Ascension Festival MMXXIII : Sombre périple musical en terre islandaise… – Gaukurinn, Reykjavik – 18-21 mai 2023 - Une messe noire underground, mais pas que…

N'attendez pas de moi que je vous dresse jour après jour, set après set, le déroulé chronologique de l’event. Je préfère en dégager quelques grandes lignes. La première est celle pour laquelle je me suis déplacé : voir, découvrir sur scène des groupes islandais pour la première fois (et pour la plupart d’entre eux la dernière) et avoir de pleine face la densité et la qualité de la scène extrême nationale. Il a été frappant de se rendre compte à quel point cette dernière repose sur une grappe assez restreinte de musiciens que l’on retrouve dans plusieurs formations ! Le vivier est assez réduit, mais talentueux et… souvent jeune ! Le fait de retrouver l’ensemble du line-up de Misþyrming dans celui de Naðra n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le batteur de Mannveira est aussi celui d’Úlfúð, dont le bassiste et le guitariste sévissent au même instrument respectivement pour Múr et pour Nyrst ; de son côté, le second gratteux live de ce même Nyrst est aussi celui de Mannveira… Ah j’avais oublié : le bassiste de Múr et d’Úlfúð ne l’est en fait que pour les concerts : celui-ci est avant toute chose le bassiste de Forsmán… Vous avez suivi !
Il n’y a bien qu’Auðn qui ne se mélange pas ; ils n’en ont pas besoin. Bookée pour le premier soir de l’Ascension, cette figure de proue du BM islandais, très à l’étroit sur la scène du Gaukurinn (surtout maintenant qu’ils ne sont plus cinq mais six, depuis qu’en 2020 le bassiste Hjálmar est devenu le 3e guitariste du groupe), est sans conteste la formation qui a attiré le plus de monde. Là je me suis senti à l’étroit dans le Gaukurinn. Cette renommée est amplement justifiée, tant cet atmoblack fait merveille sur scène. Au cours d’un set qui fait la part belle au dernier album en date Vökudraumsins Fangi (2020), le shriek glaçant de Hjalti Sveinsson complète toujours aussi bien les mélodies envoutantes et élégantes des trois gratteux, qui elles-mêmes adoucissent les dissonances et la violence de certains passages (comme sur le "Eldborg"). Je m’interroge tout de même sur la plus-value de la 3e guitare…
En termes d’aura boréale nationale, Auðn est talonné par Misþyrming, ce quartet furieux qui se déploie désormais sur les plus importants festivals européens et qui, quant à lui, a clôturé l’Ascension. Il faut dire que son leader D.G., qui sévit également dans d’autres groupes (Andavald, Martröð, Naðra, Skáphe), est l’une des personnalités les plus en vue du Metal islandais, avec en outre un rôle direct et personnel dans l’organisation de l’événement. Cela justifie donc cette place privilégiée dans la prog’, d’autant que l’impression finale laissée aux spectateurs béats a été encore une fois marquée d’un triple sceau, celui du fiel, de la mélancolie et de la crasse, le tout enrobé dans une détermination, une présence scénique et une brutalité évocatrice peu communes. S’ils ont commencé leur set par l’épique "Orgia", extrait de leur méfait de 2019, ils ont défendu sans surprise Með Harmi sorti en 2022, en enchaînant tout de go "Með Harmi", "Engin Miskunn" et "Engin Vorkunn". On a eu droit à deux titres plus anciens, dont l’un vicieux à souhait ("Söngur Heiftar"). Notez que le dernier morceau joué du dernier groupe de la dernière journée de l’Ascension est … "Ísland" !!! Le message est passé, non ?
Cet épilogue dantesque avait déjà un peu suinté la veille au moment du concert de Naðra où joue la totalité du line-up de Misþyrming, seul le chanteur s’y rajoutant et dont la presta a pâti de réglages perfectibles. Un set un peu décousu, tout comme l’histoire de cette formation difficile à suivre, tant ses enregistrements studio et ses passages sur scène sont rares. Le premier titre "Hold", extrait d’un live album capté lors du Roadburn 2017, a enchanté l’auditoire. Les autres groupes de Black Metal islandais présents n’ont pas démérité, à l’exception de Mannveira auteur d’un concert manqué, désincarné, fainéant, sans énergie. Le set de Sinmara, étirant leur prestation entre les albums Aphotic Womb (2014) et Hvísl stjarnanna (2019), mais aussi ceux de Nyrst (pas commode le frontman) et de Rebirth of Nefast (classe leur tenue de scène) ont été à la fois classiques et un peu statiques. Placés au début de la 2e journée, les jeunes d’Úlfuð ont bataillé sur l’étroite scène du Gaukurinn pour pousser au cul leur première plaque Of Existential Distortion, sortie cette année chez le label ricain Dolorem Records et que j’avais pris soin d’écouter préalablement. Dès les premières minutes de "Where Strange Lights Dance" [ https://youtu.be/L-KL-QCQvHc?si=roibMAAdEsfB5n8n ], j’ai eu très envie de prendre leur Blackened Death au sérieux. Lourde, emportée par la double, parfois chaotique, parfois groovy, toujours incisive dans les mélodies proposées, cette prestation de 6 titres met en lumière un talent réel. Prometteur. Je suis heureux, enfin, d’avoir pu entendre Forsmán, vraiment enthousiasmant avec leur EP de 2021 Dönsum Í Logans Ljóma. Or, aussi déstabilisant que cela a été, le quartet basé à Kópavogur n’a joué que deux titres (sur les 5 au total) de ce qui est à ce jour sa seule sortie officielle ("Milli eilífðar og einskis" et "Vonarglæta"). La preuve qu’il en a encore sous les coudes avec, peut-être, un long-format en ligne de mire. En attendant, j’ai eu droit à une grosse prestation de ce solide rejeton de Misþyrming, qui propose une musique épaisse, elle aussi dissonante, épique et explosive. Mention spéciale au bassiste et au gratteux pour la complémentarité de leurs chants maitrisés.
Creuset irremplaçable de la musique noire islandaise, l’Ascension Festival a eu le mérite de ne pas s’enfermer dans cette seule nuance. Il a pu offrir l’opportunité au bon Metal expérimental d’Altari de s’exprimer, au même titre que le Metalcore gras et brise-nuque d’Une Misère, très en vue en ce moment et dont la maxime imprimée sur son sticker est limpide : « No Wound Too Deep ». Un peu lassant à la longue, mais dansant ! Pour vous en rendre compte, je pose là un autre live, fait un mois auparavant sur la même scène du Gaukurinn, dans le cadre du Wacken Metal Battle Iceland avec la même setlist. Et le kiff absolu de voir Bastarður, on en r’parle ? Voir le frontman Aðalbjörn Tryggvason déconstruire durant 40 minutes tonitruantes et étouffantes l’image hipster friendly qu’il peut avoir dans l’élégant Sólstafir est tout simplement jouissif ! Poutré autour de son album Satan’s Loss of Son, ce Crust/Punk qui joue sur un registre Death Old School est génial : ça dégouline, ça sature, ça envoie une énergie crasseuse, sans offrir un quelconque répit à ses spectateurs ! Un plaisir oui, mais pas de claque. Cette claque – car il en faut bien une, dès lors qu’elle est administrée alors qu’on ne s’y attend pas –, elle est venue du quintet Múr qui a tout simplement estomaqué l’audience en l’immergeant dans une expérience sonore peu commune. Déjà repérée par la critique de son pays et habituée au Gaukurinn, cette jeune formation originaire de Reykjavik s’appuie sur une combinaison originale et captivante entre Blackened Sludge, Post-Rock, Shoegaze et Doom. Déjà en place, cette marqueterie d’ambiances sonores et de textures vocales de son chanteur, armé de son keytar, impressionne. Jugez par vous-mêmes . Je crois bien qu’on réentendra parler de Múr. Accompagnés notamment de … Misþyrming, ils auront l’opportunité d’exporter/exposer leur talent en octobre prochain dans le Festival hollandais Soulcrusher. À suivre donc et de très près !
Autre mérite, celui d’être sorti du seul Metal et de placer ces groupes, tels l’ovni Nyiþ et son Dark Ambient expérimental, soit au début des journées, soit à leur mitan, de façon à autoriser de souffler quelque peu, sans briser l’esprit underground de l’ensemble. De toute façon, cet esprit ne passe pas forcément par du gros son, comme l’a montré le show solo du Suédois de Grift, qui a renoncé à son Black Metal très atmosphérique et folklorique pour un rock toujours folklorique, mais épuré, très « faune et flore », et ce le temps d’une tournée qui doit l’amener de l’Islande à la Norvège en passant les îles britanniques pour la promotion de son prochain album Dolt land. Une telle programmation a permis de colorer davantage cette messe noire, à l’image des toits et des murs parés de bleu, de vert ou de couleurs chaudes pour mieux échapper au gris prégnant de la capitale islandaise. Et rien de mieux pour cela que les filles de Kaelan Mikla dont le style buissonnant nous transporte vers des rivages Electro / Dark Pop / Post-Punk / New Wave ; cela m’a successivement déstabilisé, intrigué, touché, emporté. C’est en travaillant leur setlist que j’ai compris pourquoi Alcest avait été dans un premier temps prévu pour ce fest : Neige au chant et à la guitare, Winterhalter aux percussions, ont en effet réalisé un feat remarqué sur "Hvítir Sandar" extrait d’un album de 2021. Ce titre a bien été joué en tout dernier, mais sans Alcest. Dommage !
Le dernier mérite de cet Ascension MMXXIII, lié au précédent d’ailleurs, est sans conteste sa féminisation remarquable. Je pense qu’au moins deux festivaliers sur cinq étaient des festivalières. Parmi les musiciens qui ont foulé la scène du Gaukurinn durant ces quatre jours, la place des femmes a été – comme à leur habitude – médiocre chez les groupes de (Black) Metal, à la seule exception de la bassiste de Sacramentum. Pour les autres, la féminisation est bien plus probante. Ainsi de la pièce Electro expérimentale jouée par les trois Islandaises de Svartþoka, placées au début de l’ultime journée. Outre la chanteuse de Kaelan Mikla, deux figures féminines ont jailli. La première est Italienne : Lili Refrain que certains lecteurs connaissent peut-être pour être passée l’année dernière par le Hellfest ou l’Olympia en première partie de Heilung ou encore récemment par la case Motocultor. Elle joue de ses incarnations vocales incantatoires et surtout de ses nombreux instruments (guitares, synthé, cloches, gong, taiko, …), pris dans le tourbillon de sa loop station, pour nous amener dans son univers psyché et ésotérique, nous embrouiller les conduits, nous subjuguer de sa présence et en sortir à l’issue groggy, mais conquis ! La seconde est Française : Mütterlein. Marion s’est adaptée à un line-check des plus rapides et rudimentaires, mais elle a su se (re)mobiliser pour nous recouvrir de son aura noire et menaçante, à l’aide de sa musique Indus / Doom / Dark Ambient poisseuse et déchirante. Une ambiance inconfortable attendait les festivaliers : les rythmes hypnotiques s’ajoutent aux vibrations menaçantes de sa voix, ainsi qu’à l’atmosphère obscure de ses mélodies. L’intensité sonore et la force expérimentale de cette construction musicale solitaire ont fini par l’emporter sur les scories techniques. Heureux que ses efforts et son talent paient aujourd’hui, avec déjà à son compteur l’Ascension, le Roadburn, ses mini-tournées avec RLHT et Amenra et bientôt le Soulcrusher et le Tyrant Fest !
Vous l’aurez sans doute compris, les groupes non islandais se sont bien défendus durant ce fest’ ! La quintet suisse Schammasch a achevé la première journée avec une très bonne prestation live qui a eu le grand mérite de rincer leurs morceaux des éléments qui font de leur BM avant-gardiste une musique parfois trop haut perchée, trop sophistiquée. Certes le decorum est soigné, les costumes élégants, les orchestrations samplées bel et bien présentes, certes on discrimine fort bien les différents morceaux – si on connait leur discographie – (leur set, commencé par le "Ego Sum Omega" extrait de Hearts of No Light, s’appuie harmonieusement sur leurs trois derniers long-formats), mais la granulosité et les imperfections du live ont permis d’écouter un son plus direct, plus franc, plus velu et donc plus accessible. Dans un autre registre, un registre plus cru, les Suédois d’Ultra Silvam et Sacramentum ont su à leur tour marqué de leurs empreintes la soirée de samedi. Il en a fallu des kilomètres pour passer la déception d’avoir loupé le passage à Bordeaux en mars dernier d’Ultra Silvam accompagné de Gleichmacher. Oubli réparé avec un set de pur Black Metal, tradi, décomplexé, sans chichi et qui a laissé dans les cordes durant 40 mn les spectateurs médusés par tant de véhémence et heureux d’entendre ici et là des gros solos bien cloutés fleurant bon le Thrash Death Old School. Les Islandais ont carrément suradoré le moment ! Sacramentum m’a moins convaincu, peut-être la fatigue n’a pas aidé… Malgré tout, la présence scénique du frontman, Nisse Karlén, excessif à souhait, jusqu’à se couvrir de (faux) sang, ainsi aussi l’agilité des gratteux, indispensable pour déployer ce Black/Death mélodique, ont rendu le set final de la journée de samedi très plaisant et complètement légitimé leur place d’headliner. Après tout… c’est Sacramentum quoi !!!
Bon… Que conclure ? Si ce n’est qu’une fois les ajustements opérés, j’ai été progressivement emporté en terre islandaise par un périple où des contrées musicales sombres se sont télescopées le temps de quelques jours du mois de mai, dans les abysses du Gaukurinn, avec des riffs apocalyptiques et dissonants, des paysages sonores dévastateurs, des intentions délicieusement malveillantes et une lourdeur expérimentale innovante. Avec, parfois, des étincelles, des rets de lumières, des rets souvent féminins.
Pour tout cela, l’Ascension Festival MMXXIII a littéralement valu le déplacement…
1 COMMENTAIRE
cglaume le 18/09/2023 à 19:58:31
Impressionnant : bravo Seisach ! 🤘
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