That Handsome Devil - Your Parents Are Sellouts

Chronique CD album (39:17)

chronique That Handsome Devil - Your Parents Are Sellouts

« Définissez la pochette parfaite. Vous avez une heure... »

 

Je ne sais pas si cette question théorique a déjà été posée lors d'un exam' mitonné par l'une de ces écoles de Design / Art / Déco / ColoriageAuCrayola au sein desquelles se forme la fine fleur des experts en comm' graphique, mais ce qui est sûr c'est que l'artwork utilisé pour orner Your Parents Are Sellouts offre des éléments de réponse évidents. Une scène prétendument idyllique, colorée selon les standards kitschounets des années 70s, au rendu volontairement défraîchi, donnant l'impression d'un bonheur en carton survendu par un spot publicitaire diffusé sur la télé d'une de ces familles américaines comme on en voyait dans Ma Sorcière Bien Aimée ou Happy Days. Avec, en guise de coup de canif sarcastique en travers de ce tableau artificiel, ce titre excellent: « Tes parents sont de vendus ». Quasiment tout est là: l'indolence de fins d'après-midi ensoleillées, la touche vintage, le cynisme vif de textes moquant un vie superficielle cachée derrière des vitrines trompeuses, la dimension Funk'n'Surf...

 

Bienvenue dans l'univers de That Handsome Devil!

 

Si le groupe tient une place particulière dans le cœur de la petite voix qui vous tient ces propos, c'est que son premier album, A City Dressed In Dynamite, fut un brûlant coup de cœur. Il fait d'ailleurs partie de ces très rares albums ayant reçu ici-même un 10/10 mérité, alors même qu'il ne bénéficiait ni du vernis de la nostalgie (les albums de notre jeunesse deviennent à peu de frais des légendes personnelles), ni même de ce genre de culte célébré par quelques sectes de fans hardcore. La réalité est plus simple: cet album est tout simplement parfait, et il revient régulièrement faire des tours sur la platine familiale, malgré les tombereaux de nouveautés sous lesquels l'actualité n'a de cesse de nous ensevelir. C'est d'ailleurs cette perfection qui, paradoxalement, m'a tenu à distance des albums suivants du groupe. J'y ai bien jeté une oreille superficielle, mais il était impossible de se débarrasser de l'impression que tout ça était était un peu fade en comparaison – impression amplifiée par la distance extrême existant entre le moelleux de la musique des Américains et la puissance bulldozerienne du Metal qui coule bien souvent dans mes oreilles.

 

Mais rester aussi obstinément éloigné d'un groupe à ce point talentueux était tout bonnement irrationnel. Alors quand tomba l'annonce de la sortie d'un 4e album, ce fut le signal: il fallait, sinon rattraper le temps perdu, au moins se rabibocher avec le groupe. Et on peut dire que Your Parents Are Sellouts est l'album idéal pour de telles retrouvailles.

 

Prolongeant l'approche « Les meilleures réclam' vues à la TV » de la pochette, « Intro » place un premier pied dans l'album via un court extrait de reportage d'époque où l'on nous apprend que « Ma bonne dame, cette nouvelle génération, j'vous l'jure: c'est plus comme c'était ». Puis « The Unpossible » démarre sur des minauderies sensuelles, esquissant quelques pas légers rappelant le « Libertango » de Grace Jones avant de s'installer sur un transat et d'observer d'un œil désabusé et moqueur les grossiers plagistes aux alentours. La guitare Surf stridule doucement, le soleil pèse lourd sur le bob: tout devrait se passer comme sur des roulettes... Pourtant on ressent comme une impression bizarre, les images semblent légèrement déformées, un rien grotesques: il se passe quelque-chose de pas clair sous ces palmiers! Puis « Dinosaur » réveille enfin la gouaille légendaire de Godforbid: le loup de Tex Avery – ici coaché par Leonartd Cohen et le Mickey Rourke de Barfly – est de sortie. Son chapeau lui masquant en partie les yeux, le frontman prend des airs d'anti-héros à la Tarantino, à la fois superbe, nonchalant et désabusé. Alternant Rockabilly confit et Surf Rock menaçant à la « Misirlou » (Tarantino again!), « Shutup You're Stupid » joue habilement sur les chassés-croisés stylistiques, la fin du morceau frisant même le Raggamuffin enfumé... Eh oui, c'est que 14 ans ont beau avoir passé, les vieux démons narcotiques n'ont pas quitté l'univers du groupe. Au top du farniente et des langueurs estivales, « Hoodlum » semble une ode à la crème solaire, à la tranche de citron sur le rebord du verre et aux grains de sable entre les orteils... Pourtant ses textes sont des tranches de vie, des drames de rue, des trajectoires brisées, des balles perdues. On fait difficilement plus piquant et désenchanté...

 

Sauf qu'on n'est pas non plus en train d'écouter Bobby lors d'une réunion des Dépressifs Anonymes. C'est ce que nous rappelle « Guys Are Gross », LA tuerie indiscutable de ce nouvel album, à la fois funny, sexy, et funky, dans lequel Godforbid se met à jouer les crooners from Broadway, accompagné dans ses cabotinages par de pimpantes orchestrations et une basse à la distorsion délicieusement humide.

 

Mais l'on arrive déjà à mi-parcours. Il est donc grand temps d'interrompre notre émission par un court flash publicitaire. C'est le rôle de « Date Rape U », qui parodie la bande son d'une publicité radio vantant les mérites d'une université dont les frais d'inscription implique qu'on vide sa bourse, et à l'intérieur de laquelle on aide à vider celles de nos voisins – sans notre consentement, cette fois.

 

On arrête-là le track by track? C'est vraiment trop indigeste? Oui mais non: l'exercice de la chronique en ligne est hautement égoïste, et perso' j'ai envie de continuer la balade...

 

Pour « Everyone's Trying To Kill Me », on chausse un feutre et part en course-poursuite dans les rues d'un polar urbain paranoïaque. Aussi psycho qu'accrocheur, le morceau reste en équilibre savant entre tension étouffante (oui, le Surf Rock peut-être barbelé) et déconnade potache (ce clip, c'est vraiment n'imp'!). Avec « Bad Vibes » on reste dans un univers canaille, vintage et dangereux, qui aurait pu – si That Handsome Devil était moins ancré dans une réalité crasseuse – être un hymne à la gloire des viles fouines cherchant des crasses dans Qui Veut la Peau de Roger Rabbit... Drôle de référence, oui, mais c'est qu'il y a un petit côté toon dans cette disto' goguenarde. Puis c'est l'heure du mojito: direction le piano bar cubain de « F2F » pour une douce séance nostalgique parfumée d'un peu d'accordéon, et se terminant en Ragga triste... Trop de rhum frelaté, et c'est la gueule de bois. D'où, peut-être, le minimalisme d'un « Punch In The Face » en PLS, qui finit prostré dans d'angoissants frissons d'horreur... On n'est pas loin des heures les plus calmement sombres d'un Polkadot Cadaver ici. On est d'autant plus étonné de retrouver les coussins moelleux d'un film de SF des 80s – Blade Runner version grenadine, gros pull et néons rose pâle – sur un « EVL PPL » sonnant dreamy New Wave. Et « La Di Frickin Da » de nous amener finalement à quelques encablures d'un générique de fin sur lequel Godforbid reprend sa diction à la André 3000 (Outkast) pour 3 minutes d'un titre de Synth Metal tendu et ricanant.

 

A peine quarante minutes ont passé, et pourtant on a l'impression de s'être enfilé un long métrage – mélange de Barfly, Rogger Rabbit, Sleepers, Pulp Fiction et Kids – un peu outrancier, un peu sarcastique, un peu déviant, mais profondément attachant, et ménageant quand même une petite place au rêve malgré cette noirceur cachée derrière les couleurs vives. C'est sans doute l'un des secrets de That Handsome Devil: savoir proposer tout un univers au-delà de la simple musique, garni d'autant de scènes rocambolesques qu'il y a de morceaux... Le tout en nous parlant de la vie, la vraie, avec détachement et perspicacité.

 

Alors si Your Parents Are Sellouts n'est peut-être pas A City Dressed In Dynamite, il est tout aussi digne d'intérêt. Comme Jackie Brown pouvait l'être après Pulp Fiction.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: gourmand, désabusé, goguenard, funky, vintage, lubrique, nonchalant, et extrêmement attachant, Your Parents Are Sellouts ajoute quelques palmiers dans la recette de A City Dressed In Dynamite pour un résultat toujours aussi singulier et irrésistible. Entre Surf Rock sombre, Funk vintage et Rockabilly urbain teinté de psychédélisme pessimiste, c'est un nouveau petit classique que That Handsome Devil nous livre ici.

photo de Cglaume
le 26/02/2021

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