leur album Nieblas, sorti il y a cinq ans déjà, était une vraie tuerie. D'ailleurs, il y a un peu plus de deux ans, lorsque j'ai rejoint la petite équipe d'acharnés de l'acouphène et du clavier de CoreandCo, il s'agit de l'un des premiers albums que j'ai chroniqués en ces pages, parce que je voulais vraiment contribuer, à ma modeste mesure, à le faire connaître un peu plus.

 

Pour le dire en quelques mots, quand le groupe a annoncé cet été la nouvelle de la sortie d'un nouvel album pour septembre, Otros Claros del Bosque est tout simplement devenu le disque que j'attendais avec le plus d'impatience. Ce qui est à double tranchant, on le sait, car trop d'attentes fait facilement risquer la déception.

Bon, vos yeux sont déjà passés sur la note ici présente en haut de page, et vous aurez donc compris que c'est raté pour la déception : j'aime également beaucoup Otros Claros del Bosque. Vraiment beaucoup. Et pourtant, la première écoute m'a laissé un peu sur le fil, puisque l'un des éléments qui m'avaient renversé sur Nieblas, à savoir le son ronflant des cordes sur certains riffs, est ici absent. Mais après avoir accepté (un peu à contre-coeur) que ce nouvel album ne serait pas un Nieblas 2 le retour, j'ai pu pleinement l'apprécier. Et mazette, depuis, il revient toujours plus souvent dans mes écouteurs.

 

Sur la forme, oeuvrant toujours à une croisée des chemins où les fans du screamo le plus écorché (à la Frail Body par exemple) mixé à cette frange du neocrust qui tire sur le post-hardcore trouveront probablement tout à fait leur compte, ce nouvel album est tout aussi passionnel, sincère et désespéré que ce qu'on pouvait espérer, d'une mélancolie chargée de colère et de sensibilité.

Cela passe en bonne partie par le style de chant, totalement arraché d'un bout à l'autre, couplé à la fois à une urgence musicale, quand bien même les tempos ne sont plus rapides qu'à certaines occasions, et à un travail mélodique qui fait mouche pour véhiculer les émotions. Quand bien même on retrouve certains riffs à plusieurs occurrences, on n'est jamais ici dans un type de structure en couplet/refrain et consorts : non, Néboas font progresser fluidement leurs morceaux, intégrant sans problème quelques breaks casse-nuque (la fin de « Pérdida »), quelques blasts, des ralentissements post-hardcore, élaborant petit à petit des paysages auditifs immersifs (« Caminos », ouatch) et chargés de détails si on prend la peine de s'y plonger dedans, et que je ne prendrai pas la peine de décrire plus en détail ici, ça n'est pas très intéressant et mieux vaut le découvrir par soi-même. Mais disons que c'est un peu fait à la manière de Circle Takes The Square dans l'idée, un autre trio incroyable, bien que la musique proposée prenne une direction différente.

 

Sur le fond, là où on trouvait sur Nieblas les mots du poète républicain (dans le sens de la guerre d'Espagne) Miguel Hernández (sur « Tristes Guerras »), Néboas basent cette fois le concept de leur album sur les écrits de la philosophe María Zambrano, qui au rationalisme oppose une raison poétique et intégratrice (et je vous invite à cliquer sur le lien ci-avant si cela vous intéresse) ; avec leurs propres mots : « c'est une métaphore d'un voyage vers le centre d'une forêt. Les morceaux forment l'un des nombreux chemins sur lesquels faire un voyage personnel, musical, politique. Les chemins dans ce bois apparaissent et disparaissent selon les personnes qui les empruntent ou ce que celles-ci espèrent trouver au bout. Ils s'ordonnent et se désordonnent de façon imprévisible. Les clairières (claros de bosque) sont le destin dans lequel on trouve ce que l'on craignait. Elles se créent lorsqu'on ne les cherche pas, elles se referment lorsqu'on les poursuit. Ce travail parle de vulnérabilité, de fragilité, de la peur, de ce que l'on ne peut pas dire avec des mots ; de se retrouver, alors que l'on était perdus, tandis que l'on voyage à travers l'obscurité ».

Et on retrouve de ça dans les moments d'ambiance, le bruit de la pluie, celui du vent (« Alisos »), celui d'une chouette qui surgit au détour d'un morceau (« Otros Claros del Bosque »), et même dès l'ouverture d'album avec « Búsqueda » et ses bruits de pas dans les feuilles.

 

Ensuite, je ne sais pas si c'est voulu, mais la longueur des morceaux fait vraiment une courbe descendante puis ascendante, se réduisant progressivement juqu'à la minute trente du morceau central instrumental « Alisos », avant de se rallonger à chaque titre jusqu'à « Incipit Vita Nova », où le groupe nous refait le coup de « Nuestro último día aquí » et de ses tons lumineux à l'introduction post-rock très Explosions In The Sky-esque, remâchée à leur propre sauce. Et de façon qui me convainc pour le coup beaucoup plus que sa cousine sur Nieblas. Ici, cette sortie d'album se pose, contemplative, mélancolique, entre souvenirs, amertume et horizons qui s'entrouvrent.

Est-ce une métaphore de ce voyage, de l'entrée puis de la sortie du bois ? Je ne sais pas.

Une autre chose que je ne sais pas : ce disque sort cinquante ans jour pour jour après le coup d'Etat de Pinochet au Chili, le 11 septembre 1973. Le mari de Zambrano ayant été ambassadeur d'Espagne au Chili, peut-être y a-t'il là aussi une petite référence discrète, je l'ignore.

 

Bref, ce nouvel album de Néboas est une nouvelle franche réussite, et je ne peux qu'espérer le meilleur à ce trio qui m'emporte à chacune de ses sorties, et qui viendra de nouveau sans problème se loger dans mon top de l'année, et plutôt dans la zone la plus haute. Il met le doigt sur des émotions très particulières qui me font énormément écho, et sont à mon sens la formation qui avec Drei Affen portent aujourd'hui le flambeau des groupes ibériques déchirés, passionnels et passionnants, libertaires et sincères.

J'espère que vous trouverez autant de plaisir à l'écouter que moi à la traverser et à en écrire ces quelques mots. Si vous gravitez dans ces sphères musicales, que des groupes comme Circle Takes The Square, Ostraca, Heaven In Her Arms ou Potence vous plaisent dans leur démarche, je vous recommande très fortement l'écoute de la discographie de Néboas, en prenant le temps et l'espace nécessaire pour se laisser emporter.

 

A écouter car toutes les forêts ne sont pas obscures, malgré ce qu'en dit le poète.

photo de Pingouins
le 18/10/2023

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