Emma Ruth Rundle - Engine of Hell
Chronique CD album (40:49)

- Style
Folk intimiste ultime - Label(s)
Sargent House - Date de sortie
5 novembre 2021 - écouter via bandcamp
Voilà le parfait exemple d’artiste qui ne se repose jamais sur ses lauriers, qui va de l’avant, ne sert jamais la même soupe, sans pour autant compromettre ni son nom ni son âme. Electric guitar : one, le 1e album d’Emma Ruth Rundle, est entièrement instrumental, écrit dans un tourbus, alors qu’elle officie à la six-cordes dans le groupe de post-rock Red Sparowes. Entre-temps, on la voit aussi dans le groupe de dream pop The Nocturnes. Touche à tout, elle fonde à la même période un autre groupe de post-rock, Marriages. Nous sommes alors en 2012. En solo, elle explore ensuite le territoire de la folk, avant d’électriser sa guitare sur ses 2 chefs d’œuvre, Marked for death et On dark horses. En 2020, elle signe l’un des plus beaux joyaux de l’année avec Thou. Collaboration parmi tant d’autres, comme avec Chelsea Wolfe, une chanteuse de sa trempe. Au fil de sa discographie, elle sait se réinventer, en faisant évoluer sa musique de la manière la plus fluide qu’il soit. 2021 marque son retour avec sans doute son projet le plus personnel, écorché et à fleur de peau, intimiste en diable.
On parlait plus haut d’âme : c’est exactement de quoi il est question ici. Avec Engine of Hell, cette grande dame qui rivalise avec les baronnes comme PJ Harvey nous la met à nu. Au prime abord, l’opus peut déconcerter, surprendre, voire décevoir. Pour autant, son extrême austérité et son dénuement assumé cachent dans leur pudeur des trésors d’émotions : celles qui circulent tout au long de la tracklist, et partant, celles qu’elles réveillent chez l’auditeur qui saura se placer au diapason. Il se révèle sans artifice. Débranchés, les amplis, zéro effet, juste une guitare acoustique ou un piano, selon les chansons, avec de temps à autre un violon discret. Et surtout, la voix de la sorcière envoutante : langoureuse, humble et noble à la fois. Sans jamais pousser ni exprimer une certaine rage comme dans les albums précédents, elle dévoile une force intérieure et ondule le long de mille et une nuances. Parfois, elle s’autorise un feulement. Le reste du temps, elle se montre légère comme une brise d’automne, ainsi que dans les paroles de « Return », elle devient un souffle glissé entre les choses qu’on ne dit pas : « The breath between things no one says ».
Engine of Hell parle de perte et de deuil, comme l’album fraîchement sorti de Mastodon, un autre bijou qui prend au cœur et aux tripes. Comme s’il avait été enregistré d’une traite, en une prise, sans filet, il cultive ses imperfections, sa fragilité et son authenticité. En somme, son humanité. On entend les doigts glisser sur le manche de son instrument pour exécuter des partitions minimalistes, mais qui palpitent, et la respiration de la chanteuse emplit l’espace. De cette sincérité se dégage une poésie d’une puissance universelle : la force qu’on acquiert dans la résilience, face à l’impossibilité de caresser le bonheur. Ce n’est pas un hasard si la même année, Emma Ruth Rundle a formé un duo poignant avec Chelsea Wolfe pour une chanson au titre évocateur : « Anhedonia ». Même la ballade la plus nerveuse, toutes proportions gardées, « Citadel », sur laquelle Emma Ruth Rundle attaque avec davantage d’énergie les cordes, se gorge d’une digne tristesse. Typiquement le genre de chanson qui accompagnerait idéalement notre solitude face aux turpitudes de la vie. Sans sombrer dans le pathos, vent debout, elle nous aide à poser un regard altier sur les obstacles qui se dressent sur notre route. Là repose tout le génie de cet album. Avec peu de moyens, il impose un univers habité par la lumière qu’on extirpe de l’ombre.
3 COMMENTAIRES
8oris le 14/11/2021 à 00:04:39
Juste pour info, l'intéressée a liké le tweet destiné à promouvoir humblement cette superbe chronique aux détails dignes d'une dentellière!
Pingouins le 14/11/2021 à 15:33:53
Et bien je crois que c'est ce que je préfère de tout ce que j'ai pu entendre d'elle. Le côté minimaliste et épuré laisse passer une sincérité émotionnelle et une fragilité assumée qui sont très touchantes et mélancoliques. Mais sans en faire trop, sans surjouer le côté "dark" ou "tristoune" : ça tape souvent dans le mille.
Je le trouve pile-poil adapté à un moment où on regarderait le monde passer sans trop le voir, en se perdant dans l'amertume d'un café noir.
Moland le 15/11/2021 à 07:06:36
8oris tu la suis sur Twitter ? Merci d'avoir lu.
Pingouins, j'aime toute sa discographie, elle propose toujours quelque chose de différent. Ici, elle fait mouche sans en faire des tonnes. Sa sincérité, c'est sa force.
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