Meshuggah - The Violent Sleep of Reason
Chronique CD album (58:55)

- Style
Shaker Metal - Label(s)
Nuclear Blast - Sortie
2016 - Lieu d'enregistrement PUK Studio
écouter "Clockworks"
Le premier contact avec un nouvel album de Meshuggah est comparable à celui de la langue avec les 2 bornes d’une pile 9 volts neuve… Ouïe, mais ça pique ce truc! Sauf que lors de ces 2 expériences, il y a un quelque-chose d’excitant, un quelque-chose qui pousse la part masochiste de notre moi intérieur à réitérer l'expérience. Parce que… Rhââ, comment vous dire? On doit être un peu tordu. Voilà. Bon, la différence entre The Violent Sleep of Reason et la source d’énergie de la Dictée Magique de votre cousin Bastien, c’est qu’à force de se frotter au premier, derrière les ronces, les vieux clous rouillés et les tressautements contre-nature qui nous agacent l’oreille au premier abord, on finit par discerner une logique improbable, un agencement musical complexe et magnifiquement terrible taillé sur mesure pour plaire aux automates désarticulés et autres R2D2 autistes qui dorment en nous. Et l’excitation ressentie à chaque découverte d'un nouvel opus des Suédois tient pour beaucoup à ce progressif débroussaillage qui n'a pour autre but que de lever l'éternel mystère: quelles merveilles nouvelles vont encore nous être révélées, quels schémas inédits nos synapses finiront-ils par appréhender après les 10-12 écoutes nécessaires pour que nos oreilles réussissent à percer le mystère de cette déferlante hermétique de pulsations guitaristiques revêches?
On peut dire que sur ce 8e album, la bande à Fredrik Thordendal a plus que jamais mis un point d’honneur à nous rendre la tâche difficile. C’est que le paquet cadeau est plus monolithique, plus faussement linéaire encore que sur – pour ne pas chercher bien loin – Koloss. La puissance reste plus souvent larvée, la progression des morceaux plus sadique, plus frustrante, sans beaucoup de ces explosions libératrices auxquelles tout notre être aspire après avoir été longuement malmené sur des terrains métalliques terriblement accidentés. Quand, sur l’album précédent, un « The Demon's Name Is Surveillance » ou un « Swarm » – exemples parmi d’autres – faisaient voler les têtes sans en passer par la case « attente, agacement & asphyxie », The Violent Sleep of Reason se fait un malin plaisir, lui, à planquer quasi-systématiquement groove et punch derrière d’épaisses circonvolutions inconfortables.
Du coup on met carrément plus longtemps à rentrer dans ces 10 titres…
… Et corollaire logique – du moins pour moi –, on en retire moins de plaisir. Parce que le Vas-Y-Johnny-Fais-Moi-Mal Metal, ça va un temps, mais sans donner dans le Crust 24/24, des fois ça fait du bien quand même quand le coup de boule part bien violemment, direct' dans le tarbouif.
Heureusement Meshuggah nous offre de ces moments de grâce où Metal quantique et plaisir hédoniste réussissent à faire front commun. Comme sur ce magnifique décollage intervenant à 2:30 sur « Clockworks », ainsi qu’à 4:04, de l’autre côté du solo, quand la machine se remet implacablement en marche. Comme sur ces descentes mélodiques séduisantes qui cassent la pseudo-linéarité des trépidations de « Born in Dissonance ». Comme sur la 2e moitié du morceau-titre, quand le sex-appeal de celui-ci décide enfin à se manifester. Ou plus fort encore, sur « Stifled », dont les mouvements de balancier hésitant culminent sur une orgie de groove inhumain, à partir de 3:43, forçant enfin nos cerveaux à concéder au groupe sa place sur le trône pour un album encore.
Par contre c’est vrai que cette nouvelle séance de poinçonnage syncopé est parfois trop étirée, trop lancinante, trop rêche. Et l’auditeur non aveuglé par l’aura éclatante des Suédois de pester contre les mornes aboiements mécaniques de Jens Kidman, ainsi que contre les dissonances grinçantes des interventions solos. Et pourquoi « By The Ton » ou « Nostrum » ne décident-ils jamais de balancer la purée qu’ils laissent pourtant entrevoir, sadiques qu’ils sont, sous leurs habits de fil de fer barbelé? Et pourquoi « Into Decay » lâche-t-il l’affaire aussi mollement, dans une soupe au caoutchouc fondu manquant trop cruellement de panache? On aurait aimé être abandonné autrement que sur un morne trampoline dans un vieux hangar désaffecté…
Si The Violent Sleep of Reason ne lâche rien en terme de prosélytisme anti-easy-listening ni en sado-esthétisme rythmique, c’est donc cette fois un peu au détriment du pur plaisir direct pris par l’auditeur. Et forcément, c’est moins fait pour contenter ma nature de petit lapin des dancefloors. De superbes trips cyber-apocalyptiques nous permettent une fois de plus d’halluciner en découvrant de nouveaux panoramas inédits sur la Matrice et le Los Angeles de Blade Runner… Mais on se traîne également trop longuement et trop souvent dans les méandres grisâtres de vieilles friches industrielles sans grandes perspectives de pouvoir s’abandonner au plaisir des sens… Du coup, je dois bien avouer que ce verre de Meshuggah cuvée 2016 n’est pour moi qu’à moitié rempli, à moitié vide ou à moitié plein selon les moments et les écoutes.
PS: le groupe a cette fois enregistré l’album en conditions live. Autant la performance est assez exceptionnelle, autant mes grandes oreilles à la sensibilité sans doute émoussées par des années de gros Death et de Nawak ne décèlent pas de différence flagrante avec le son des galettes précédentes…
La chronique, version courte: 8e cyborg cyclopéen lâché dans la nature par Meshuggah, The Violent Sleep of Reason n’est clairement pas le moins vicieux de la bande. Tout aussi retors et riche que ses prédécesseurs, ce nouveau manifeste de Metal quantique révèle certes de nouvelles merveilles aux auditeurs, mais il les masque sous encore plus de séances de trépanations hypnotiques et d’arrachages d’ongles métalliques que précédemment. Du coup un minimum de masochisme est nécessaire pour en apprécier pleinement la saveur…
6 COMMENTAIRES
Xuaterc le 20/12/2016 à 11:36:06
J'ai inventé une nouvelle méthode de torture: faire écouter à sa victime du Meshuggah au casque, un album différent dans chaque oreille.
cglaume le 20/12/2016 à 13:55:17
Sadique :P
Crom-Cruach le 20/12/2016 à 18:54:13
Etant une grosse teub en maths, je crois que je resterai sur Koloss...
Sam le 20/12/2016 à 18:54:55
Xuartec, pour ça tu n'as qu'à mettre la 2ème moitié d'Elastic de l'album Chaosphere...
Xuaterc le 20/12/2016 à 19:13:34
Ma femme a fait un malaise en entendant le début de "Concatenation"...
Foo Gazi le 21/12/2016 à 16:15:00
Dixième écoute au compteur et l'animal ne m'a toujours pas livré tous ses secrets, mais ça commence à venir, tout doucement, laissant la séduction opérer de plus en plus. Mais c'est qu'il est exigeant l'animal, il se mérite... Honnêtement je n'ai comme point de comparaison ses deux prédécesseurs (le reste arrivera après assimilation intégrale de ce dernier) mais je peux tout de suite affirmer en toute subjectivité que celui-ci à ce petit quelque chose indéfinissable supplémentaire qui me donne envie d'y revenir souvent, sorte d'objet de fascination... Je ne suis pas un grand fan de la musique des scandinaves et ne le serais sans doute jamais, mais je conçois parfaitement la passion qu'ils suscitent tant leur musique et hors normes et originale !
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