Emma Ruth Rundle le 16/08/2024, Le Petit Bain, Paris
Salle : Le Petit Bain
Paris
Programmer un concert en plein cœur de l’été, au milieu du pont du 15 août, pendant que se tiennent ailleurs des festivals à l'affiche alléchante (coucou la Route du Rock, avec notamment Slowdive, Blonde Redhead et Backxwash et coucou le Motocultor avec une liste de noms digne d’un menu de banquet baroque ou encore les Volcano Sessions pour les amateurs de stoner), relève du défi un tantinet casse-gueule. C’est sans compter avec l’une des plus envoutantes Circé des temps modernes qui saura transformer ce défi en véritable rendez-vous. De ceux qu’on ne peut manquer. De ceux qu’on s’en voudrait de ne pas honorer. De ceux qui vous octroient la carte de membre du cercle des happy few si cher à Stendhal. Certes, on peut déléguer, vivre le moment par procuration, espérer qu’une âme charitable vous en rapporte une relique, mais rien ne vaut l’empreinte de la magie dans les méandres de sa propre mémoire. La vie est une question de timing. Mais aussi d’organisation, de volonté et d’engagement. Adonc, le doux tangage du Petit Bain, bercé par le courant de la Seine, accueille, en ce 16 août 2024, non pas une foule d’aficionados (nonobstant ladite date, la salle s’avère quasi pleine) mais les membres d’une famille répondant à l’invitation de cette sorcière géniale qui ne s’encombre d’aucun artifice pour l’envoyer tutoyer l’infini. Msieudames : Emma Ruth Rundle.
Après 30 minutes de mélancoliques mélopées dispensées par le piano de Jon Samuel Ardron, l’ensorceleuse s’installe seule sur scène, celle-ci uniquement équipée d’un écran sur lequel se déversent tour à tour des vagues sauvages léchant des falaises prises dans les rets d’un miroir psychédélique et des champs de blés battus par des vents bucoliques. Sous un éclairage sobre, la baignant dans la pénombre d’un ciel infini ou dans de doux rais de lumière, ERR revisite l’ensemble de son répertoire, à la manière de la musique qu’elle livre sur l’un de ses derniers albums en date, Engine of Hell. Tout en acoustique, avec un minimum d’effets.
Les connoisseurs opinent du chef dans un silence qui relève du religieux en identifiant les titres qui se succèdent : « Living with the black dog », « Your card the sun », « Run forever »… Sur scène, celle qui se présente en début de concert humblement par son prénom met littéralement son âme à nu. De sa pudeur irradie son charisme en mille éclats d’émotions qui se déposent sur les visages de l’assistance, sur les yeux clos, sur les larmes, même, avant de pénétrer l’esprit et d’atteindre le cœur qui bat à l’unisson des cordes délicatement grattées. A la fois langoureuse, humble et noble, la voix d’Emma Ruth Rundle module les notes. Mue par une force intérieure, sans rage, elle ondule le long des rotondités de 1001 nuances à vous en foutre la chiale. Par moment, elle s’éloigne du micro, pour davantage d’authenticité, de fragilité, d’humanité. Quelques pas de côté et voilà qu’elle occupe encore plus l’espace, sa robe blanche agissant comme la lueur incandescente d’un esprit tutélaire de la nuit.
Vient « Citadel », la ballade nerveuse qui se drape dans la toile d’une digne tristesse. Puis les chansons emblématiques de sa cosmogonie : « Haunted houses » et « Darkhorse »… A la fin du concert, Emma troque l’acoustique pour l’électrique. Les accords se muent alors en feulements nimbés de poussière suspendue. La magicienne ne nous fera pas attendre longtemps avant de revenir pour un court rappel. Pas de ça entre-nous, ce concert ne relève, in fine, ni du défi ni du rendez-vous, mais du cadeau. D’ailleurs, la setlist incluait une chanson qu’elle a interprétée pour la 1e fois durant sa présente tournée. « C’est Noël ! » s’exclame un spectateur. « Il fait un peu chaud pour Noël… » s’amuse Emma. En totale communion avec elle, le public reçoit l’offrande des derniers titres.
Et puis, alors que le bateau se vide, elle se tient là, souriant timidement, disponible, accessible. La dernière fois qu’elle avait foulé les terres parisiennes, en compagnie de la violoncelliste Jo Quail, pour jouer en intégralité Engine of Hell, c’était dans un petit théâtre, équipé de bancs disposés en demi-cercle autour de la scène. J’y avais acheté moult de ses albums en vinyles. A l’issue du spectacle, elle avait disparu. Cette fois-ci, je lui ai fait signer lesdites pochettes. Les 3 lettres qui composent sa griffe confinent à la calligraphie pleine de classe. La vie est une question de timing. Et celui-ci fut parfait. Merci, Emma Ruth Rundle.
La playlist :
8 COMMENTAIRES
Pingouins le 27/08/2024 à 10:19:52
Très chouette report qui donne l'impression d'un show très sensible, comme on peut se l'imaginer :)
Vincent Bouvier le 27/08/2024 à 11:58:11
Rah... On a pas eu la chance d'avoir un rappel lors du Motoc, deux jours plus tôt... Mais nos impressions sont les mêmes !
Le report arrive...
Moland le 27/08/2024 à 14:19:57
Pingouins tu aurais kiffé !
Vincent : c'est rare, les rappels, en festival, mais ça devait être bien intense. Quelle dame ! Hâte de lire ton report. La prog était démente, cette année
Vincent Bouvier le 29/08/2024 à 20:52:14
@momo : C'est vrai, tu as raison.
En attendant le report, tu as déjà quelques clichés sur insta...😊
Moland le 29/08/2024 à 22:56:27
Vu. Pas facile, hein, avec l'éclairage. Moi, je n'étais pas en commande alors je n'avais que mon smartphone pour tenter de tirer 2, 3 clichés potables.
Vincent Bouvier le 30/08/2024 à 07:53:33
Nope. Après, je ne traite pas derrière non plus. L'idée étant de "reporter" au maximum le concert. Le sujet est dans la pénombre, il est dans la pénombre. Et c'était particulièrement le cas ici... Ahaha
Aldorus Berthier le 30/08/2024 à 13:04:39
Merf, j'étais en shift pendant Emma... Au moins j'ai eu tout le loisir d'écouter la presta d'Alan Stivell
Vincent Bouvier le 30/08/2024 à 13:36:58
😂
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