Bishop - Bishop

Chronique CD album (37:35)

chronique Bishop - Bishop

Dense. C'est le mot qui s'impose à l'écoute de ce premier album des Messins de Bishop. Une densité qui s'articule et se décline sous plusieurs formes tout au long de ces quatre morceaux (pour presque 40 minutes tout de même) et qui frappe « comme un grand coup de surin en pleine poitrine », pour citer un autre groupe « du nord ». Dense donc, mais varié aussi : on ne se confronte pas ici à une lisse plaque d'alliage métallique, mais plutôt à de la pierre, dure, granitique, au grain abrasif et aux multiples reliefs, creux et bosses qui lui donnent sa forme, à la fois pure et grossière, pour un résultat dans l'ensemble assez exigeant à appréhender. Il y a un côté très radical dans ce qui est proposé ici, ce qui peut rendre la (voire les) première écoute potentiellement rude et laborieuse.

 

Exigeant, parce que le groupe navigue en empruntant à différents styles ses acceptions les plus sombres et souvent étouffantes. Pas de l'étouffement que l'on sentirait du fait d'un surplus de chaleur, plutôt celui, claustrophobe et irrespirable, d'un environnement cavernicole, sombre et humide, et où la seule incartade à l'isolement serait l'écho de sa propre voix, de ses mouvements et grelottements. Froid, aussi, donc. Ce premier disque du groupe est une errance sans lumière dans une grotte, on se cogne aux parois, on trébuche sur un sol glissant et glacial, on éprouve une angoisse qui comprime la poitrine et une solitude que bordel, on jurerait ne jamais avoir ressentie jusque là. Un sentiment amplifié par un chant lourd, habité et hurlé, parfois en léger retrait dans le mix, et surtout avec ce léger écho qui lui donne véritablement un caractère d'outre-tombe. En ce sens, la pochette représente extrêmement bien le contenu de l'album, sa noirceur et son côté dévasté : cette adéquation n'est d'ailleurs pas due au hasard puisque derrière le micro et le graphisme se cache la même personne : Matthieu Pellerin.

 

Parmi ses compagnons de misère se trouvent Julien Rosenberger, un autre membre, comme lui, du groupe de black metal Loth (qui semble truster la musique sombre messine, puisqu'on en retrouve aussi chez les Oi Boys, chroniqués récemment sur le zine, mais aussi chez le disquaire La Face Cachée, qui distribue le vinyle) ; Arnaud Ness (X-Vision) et Loïc le Goff (DCA et Le Seul Element, autre groupe commun avec Matthieu).

 

Si les titres numérotés des morceaux, un par musicien, semblent faits pour tracer un chemin évident à travers cet album, il y a pourtant plus d'une raison de se perdre dans les méandres anguleux découpés par Bishop au milieu de ces blocs aux contours incertains façonnés par des vagues de black metal, de doom/sludge et de hardcore sombre et violent.

 

I

 

L'entame de ce disque, c'est une chute inévitable vers les profondeurs : l'espace sonore est saturé presque immédiatement et prend aux tripes. Il suffit d'un hurlement, un riff très tendu et d'une voix extrêmement menaçante pour ouvrir ensuite sur une batterie frénétique aux rythmiques alambiquées, des arrangements sonores et mélodiques tranchants... On évolue alors dans des paysages auditifs presque exactement à mi-chemin entre le blackened post-un-peu-tout terrifiant que les Suédois de This Gift is a Curse installaient sur I, Gviltbearer, des sonorités industrielles et les plaines déchirées par les rafales de vent glacial du black des Islandais d'Altar of Plagues sur Mammal, notamment au niveau du son, très proche.

Plusieurs variations de tempo viennent s'inscrire sur la suite de la piste, parfois plus lents mais toujours empreints de tension, avec un martelage des instruments qui vient toujours donner cette sensation que quelque chose se brise. Et c'est probablement le cas : l'espoir, la nuque au moment de toucher le fond, ou les deux, au choix.

 

Vers la moitié du morceau, un nouveau changement de rythmique vient poser un break lourd, à la limite du breakdown, mais dans des territoires plus doom/drone que hardcore. La saturation et les coups de cymbale maintiennent la rigidité d'ensemble, l'ossature dans laquelle s'engouffre un vent à en découper les chairs. On imaginerait presque la fin partir dans une direction postcore mais les lignes de guitare qu'on pensait pouvoir devenir aériennes retombent immédiatement dans les profondeurs : Bishop tire tout vers le bas. Pas dans le sens où il en sortirait quelque chose de mauvais, bien au contraire. On parle là de descente, de souterrain, d'abyssal, de gouffre duquel rien ne s'échappe. Un trou noir minéral forgé par la saturation sonore.

 

II

 

Arrivés dans la deuxième salle, qu'on trouve après être descendus au fond du premier puits, c'est une saturation à la limite du drone et de la noise que l'on découvre, sur un seul beat, avec des grincements industriels/larsen/stridences pour tout réconfort, rien qui n'aide à calmer les angoisses dessinées sur la première piste. Au contraire, celles-ci s'intensifient avec des coups qui, à ce tempo, semblent erratiques, poursuivant leur entreprise de désorientation sensorielle et de déperdition sans concession, pour aller se perdre dans une zone plus funeral doom, brisée et ployée par la lourdeur des roulements de batterie et toujours ces nappes de son déstabilisantes. Lorsque la voix fait son apparition, c'est sans pitié, aussi redoutable que les créatures que l'on imaginait dissimulées parmi les ombres projetées par notre faible lumière dans cet univers minéral. Le résultat est hyper agressif, fait mal à la gueule et au bide, et la sortie semble toujours plus loin. Entre les blasts noyé dans les riffs très lents et ce low tempo aux beats « erratiques », tout ça est probablement monstrueux en live et doit en secouer plus d'un-e. Bien que le style soit fort différent, je pense un peu à un mix entre Usnea et Cortez en termes d'intensité comparable.

 

III

 

Le morceau le plus court avec ses « seulement » six minutes (excusez du peu). Et on commence à se dire que quelqu'un a probablement piqué tout le stock d'accords majeurs du groupe à la récré, en même temps que leur goûter, parce que le travail de déconstruction se poursuit : après un départ guidé par les cymbales et une lente montée brutalement brisée par un coup sec, la rythmique est lourde, les riffs encore en surtension et l'ambiance bien pesante.

 

Mais celle-ci, peu à peu, commence à prendre une tournure enivrante alors que l'on s'y abandonne au fur et à mesure, telle une attraction du vide : décidément, ça doit vraiment faire très, très mal en concert. On se souvient d'un truc pas con qu'avait dit Nietzsche : « Si tu regardes longtemps dans l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi » et on se dit qu'on est à deux doigts de l'allégorie de la caverne : on commence à peiner à croire qu'il puisse exister autre chose que cette obscurité que l'on a pour tout horizon. C'est la levée de l'armée des ombres qui viennent conquérir la nuit et recouvrir le monde de poussière. Malgré ça, ce morceau est pourtant peut-être un poil plus accessible que les précédents. Ou bien – c'est ce qui rend la chose encore plus redoutable – c'est que l'on s'est déjà adapté.

 

IIII

 

Cette dernière anfractuosité, la plus longue de l'album, si elle reste fidèle au reste du sillon, porte en elle une sensation un peu plus lumineuse tout de même, la sensation d'une lumière au bout du long tunnel que l'on vient de parcourir, mais qui serait encore parsemé d'obstacles. Celle-ci nous accueille d'entrée d'un riff un peu plus porté indus/noise rock, qui renvoie vaguement à la dissonance de celui de « Cooker » de Made out of Babies (désolé, je n'arrive pas à ne pas y penser). On a même des explosions, des breaks vaguement plus légers et des zones véritablement plus aériennes, niches et bols d'air au milieu de cet océan granitique qu'a posé Bishop sur le monde depuis une grosse demi-heure. La saturation y ressemble presque à un grésillement radio, à une sorte de tentative de reprise de contact avec l'humanité. Et pourtant la chute est rude quand la fatalité frappe à nouveau, avec un jeu de batterie de nouveau vraiment intéressant, comme c'est le cas tout au long de l'album. Celui-ci donne véritablement vie à la dynamique de la musique, en fait un récit à la tension palpable, dantesque et hypnotique, pour une clôture qui vient s'abandonner dans les bourrasques de distorsion et en un ultime assaut black metal déchiré.

 

Bref. Dense (attention, « dense », pas dance : s'il vous arrivait de faire passer ce vinyle pour égayer le dancefloor, soyez sûr-e-s de m'inviter, je veux pouvoir tenir le compte le nombre de rictus nerveux, de bonnes excuses pour une sortie précipitée et de montées d'angoisses que cela ne manquera pas de provoquer). Froid. Exigeant. Menaçant. Marquant. Inattendu. Compact. Souterrain. Probablement monstrueux sur scène.

 

Autant de termes qui surgissent à l'écoute de cet album éponyme proposé par Bishop en cet automne, et rien pour faire croire à l'arrivée prochaine de jours meilleurs. Si c'était ce que vous recherchiez, vous pouvez passer votre chemin, repartir en quête d'un rayon de soleil tout en essayant d'éviter de tomber dans le trou sans fond creusé par les Messins. Faites attention : il est là, juste au bord du chemin. Ne laissez pas la percée du soleil entre les nuages du nord vous distraire et faire un faux pas : plus dure en serait la chute.

 

A écouter en bloc sans oublier la couverture de survie, le matos spéléo et les piles de rechange pour la frontale.

photo de Pingouins
le 28/10/2021

2 COMMENTAIRES

Moland

Moland le 28/10/2021 à 17:49:40

Gros coup de cœur. Le gars du label nous a fait découvrir sur la communauté du riff 

Pingouins

Pingouins le 03/10/2023 à 17:09:35

Quelle branlée cette album. L'outro est juste apocalyptique.

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