Spk - Leichenschrei
Chronique CD album

- Style
Musique expérimentale électro-industrielle ultime - Label(s)
Thermidor records - Sortie
1982
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Si vous vous intéressez à l’indus mais n’avez jamais écouté l’album suivant, sachez deux choses : primo, il s’agit d’une lacune qu’il convient de combler de toute urgence au risque de voir l’équilibre du monde demeurer dans son bouleversement permanent ; deuxio, la plupart des groupes d’indus dignes de ce nom que vous pouvez vénérer l’ont fait, eux.
Une grande majorité d’amateurs et de pratiquants du genre considère « Leichenschrei » comme une de ses références ultimes, au même titre que « Zeichnungen des Patienten O.T. » des Teutons de Einstürzende Neubauten, sorti en 1983, soit un album quasi contemporain à celui de SPK, lui-même arrivé dans les bacs en 1982. En parlant des fans et des amateurs, il est toujours intéressant de lire les commentaires de ceux-ci sur les réseaux sociaux, car, à genre exigeant, fans exigeants. Partant, leurs interventions se révèlent pour moult d’entre elles pertinentes et éclairantes. J’aime beaucoup la comparaison, par exemple, souvent abordée, entre les deux albums cités ci-dessus. Si l’opus de la bande à Blixa Bargeld dégage une énergie organique de la froideur de sa musique, celui des Australiens en représente le pendant cérébral. Par conséquent, ces 2 classiques deviennent complémentaires. Tenter de les classer, c’est faire fausse route.
D’aucuns pourraient entamer l’écoute et la découverte à reculons. On ne saurait les blâmer. Pour autant, il faut savoir que, paradoxalement, même s’il ne s’avère pas aussi avenant que les productions futures de SPK, davantage tournées vers le grand public, mais de qualité plus discutable, cet album reste on ne peut plus abordable pour tout néophyte. Si l’absence globale de mélodie domine tout du long, celui-ci se montre, au milieu de son chaos, structuré, rythmé, organisé. On se tient à des années-lumière du bruitisme brut, radical et limite indigeste d’un Merzbow ou d'un Whitehouse, par exemple. En somme, « Leichenschrei » met en musique une certaine idée de la maîtrise dudit chaos. Même s'il convient d'apporter quelques nuances à cette assertion, en définitive.
Du reste, une écoute attentive permet de constater que le début de l’album prend presque par la main l’auditeur, l’installe en douceur dans son univers, pour le bousculer imperceptiblement hors de sa zone de confort jusqu’à l’acculer dans les rets d’un final bien plus brutal. C’est finement amené, car les 43 minutes d’écoute se transforment alors en véritable voyage dans les tréfonds métalliques de l’âme et de la conscience. Et c’est là où on peut se demander si ladite maîtrise évoquée plus haut ne se résume pas à un leurre, tant la perte volontaire de contrôle se fait progressivement sentir. Mais évidemment, il ne compte pas parmi les albums qui livrent leurs arcanes dès la 1e écoute. On n’apprivoise pas ce genre d’oeuvre. Exigeant, c’est lui qui vous accepte, au gré des écoutes répétées pour percer ses mystères et dévoiler ses richesses. Attendre de lui qu’il couche le 1e soir, c’est élever les selfies dans les bagnoles ou les chiottes au rang d’art total.
SPK, donc. Soit Socialistisches Patienten Kollektiv. A vrai dire, on ne sait jamais trop la véritable signification de cet acronyme. Sur la compilation « Auto Da Fé », autre album essentiel de sa discographie, il s’amuse à expliciter ses 3 lettres comme suit : SePpuKu. Pourquoi pas. L’indus, en général, et SPK, en particulier, construit son monde au-delà de la musique elle-même. Il s’agit d’un concept, d’un état d’esprit, d’un mouvement d’ordre politique, même. Contestataire en diable. Qui aime brouiller les pistes, ne jamais caresser dans le sens du poil, quitte à toucher moins de monde. Un art protéiforme, nourri à la musique, mais pas que : le cinéma, la littérature, la peinture et la philosophie. Autant d’influences qui trouvent leurs expressions, après digestion, sur scène, où le nihilisme patenté du mouvement cherche à pousser le public dans ses derniers retranchements, au sens 1e du terme (un Internaute raconte comment il s'est rendu compte, après avoir restitué son repas sous forme de flaque à grumeaux sur le trottoir à l'issue d'un concert, qu'il s'agissait précisément de l'effet escompté par la performance du groupe) mais aussi dans des écrits en forme de manifestes. Il devient rapidement clair que pour bien comprendre la quintessence de l’indus, la musique reste un élément parcellaire. Mais qui détient le pouvoir de traverser les âges pour se faire le vecteur du message.
SPK, c’est avant tout Graeme Revell, que les cinéphiles connaissent davantage par le truchement des bandes originales qu’il signe notamment pour « Calme blanc » de Philip Noyce (avec Nicole Kidman encore rousse, avant sa rencontre avec Tom Cruise), « Chasse à l’homme » de John Woo, ou encore « The Crow » d’Alex Proyas, « Sin city » de Robert Rodriguez et « Strange days » de Kathryn Bigelow, liste non exhaustive. Avant de briller à Hollywood, le monsieur était un tantinet plus vénère. En 1978, une année qui, parait-il, a vu naître moult albums définissant d’ores et déjà le son des 80’s, celui qui officie sous le nom de guerre d’Operator fonde avec Neil Hill, alias Ne/H/il, son collègue d’asile psy, SPK, d’après le nom d’un collectif marxiste. Ses 3 premiers albums s’inscriront au panthéon de l’Histoire de l’indus. « Leichenschrei », autrement dit, « chant funèbre » ou « cris de cadavres », en fait partie. On y retrouve l’idée paradoxale de créer à partir de la destruction dont parle le nom même d’Einstürzende Neubauten.
Digne héritier des travaux de pionniers comme Throbbing Gristle et Cabaret Voltaire, SPK signe avec « Leichenschrei », son 2e opus, une œuvre-manifeste. Une porte d’entrée essentielle vers un univers jusqu’alors inexploré. Une balise dans l’obscurité que des norias de groupes éclaireront davantage par la suite. Il compte parmi ces classiques pour lesquels on peut, avec outrecuidance mais sans retenue, lâcher la meute de superlatifs définitifs et péremptoires. Sans que son approche reste réservée à une élite, car plus accessible en apparence que son prédécesseur (« Information overload unit »), il ne cède à aucune facilité et se gorge de violence sournoise, dans la nature même de ses samples, des matériaux utilisés pour construire ses pièces musicales, entre stridence et dissonances, dans le contenu des textes évoquant les déviances du comportement humain et autres horreurs (« Post mortem » contient le témoignage d’une femme qui raconte comment un homme a tenté de lui refourguer la syphilis en frottant son vit sur son sandwich, tandis qu’on assiste aux commentaires d’une dissection. Ambiance), le tout soutenu par ces pulsations mécaniques tout le long de l’entreprise qui lui confèrent un certain groove plutôt plaisant, quand ce dernier ne fait pas basculer l'écoute vers la séance d'hypnose.
Une fois qu’on a accepté d’entreprendre le périple dans les atmosphères sales et malades de l’album, on accède à un état de lâcher prise et d'hyperconscience proche de celui que procurent les substances psychotropes. Un trip hallucinogène loin du psychédélisme cher au space rock des 70’s mais proche de l’extase sexuelle que pourrait provoquer l’accouplement du corps avec la machine, dans un élan cathartique d’auto destruction. En outre, si l’on s’en tient à l’aspect musical, force est de constater et d’admettre que ce monument de l’Histoire de l’indus a échappé à tous les coups de calendrier pour se montrer des plus actuel, voire intemporel. S’il sortait en l’état en 2022, nul doute qu’il se hisserait sur le podium du top de fin d’année.
10 COMMENTAIRES
Xuaterc le 20/08/2023 à 08:45:00
Je ne connaissais pas, mais c'est une lacune que je vais combler très rapidement
Moland le 20/08/2023 à 10:57:20
Bonne découverte alors !
Jean-Edern le 01/09/2023 à 13:21:31
Attention au glissement de sens ! Il convient de distinguer l'indus, diminutif de "metal indus" - le terme indus désignant ici des sonorités agressives et répétitives relatives à l'univers industriel - de la musique industrielle proprement dite - où le qualificatif est à l'origine employé de façon ironique pour se moquer de l'industrie du disque qui produit des objets artistiques de la même façon que des chemises ou des voitures, à la chaine, à l'usine. Ainsi donc en ce temps-là, SPK ne pratiquait pas l'indus comme le fera plus tard Ministry ou NIN mais de la musique industrielle à fort caractère conceptuel comme le faisait Throbbing Gristle. Ou alors Kraftwerk fait de la techno et les Ramones du post-punk.
Moland le 20/10/2023 à 00:22:56
@Jean-Edern merci pour la précision. Il me semblait avoir été clair dans mon texte. Par ce raccourci, je désigne sous l'appellation "indus" l’ensemble du mouvement qui englobe tous les courants et sous genres, ça va donc de TG à Ministry, en passant par SPK, NWW ou encore NIN. Mais évidemment qu'il convient de faire la distinction entre musique industrielle, expérimentale, electro acoustique, concrète, expérimentale, et metal indus.
Moland le 12/11/2023 à 11:27:26
@elgep ici :)
el gep le 12/11/2023 à 21:01:02
Qué, que quoi ? On me parle ?
Pardon ?
Ah j'avais vu, mais j'avais pas entendu. Faut que j'y jette une oreille, je crois pas l'avoir déjà fait (mais va savoir, j'ai écouté tout un tas de bruit à une époque pas si lointaine... mais mon cerveau a fondu entretemps et il est tout sali maintenant).
Ca lèche, ça allèche en tous cas, slurp !
Moland le 12/11/2023 à 23:49:07
Justin Broadrick arbore sur scène un T-shirt de SPK. Il connaît ses classiques, le mossieu
el gep le 01/12/2023 à 22:12:49
J'écoute à l'instant depuis un moment.
C'est vrai que c'est marrant comme c'est facile d'écoute en fait.
Et comme ça ne sonne pas daté (à part la basse, oui, on sent plus l'époque avec elle, mais sinon...).
Ca préfigure bien la musique à base de samplers, aussi.
Là, même si les séquenceurs existaient déjà je crois, c'est à se demander comment ils faisaient à l'époque. On voit sur la photo de groupe des bobines de bandes magnétiques...
'fin bref, ça me plaît bien ton truc, Momo.
(mais on n'est pas encore dans la Noise, là, ni dans l'Indus terroriste, ça n'enlève rien à leur côté précurseurs)
Faut que je me réécoute mon disque de Laibach ''Rekapitulacija 1980-1984'' tiens. Et que je creuse plus Einstürzende Neubauten.
Santé!
el gep le 01/12/2023 à 22:28:30
Ah et on entend à un moment de la Techno pour de vrai.
Moland le 02/12/2023 à 16:35:59
@elgep pour les samples, Throbbing Gristle comptent parmi les précurseurs, il me semble.
Content que cet album de SPK te plaise. Sont pas tous comme ça. C'est plus electro par la suite et moins intéressant
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