Bloodywood - Rakshak

Chronique CD album (47:17)

chronique Bloodywood - Rakshak

Une pochette sublime.

Un programme – « Indian Folk Metal », officiellement – faisant miroiter une expérience exotique séduisante.

Un blaze – mix entre « Blood », donc méchant/saignant, et « Bollywood », donc kitch et coloré – intriguant…

 

Sauf que le matraquage réseau-socialesque qui a été mis en œuvre pour tenter d’imposer les Indiens de Bloodywood comme une Next Big Thing encore plus trop-d’la-bombe qu’Alien Weaponry et Orphaned Land réunis est vite devenu un peu lourdingue. N’empêche, réprimant une réaction épidermique plutôt négative, votre interlocuteur s'est forcé à jeter une oreille sur Rakshak. Parce qu’aventures, métissage et singularité sont des mots qui – aux côtés de baston et houblon – feraient sans doute partie de la devise de CoreAndCo si des fois on se mettait en tête de se mitonner un Liberté, Egalité, Fraternité bien à nous !

 

Donc, en effet, admettons-le : après avoir pris connaissance du postulat de base et regardé deux vidéos tirées de l’album, votre lapin jaune ne partait pas convaincu d’avance. Vaincu, même, plutôt, qu'il était. Je savais bien que l’Inde pouvait être capable du meilleur en matière de mélange des genres (vous avez écouté les albums de Scribe ? Non ? Allez-y !), mais en l’occurrence, là, ça sentait fort le clinquant, le criard, le bien trop facile… Et tout ça sans le recul rigolard et sain d’un Nanowar. Or je ne sais pas vous, mais les rares productions bollywoodiennes qui sont passées à portée d'écran n’ont jamais pu passer sans une bonne dose de second degré appliquée en couches épaisses sur ma grille de lecture.

 

Pour le coup, disons-le tout de go : Bloodywood reste très premier degré. Du moins c’est ce qu’on en perçoit, depuis notre lorgnette franco-françoise. Pas seulement quand on se passe leurs vidéos, mais également quand on écoute cette musique qui abuse des plus grosses ficelles, celles maintes fois éprouvées par des décennies de headbanging. Les mosh parts sont plus grasses et prévisibles qu’un Big Mac-frites-ketchup-mayo, les éclaircies grandioses arrivent systématiquement après les deux rounds syndicaux couplet / refrain / couplet / refrain, les chassés-croisés [Rap virulent qui speake English / Chant metal qui cavale en hindi (ou en pendjabi ?)] s’enchaînent comme les poursuites dans Taxi XV… Jusqu’à ces « Hey ! Hey ! Hey ! » pénibles qui servent à haranguer les moutons dans les festivals. On en aurait presque l’impression que, à l’exception de ces nombreux arrangements faisant intervenir une pléthore d’instruments locaux, on aurait pu en écrire le scénario nous-mêmes...

 

Mais tentons plutôt de décrire simplement l’impression que laisse l’écoute de Rakshak sur la connexion auriculairo-synaptique. Là : c'est comme si l'on avait affaire à un petit frère indien de Dirty Shirt, qui aurait logiquement troqué les paysages transylvaniens pour les marbres du Taj Mahal, aurait remplacé les aigus de Rini par un flow Hip-Hop bien rugueux, et qui, au lieu de saupoudrer la musique de légères boucles électroniques, leur aurait lâché la bride au point d'accepter qu'elles laissent de longues traces mélodiques baveuses derrière elles, donnant ce faisant à l'ensemble un occasionnel arrière-goût de fast food légèrement écœurant. Bref ça meule gras, ça invite à bouger son boule, ça fait voyager avec le sourire… Mais là où les Roumains réussissent à magnifier leur mélange pour l’emmener au top de la Première Division, Bloodywood applique un peu trop naïvement une recette certes relativement inédite, mais s’avérant assez vite trop lourde à digérer, car vraiment trop peu subtile. Bref : ça rame en 2e division.

 

Le groupe va même jusqu'à commettre quelques grossiers faux pas qui ont bien failli lui coûter notre bienveillance. Jugez vous-mêmes de la cata' en écoutant « Yaad », sorte de musique sirupeuse de publicité pour déodorant « bois de santal & cumin », la chose étant interprétée par un Boys Band Metal hyper looké et dégoulinant de sentimentalisme ado-niais. Pire : tentez l'expérience « Zanjeero Se » et vous constaterez que la K-Pop a fait des ravages jusqu’à New Delhi. Sans compter – mais cela s’inscrit dans la même logique – tous ces moments où la rage exprimée semble avoir la même « profondeur » qu’une révolte de collégiens. Exemple parmi tant d’autres de cette cartable-attitude : le Rap trop-vénère sur fond de boucles synthétiques figurant à la fin de « Dana Dan ». Lors de ces épisodes en carton-pâte, on frôle bien souvent le registre de Fever 333, ou d’un Hacktivist dans ce qu’il a fait de moins glorieux.

 

Et pourtant il y a matière à se faire plaisir sur ce premier véritable album – ce n’est pas pour rien qu’on comparait le groupe à Dirty Shirt ! Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais à Anvers. Essayez juste « Dana Dan » – sans forcément aller jusqu’au bout, cf. les réticences exprimées quelques lignes plus haut – et vous me direz si le matraquage subi ne vous fait vraiment rien. Mais les arguments les plus convaincants restent ceux avancés par « BSDK.exe » (au menu : refrain qui atteint l’horizon, puis chants sacrés – à 3:33 – précédant un prêche grandiloquent mais convaincant) et « Chakh Le » (à la fois festif et punchy, plein de percus et de mélopées engageantes). Comme quoi il ne faut jamais se moquer de la peau de l’ours indien, surtout si le plantigrade en question est susceptible, pas tout à fait mort, et à portée de griffes.

 

En résumé, Rakshak tient ses promesses : nul autre album n’aurait pu proposer une expérience plus à même de mériter l’étiquette « Bollywood Metal ». Car non seulement celui-ci déborde d’énergie et de sonorités typées « Jaipur mon Amour » utilisées avec plus d'excès que de subtilité, mais de plus le bougre ne peut refréner des accès de naïvetés qu’un regard occidental blasé taxera forcément de mauvais goût. Ce qui est finalement assez raccord avec l’image qu’on a des superproductions locales… Mais son enthousiasme, la débauche de moyens et de couleurs mise en œuvre, ainsi que quelques trouvailles grandioses nous empêchent de le classer vite fait mal fait dans les OVNIs métalliques ayant loupé le coche. Alors préparez votre estomac à être un peu malmené, passez en mode « Des Trains pas comme les Autres », et vous verrez que le voyage vous réservera quelques bonnes surprises !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: version jeune et perfectible d’un Dirty Shirt né à New Delhi et offrant double dose de vocaux rappés et d’effets Electro pas toujours subtiles, Bloodywood propose une Fusion relativement inédite de gros Metal moshy (entre Néo, Groove et Rap Metal), de folklore indien et de mélodies synthétiques. Les plus belles réussites sont vraiment fameuses, les flops sont carrément retentissants : on n’est pas loin, donc, de l’effet produit par ces exubérants blockbusters bollywoodiens. Ce qui rend l'expérience remarquablement cohérente, à défaut d'être véritablement délectable…

photo de Cglaume
le 27/04/2022

12 COMMENTAIRES

noideaforid

noideaforid le 27/04/2022 à 13:10:17

Tu avais écouté same shirt different day de dirty shirt à l'époque ?

cglaume

cglaume le 27/04/2022 à 13:29:01

Je l’ai mais je dois honteusement avouer qu’il n’a pas encore quitté ma TODO list (… et que du coup il n’a quasi jamais tourné)

noideaforid

noideaforid le 27/04/2022 à 16:48:59

Ha mince! Histoire de faire le parallèle entre les deux:
Vu ce que dirty shirt propose maintenant, bloodywood va se bonifier dans quelques années( j'espère)! C'est un peu le syndrome du premier album fusion métissé,ça sonne toujours dans l'air du temps,ça sonne jeune,dire ça à 40 piges...ça me fait mal. Il faut des groupes "fast food" pour se diriger vers de bon tikka masala maison.( cette allusion culinaire clichés, m'est permise, du sang hindi coule en moi).

cglaume

cglaume le 27/04/2022 à 16:51:03

Ce serait génial que le groupe suive le même type de trajet que D.S., c’est clair ! :)

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 27/04/2022 à 17:51:18

Une pochette sublime ? Faut aimer Mowgli... Par contre, perso j'ai écouté Show No Mercy à l'époque et il passe toujours pas mal. C'était juste pour alimenter le débat. Sinon, Lapin, c'est le groupe qui avait sorti un clip avec un mec énervé sur un âne ?

cglaume

cglaume le 27/04/2022 à 18:10:08

Je suis un lapin de la jungle moi. Le meilleur joueur de basse que je connaisse c’est Baloo… Et sinon oui, leurs clips sont parfois assez roots. De mémoire il y avait un cheval et un dromadaire dans ce clip :D

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 27/04/2022 à 20:24:34

Je ne retrouve pas ce satané clip débile avec des clébards qui aboient sur le gratteux à la fin. :) Quoiqu'il en soit le barbu chevelu au chant assure bien plus que son homologue sans poil qui en fait des caisses.

noideaforid

noideaforid le 28/04/2022 à 13:28:30

C'est yaad le clip avec les chiens,non?  faut-il un cheval et un dromadaire dans son clip pour être Roots ? Vous avez 2h ! 

cglaume

cglaume le 28/04/2022 à 16:49:40

Pour être Roots, il faut un rat. Un rat de sépulture, de préférence brésilien.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 01/05/2022 à 17:00:56

... Là mais alors là... Chais pas.

sepulturastaman

sepulturastaman le 02/05/2022 à 07:21:51

Alors qu'avec un rat d'égout tu te prends un râteau...

noideaforid

noideaforid le 02/05/2022 à 14:51:34

C'est une énigme complexe. Je pense qu'il parle de soulfly ou d'un groupe obscure de Crust punk. 

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