Today Is The Day - Temple Of The Morning Star

Quel titre d'album ! Et quel début d'album...

Des notes de guitare (électro-)acoustique résonnent, froides, brûlantes, d'une tristesse insondable. Des p'tits tam-tams se pointent, tu pourrais presque croire au campement hippie, sauf qu'il y a cette tension, déjà. Et ce courant d'air froid dans le son.

Et puis... la voix arrive, et ''It's killing meeee !'' résonne, pénètre, avec ces voix pitchées typiques de T.I.D., qui te collent un frisson dans la colonne.

OK.

Bon.

Le voyage va pas être simple.

Mais le voyage est d'ores et déjà puissant, violent, traumatisant. Douleur, tristesse, haine, dans la glace et le feu, disais-je, vraiment, c'est pas une image. C'est l'hiver, t'as d'la glace à l'intérieur de ta bagnole-poubelle et tu te crames la chair de l'avant-bras à coups de briquet en tapant sur le volant comme un possédé, juste pour ne pas :

a) te refaire un shoot de cette mauvaise brune (et sortir ton gun... pour faire... on sait pas.)

b) sortir ton gun et buter tout le monde

c) sortir ton gun et manger la baballe

Faut prendre ça avec sérieux.

Le sérieux dans T.I.D., c'est tout le nerf de la guerre. Le nerf de bœuf. Ça n'empêche pas l'humour, un peu, dans un coin de sourire cassé, comme un éclat de verre fiché entre deux dents, comme la pochette par exemple, mmmmh... ? (bon, à part la pochette... euh... qui est géniale en fait et euh peut-être que c'est pas drôle en fait peut-être que...ah je me sens pas bien, là..)

Non parce qu'en vrai, de l'humour dans le Temple De L’Étoile Du Matin, y'en a pas beaucoup. Ni dans le fond ni dans la forme. Ça ne rigole pas trop par ici.

Et les bons sentiments, qu'ils restent dehors avec les affamés à se faire bouffer.

Outre donc cette haine froide et ce feu malsain qui couve derrière, formellement au-delà des voix électroniquement transposées, ce qui caractérise également TID ou TDID ou TITD ou bref pour les intimes, c'est... le pitch sur les guitares aussi, mouahah ! Nan, pis aussi ces samples et ces sons électroniques, comme dans ''The Man Who Loves To Hurt Himself'', parfait exemple du malaise ajouté en question. Ces espèces de sifflements presque tout le long du morceau, sont spécialement stressants. Et le même genre de phénomène monstrueux recommencera plus tard dans le disque.

Miam, faut aimer se faire souffrir aussi, TID se mérite.

La doublette ''Pinacle'' (''I fucked your wife / Fucked her in the ass'') et le plus infâme encore ''Crutch'' (Qu'est-ce que j'entends exactement, là ? Qu'est-ce que je suis en train d'écouter, je ne comprends pas trop ?) basée sur des déhanchements groovy insalubres sont ainsi typiques du SM TIDiesque.

Mais il y a aussi le désespoir, les gens, n'oubliez pas le désespoir, car lui ne vous oubliera pas, jamais. Un jour ou l'autre il vient à vous, ce foutu serpent. L'image du serpent reviendra très souvent chez Today Is The Day. Pas étonnant. ''Root Of All Evil'', qui reprend l'esprit du Temple en introduction, se glisse là dans votre tristesse et chuchote ses mots humides : ''I feel ashamed / I feel no pain / Your life is over, over, OVER''.

Et le désespoir sera insondable quand les arpèges de ''I See You'' s'égraineront, la guitare de Steve y sonne presque comme un clavecin, et la défaite semble totale.

Le son de basse est parfois faussement mouillé mais surtout gros et glissant comme un putain d'anaconda, comme dans le basse/batt/chant de ''Hermaphrodite'' qui commence presque à la Melvins mal lunés avant que les portes de l'Enfer ne s'ouvrent – lorsque Stevie ouvre la bouche.

Ça résume bien Today Is The Day, en tous cas celui de l'époque : on plonge en Enfer dès que résonne la voix. Sa Voix.

Ses Voix, Légions !

Les deux interprétations du thème ''Temple Of The Morning Star'' (trois si on compte le faux jumeau/cousin au début de ''Root Of All Evil'') sont en fait une seule espèce de ritournelle satanique, qui va et vient, il n'y a pas de fin, pas de milieu, et même pas vraiment de début ; elle nous hante, c'est tout.

Pas de fin à la fin, car ''Temple Of The Morning Star'' enchaîne sur un morceau-caché-fantôme, une reprise de "Sabbath, Bloody Sabbath" de ah-ben-ça-alors! Black Sabbath. Et ce, en toute candeur, ce qui pourrait choquer dans le contexte. Inattendu. Y'a même un putain de solo de guitare et des voix à la Jane's Addiction, presque (un peu de disto dessus mais bon y'a l'idée). Jane zone quelque part dans ''Mankind'', aussi. En tous cas, Perry Farrel et Dave Navarro ne sont pas loin.

Et j'y pense mais Today Is The Day / Jane's Addiction, c'est un peu les opposés qui se ressemblent, les deux extrémités d'un même fil émotionnel.

Jane est morte, son cœur pourrit en enfer, caché dans la cage thoracique du Steve pas bon pour qui que ce soit.

Pas de fin, hé c'est un disque : donc un cercle. Ça tourne. Monte dans le manège de Tonton Stevie, vois les dépouilles et les démons, oh bien sûr que si c'est pour de vrai, bien sûr qu'ils peuvent te toucher.

Bien sûr que si, ils peuvent te faire du mal !

Des notes de guitare résonnent, froides, brûlantes, d'une tristesse insondable. Il y a cette tension, toujours. Et ce courant d'air froid dans le son. Ces zones arides abritent des spectres aux plaies qui saignent et aux bites qui blessent, par delà le temps, les meurtrissures salissent toujours, encore, les visages de ceux qui auraient pu être innocents.

Et puis... la voix arrive.

OK.

Bon.

Le voyage va pas être simple, surtout que t'as plus de sacs poubelles. C'est l'hiver, t'as d'la glace à l'intérieur de ton épave de bagnole et tu te crames la chair de l'avant-bras à coups de briquet en tapant sur le volant comme un possédé.

Demain ils titreront ''Il abat son ex et se suicide'' et tout le monde parlera de féminicide. Abrutis. Tu ne l'as pas tuée parce que c'était une femme. Tu ne l'as pas tuée parce que tu pensais la posséder comme un objet. Tu l'as tuée parce que tu l'aimais, qu'elle t'a torturé, et torturé encore, et que tu n'en pouvais plus.

Ce meurtre était un cri, piteux, nul, déchirant : « je t'aimais, salope ! »

Et puis, il y avait les voix.

Le désespoir, n'oubliez pas le désespoir, car lui ne vous oubliera pas, jamais. Un jour ou l'autre il vient à vous, ce foutu serpent, au beau milieu de tous ou seul devant ton miroir.

On ne peut pas l'éradiquer, mais j'ai un secret pour l'écarter.

C'est vrai qu'on peut se demander quel est l'intérêt de s'infliger ça. A moins d'être masochiste bien-sûr...

La réponse est peut-être contenue dans les moments calmes, dans le début de ''Root Of All Evil'', paradoxalement, dans la lumière hivernale de ''I See You'', justement: dans l'abandon. Guettez du côté de la catharsis, et de la rédemption, surtout, plutôt, car la catharsis, à long terme est vaine, futile, inutile, un trip à la Sisyphe.

Peut-être aussi qu'il est bon de faire face à certaines choses dans le miroir pour, une fois que les monstres se pointent brusquement dans la vraie vie, on puisse les combattre, un peu, un peu mieux que nu sans aucun bagage, même si IRL, c'est pas pareil, ma belle. Mais voilà, j'invente rien : l'art peut peut-être nous aider, en comprenant mieux le monde, les autres et soi-même. Hé.

Temple Of The Morning Star, c'est de l'art, au cas où vous en douteriez. Écoutez sa Voix.

Faut prendre ça avec sérieux, le voyage ne va pas être simple.

Oh bien sûr que si c'est pour de vrai, bien sûr qu'ils peuvent te toucher.

Bien sûr que si, ils peuvent te faire du mal !

El Gep

le 09/02/2025