Riot - Immortal soul
Chronique CD album

- Style
Heavy metal / speed mélodique - Label(s)
Steamhammer - Date de sortie
22 novembre 2011
écouter "Album complet"
"Nothing changes, nothing stays the same"... Il y a dans cet extrait des paroles de "Still your man" quelque chose de nostalgique, de mélancolique et de fataliste. De là à rappeler que la vie est une série de cycles, il n'y a qu'un pas à franchir. D'autant que cette chanson s'écoute comme on prend des nouvelles d'un vieil ami perdu de vue, en l'occurrence le Johnny d'un album culte : Thunder Steel. En 2011, Riot ne s'affuble pas encore du suffixe V (chiffre romain correspondant au nombre de chanteurs ayant officié dans ses rangs) et ne sait pas encore qu'il signe un album qui va clore un chapitre de son histoire. Et pourtant, tous les éléments qui constituent Immortal Soul en font un album testament, une oeuvre prémonitoire jusque dans son titre. L'âme immortelle dont il est ici question, c'est celle de son guitariste emblématique, Mark Reale, qui succombera de la maladie de Crohn en 2012. Si en 2024, date de sortie de son nouvel album, le groupe existe encore et parvient encore à servir un heavy speed de qualité, force est d'admettre que, malgré la présence du gratteux vétéran Mike Flynz garant de l'héritage de Reale, Immortal Soul restera la dernière pépite réunissant toutes les composantes de son ADN.
Immortal Soul illustre à merveille le destin du groupe : éternel outsider évoluant sans jamais démériter dans l'ombre de ténors du genre auxquels sa musique renvoie fatalement dans les oreilles de ceux qui ne prennent pas le temps d'orienter leur radar vers elle. Entre-nous, ce n'est pas parce que Reale sert des soli rapides et mélodiques qu'on doit réduire son projet à un ersatz de Helloween. Si son nom ne sort jamais du chapeau quand on liste les grands guitaristes de l'histoire du wock'n'woll, on ne peut nier sa technique, sa patte, son sens du riffing et de la mélodie, à l'instar de ceux d'un Jeff Waters. Immortal Soul signe également le retour au micro de Tony Moore, l'inégalable chanteur des 2 albums cultes de sa discographie : Thunder Steel (1988) et The Privilege of Power (1990), ceux que les amateurs citent volontiers, dès lors qu'on parle du tournant de sa musique vers le heavy speed, à l'heure où ce genre commence à exploser avec l'avènement des papes du genre déjà évoqués plus haut, après avoir sévi dans le heavy metal coincé entre la fin des 70's et le début des 80's. La boucle s'avère donc bouclée : avec Immortal Soul et le retour de Moore, Riot renoue avec la recette qui lui permit d'accoucher des 2 bijoux qui marquèrent sa carrière à la charnière entre 80's et 90's. C'est sans doute pour cette raison que l'album navigue injustement sous les fameux radars, dans l'ombre de ses aînés. Et pourtant, à considérer dans son individualité, il reste à ce jour un album de toute beauté, d'une cohérence absolue, sans doute l'un des meilleurs de toute sa discographie. Chaque titre apporte sa contribution, sans se démarquer du voisin, tout en cultivant sa singularité, à un ensemble homogène, protéiforme et constant dans tous les compartiments de ses qualités.
L'album s'ouvre naturellement et logiquement sur un titre avec tous les curseurs poussés au maximum. Mélodie en guise d'intro qui reste facilement en mémoire, cédant rapidement la place à un riff ultra nerveux, et voilà que tous les instruments s'emballent sans aucune autre forme de procès. Au chant, Moore reste quasiment tout du long dans les aigus, à la limite de la rupture. Sans se perdre dans l'esbroufe technique, "Riot" impose quand même sa complexité intrinsèque. On reste dans la tradition de ce genre d'album qui se doit d'ouvrir avec une chanson ultra musclée. Au passage, ce morceau ajoute un élément constitutif de l'album testament qui clôt un cycle : son titre n'est autre que le nom du groupe. Renaissance ? Conclusion ? Fin de cycle, qu'on vous dit ! La suite varie les tempi, selon un schéma relativement régulier : 1 titre en mode speed mélodique, 1 autre au tempo moins véloce, le suivant plus calme, et on repart avec un titre ultra nerveux. Tout n'est qu'affaire de cycles sur cet album. Et pourtant, dans une dynamiquetoujours homogène et cohérente, il règne sur l'ensemble, quelle que soit la vitesse adoptée sur tel ou tel titre, un sentiment d'urgence. Le genre d'urgence qui vous étreint lorsque vous savez que chaque instant compte, que la vie s'écoule inexorablement, qu'il convient de n'en perdre aucune miette, que la fin est proche et qu'il s'agit de partir sans aucun regret.
Cette urgence, on l'entend dans les intonations de Moore. Aussi amènes que peuvent se montrer les mélodies de ses lignes vocales, elles gardent un je-ne-sais-quoi d'élégiaque, comme sur les arpèges des couplets de "Fall before me". Une profonde tristesse parcourt l'échine de tous les titres, sans se perdre dans de vaines lamentations, mais plutôt en préservant une dignité puisée dans une infaillible sincérité. "We rise and fall, time takes it all, we stand and we deliver". Même lorsque sa voix se pose sous les hautes sphères des aigus, elle demeure habitée par une gravité, celle de ceux qui savent d'où ils viennent et peuvent compter les embûches qu'ils ont surmontées. Même sur un titre mid-tempo comme celui qui donne son nom à l'album, on peut déceler cette rage de vivre mêlée à ce sentiment de fatalité, notamment sur le pont qui suit le solo de guitare. "The only love that we have to give will still your heart like a cemetary. Forever lost to forever live..." D'ailleurs, puisqu'on en parle, au-delà des riffs qui, sans prétendre à l'originalité, n'en demeurent pas moins inspirés dans leur exécution et leurs agencements, que dire des soli magnifiques de Reale ? Comme le dit si bien Hartmut Rosa dans No fear of the dark, une sociologie du heavy metal (éd. La Découverte), "[ils] ouvrent des brèches de transcendance". Le bougre ne se perd pas dans d'interminables séances de shredding, mais apporte un soin égal aux dimensions mélodiques et à la technicité de ses envolées en propulsant la moindre note à sa place idoine. C'est chirurgical et époustouflant, chaque note palpite à vous en foutre la chiale. "Running hard from defeat to disaster I fear no god and I serve no master now [...] We were born to live - We were born to fly and fly we did, did we ever..."
Toujours sur la corde, comme au bord du précipice, cet album sous-côté d'un groupe injustement sous-côté mérite une réhabilitation, et nonobstant l'ombre de la mort qui plane sur lui, il n'en regorge pas moins de vie comme sur son titre de clôture, "Echoes", le plus solaire de la tracklist. Une vie qui embrasse avec un sourire combatif la tragédie car elle sait qu'elle tutoie l'éternité, la fameuse immortalité du titre, même si nothing will ever be the same.
0 COMMENTAIRE
AJOUTER UN COMMENTAIRE