1914 - Where Fear And Weapons Meet

Chronique CD album (63:27)

chronique 1914 - Where Fear And Weapons Meet

Les chroniques des albums The Blind Leading The Blind de 1914 et de Menschenmühle de Kanonenfieber que j’ai rédigées dernièrement ont été l’occasion de souligner la grande porosité entre le Metal et la Première Guerre mondiale, le premier trouvant dans la seconde une inextinguible source d’inspirations et de créations, autant pour les compositions, les paroles que pour l’identité graphique. Sur ce tête-à-tête fécond entre cette musique et cette période marquées l’une comme l’autre par une très forte intensité, je ne reviendrai donc pas !

 

Impressionné par les recherches rigoureuses et la démarche intellectuelle sincère des 1914 proposant leur « poésie de guerre » pour mieux nous faire rentrer dans l’horizon mental d’un combattant de la Grande Guerre, j’avais été relativement peu emballé par le Blackened Death/Doom Metal qui en a été l’écrin. Il faut dire que la reprise de "Beat The Bastards" de The Exploited, plombé par un usage incompréhensif de la cornemuse, m’avait alors complètement achevé ! La tuile…

 

… Là, nous sommes en présence du troisième long-format des Ukrainiens, intitulé Where Fear and Weapons Meet (toujours chez Napalm Records). Le Blackened Death/Doom est toujours là, à la différence qu’il est tout à la fois moins grandiloquent, plus honnête, moins m’as-tu-vu, plus percutant et parfois même plus groovy que The Blind Leading The Blind. On retrouve la même trame basée sur une intro et une outro d’époque "War In"/"War out", la première reprenant “Tamo Daleko”, l’une des chansons serbes les plus fameuses de la période. Sinon, notre oreille est moins matraquée par des extraits de films ou de chanson, de bruits d’armes, … Les samples sont relativement moins nombreux, mais mieux sentis, tandis que l’apport des orchestrations (sur "Pillars of Fire" ou le doomesque "Corps d'autos-canons-mitrailleuses (A.C.M)") et de la cornemuse (présente sur "The Green Fields of France") est justement exploité. Cet album est donc tout aussi bien ambiancé, mais musicalement plus convaincant que le précédent.

 

Vous appréciez certainement le soin avec lequel 1914 souhaite toujours perpétuer la mémoire de ce conflit brutal qui a porté en lui la destruction des corps et l’annihilation des esprits, le tout avec un regard apaisé et non partisan. À l’exception toutefois – me semble-t-il – du morceau "FN .380 ACP#19074" (numéro du pistolet utilisé par le nationaliste serbe Gavrilo Princip), qui se réfère à l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 et à l’assassinat du prince François-Ferdinand. Peut-être l’identité et la fraternité slaves de ce groupe y suintent-elles au travers de l’image bien peu amène donnée à l’Empire austro-hongrois, comparée à « une bête », « une hydre » dont les têtes doivent être tranchées. Sinon, proposant une atmosphère poisseuse par un riffing particulièrement épais, le très bon "Vimy Ridge" rend un hommage appuyé à Filip Konowal, soldat canadien d'origine ukrainienne. Il est le seul Ukrainien, en fait le seul soldat d'Europe de l'Est, à avoir été décoré de la croix Victoria, la plus haute récompense des forces armées du Commonwealth, en reconnaissance de ses actes de bravoure face à l'ennemi. "Pillars of Fire", de son côté, se réfère à la bataille de Messines, « la bataille des Mines », assez peu connue au demeurant et peu traitée dans les manuels, alors qu’en ce jour du 7 juin 1917, l’armée britannique fait sauter 450 tonnes d’explosifs sous les lignes allemandes provoquant alors une déflagration encore jamais ressentie. La guerre industrielle et technique à son apogée…

 

Hommage au 369e Régiment d’Infanterie, celui qui a comporté le plus d’hommes noirs au cours du Premier Conflit mondial, le titre "Don't Tread on Me (Harlem Hellfighters)" débute tambour battant sur une rythmique tellement Black Metal que celle-ci ne peut que me plaire. L’identité Beuh Meuh se renforce un peu plus avec le vénéneux "Mit Gott für König und Vaterland". À rebours, les trois minutes Folk de "Coward" chantées et jouées (banjo, harmonica) par le musicien de country Sasha Boole (Me And That Man) offrent une respiration bienvenue. Respiration de courte durée vous l’aurez compris, avant que cette plaque bien trapue (qui dépasse l’heure tout de même) poursuive sa marche effrénée avec "...And a Cross Now Marks His Place" qui fait teinter à son entame un bon Sludge/Doom. La participation en guest vocal du Nick Holmes, vocaliste de Paradise Lost, offre une plus-value tout à fait discutable, dispensable de mon point de vue, mais elle n’enlève rien à la qualité du morceau, dont les lyrics retranscrivent fidèlement le contenu d’une lettre écrite par un officier britannique à la mère d’A. G. Harrison, soldat décédé sur le champ de bataille le 20 mai 1918, tel une piétaille captive d’une guerre dont les intérêts et les enjeux le dépassent complètement.

 

"The Green Fields of France" est une autre chanson forte de Where Fear and Weapons Meet. Il s'agit en fait d'une reprise d’un morceau original interprété en 1976 par Eric Bogle sous le nom de "No Man's Land". D’autres artistes s’y étaient collés, de France (Renaud) et d’ailleurs (Dropkick Murphys) et c’est donc au tour de ces Ukrainiens d’honorer à leur manière la mémoire de « toute une génération massacrée et damnée », visible dans « les innombrables croix blanches [qui] se tiennent muettes dans le sable » dans les cimetières, ces autres « no man’s lands »… Les metalheads qui écouteront cette grosse pièce de 11 mn se sentiront sans nul doute enveloppés dans un tourbillon de riffs sludgy, de la même manière que les soldats ont été pris dans un ouragan de violences mécanique et aveugle. Mais, au final, les 1914 auront davantage laissé dans leur nouvel album la parole aux vivants, héros de guerre ou simples mobilisés, plus en tout cas que dans le précédent. Vivants ? Survivants plutôt, marqués dans leurs chairs et leurs âmes de manière indélébile…

 

 

photo de Seisachtheion
le 05/11/2021

1 COMMENTAIRE

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 05/11/2021 à 10:00:50

Puissant, ambiancé, quelques tubes (ce "Don't Tread on Me (Harlem Hellfighters)" !): vraiment agréable comme album et bonne kro.

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