Wednesday - Rat Saw God

Chronique CD album (37:08)

chronique Wednesday  - Rat Saw God

« Je suppose que vous aussi, il vous arrive de vous réveiller au sortir du taf, lessivé·e par la productivité stérile d’une journée alitée d’ennui face à l’écran. Alors, on colore ces derniers instants de clarté au détour d’une boisson chaude, en compagnie d’un soleil couchant. Cette matinée tardive est l’occasion de dissiper cette morose routine en discutant de tout et de rien avec copaines de tout bord. Par conséquent, c’est dans cette écornure faite au quotidien que, souvent, je partage mes découvertes musicales ; celles qui rythment et font trémousser le cafard de l’emploi.



C’est au cours d’une de ses évasions prolixes avec une camarade que je partageai la découverte qui obsédait mes jours, et m’avait amené à me procurer un ticket pour la soirée du 31 mai au witloof bar du Botanique : Wednesday. A peine le café versé dans nos tasses, je témoignai tout le plaisir naïf et l’insouciance béate que me procuraient les dix compositions de ce Rat Saw God, et l’excitation sereine de découvrir la formation originaire d’Asheville en concert. Cependant – comprenant aisément que je ne discutais pas d’une série télé –, elle me questionna légitimement sur le style musical pratiqué par le groupe. L’exercice devint tout de suite aussi intéressant que délicat : comment dépeindre une musique qui fusionne aussi parfaitement des éléments de noise-rock, de grunge, de shoegaze, d’indie rock et de country ?



Intrigué par l'exercice, je situai tout d’abord l’historique de la formation en pointant le focus sur sa personnalité-phare : la guitariste et chanteuse Karly Hartzman, qui pensa Wednesday comme un projet solo avec la sortie d’un premier album en 2018. Cependant, celle-ci accueillit rapidement d’autres musiciens, et ce one-woman-band se mua rapidement en groupe à part entière, avec la sortie d’un deuxième opus en 2020. Le succès frappa à la porte de la musicienne avec Twin Plagues en 2021, qui marque l’intégration de Jake Lenderman ; guitariste d’indie rock / country qui sortira le remarqué Boat Songs en 2022. C’est donc avec un parcours déjà bien établi et une importante expérience engrangée que Wednesday aborda l’écriture de Rat Saw God.



Il m’était cependant difficile d’éluder les influences musicales de ces dix partitions : des artistes country Lucinda Williams et Richard Buckner aux groupes de noise-rock Unwound et de southern rock Drive-By Truckers, en passant par le shoegaze de Swirlies et l’indie rock de The Sundays, – qui inspira d’ailleurs le patronyme. Un melting pot d’influences diverses et variées qui, énoncé comme suit, devrait occasionner chez les lecteurices plusieurs réactions, – au mieux curieuses et enthousiastes, au pire épidermiques et effrayées. Pour celles et ceux dont ces noms n’évoquent rien, je vous invite à imaginer un Dinosaur Jr nimbée d’effluves shoegaze et country, – je fais au mieux.



Avouez néanmoins que l’exercice d’imagination est délicat. Par ailleurs, la mine intriguée de mon amie s’est rapidement réfugiée derrière son breuvage caféinée à la chaleur confortante.



J’essayais de mettre un peu d’ordre dans tout ça ; nous ne sommes pas en présence d’un album hétérogène, dans lequel certains titres adopteraient un des styles musicaux évoqués précédemment pour ensuite glisser en pente raide vers un autre. Non, ici, tout est parfaitement absorbé, digéré, intégré. Évidemment, certaines chansons tirent davantage vers le country (« Formula One ») et le southern rock (« Chosen to Deserve »), d’autres vers le noise-rock (« Bath County »), certains vers le shoegaze (« What’s so Funny »), et évidemment vers l’indie rock (« Quarry »), mais l’’ensemble est d’une cohérence phénoménale, rare, précieuse. Si cette homogénéité est facilitée par le jeu des artistes en présence, elle l’est aussi grâce à la performance vocale ahurissante de Karly Hatzmann dont la tessiture épouse chaque émotion avec une justesse sublime : que ce soit dans les moments de quiétude apaisante ou de rage déchaînée.



Alors c’est bien beau tout ça, mais il est où LE morceau qui te met à terre ; celui qui te fait comprendre instantanément que le diamant brut admiré s’apprête à se loger dans ton cœur, et te suivra de longues années durant ? Ce moment de bravoure, cette perle de nacre, ce chef d’œuvre qui s’apprête à te terrasser, il est placé courageusement en deuxième position : « Bull Believer ». Courageux car il faut s’en remettre d’un tel morceau ; huit minutes trente d’une montée en puissance introduite par une ligne de basse rappelant l'iconoclaste Nirvana et qui invoque le meilleur des traits musicaux énoncés plus tôt. Wednesday plonge dans un marécage d’abrasivité, mais toujours sous le spleen chaleureux du crépuscule estival. Lorsque la formation de Caroline du Nord s’abandonne dans un déluge noise corrosif, les hurlements tétanisants de la vocaliste déchirent tendrement le paysage dessinés jusqu’alors dans un final dont on ne sort pas indemne.



A la suite de cette démonstration à l’allure de logorrhée interminable, sa tasse était vide et mon café était froid. Néanmoins, je ne fus pas seul au Botanique ce soir du 31 mai. »


photo de Arrache coeur
le 26/02/2024

2 COMMENTAIRES

Morkaï

Morkaï le 02/03/2024 à 21:18:41

Très très sympa! J’ai commandé l’album du coup. Merci pour la découverte 🙂

Arrache coeur

Arrache coeur le 03/03/2024 à 23:54:06

Au plaisir, content que ce texte t'ait fait découvrir cette perle ! 😊

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