Godflesh - PURGE
Chronique CD album

- Style
Indus mythique - Label(s)
Avalanche Recordings - Date de sortie
9 juin 2023 - écouter via bandcamp
Il faut avoir assisté à un concert de Godflesh pour comprendre que l’originalité et le charisme ne s’embarrassent d’aucun artifice ni d’aucune posture snobinarde pour exister et s’imposer. Et puis, un musicien qui arbore un T-shirt de SPK sur scène ne souffre aucun doute sur ses goûts, ses influences et ce qu’il en fait. Ou la cohérence des trajectoires. Résultat : un dispositif réduit à sa plus déconcertante simplicité pour que la musique emplisse l’espace et pénètre les chairs et les âmes sans s’éparpiller ni se cacher dans de vains effets pyrotechniques destinés à masquer l’inanité du propos. Ainsi, campés chacun dans un coin, G.C. Green et sa basse aux lignes lourdes et bondissantes, tandis que Justin Broadrick crache ses tripes et ses démons en délivrant des riffs de guitare aussi tranchants que les lames d’un équarrisseur. Le tout emporté par des machines ronronnantes qui transforment la performance en séance d’hypnose collective.
En clair, quand on a contribué à créer un genre musical à part entière (évoquer Streetcleaner comme rappel relève de l’insulte pour tout amateur de musique industrielle) et indiqué la voie à moult rejetons suffisamment intelligents pour ne pas demeurer de simples plagiaires sans substance car limités, on peut se permettre de visiter à l’envi ses propres gimmicks, comme autant d’affirmations de soi, comme l’utilisation d’idiolectes participe d’une identité que les esprits chagrins se contentent de voir comme de ronflantes redondances.
Adonc, 6 ans après Post Self et 31 après Pure, le duo réinvente ses concepts et érige au rang d’art total la figure des cycles. Les cycles des structures des titres, répétitifs, obsédants, angoissants, et ceux des motifs qui habitent la discographie complète de Godflesh. De Pure à Purge, une seule lettre suffit pour créer une caisse de résonance et résumer le contenu de cette nouvelle offrande, un bijou de créativité. Paradoxalement, on pourrait penser, à la 1e écoute, que Godflesh faisant du Godflesh, ne sait pas se renouveler. Que nenni. Et au contraire. Certes, Purge donne l’impression de se trouver en terrain connu, mais c’est pour mieux entraîner l’auditeur à sa suite, dans les nouvelles abysses qu’il explore. Il convient d’ailleurs de s’accorder plusieurs rotations pour saisir toutes les richesses que cet album renferme. Elles se tapissent derrière sa rétive façade. Celle-ci englobe une variété de tons et de schémas qui foulent absolument tous les territoires constitutifs de la cosmogonie du groupe.
« Nero », qui ouvre les hostilités, sert un groove glacial que ne renierait pas un groupe d’electro rock sombre comme Sofa Surfers et qui renvoie à l’époque Crush my Soul. « Land Lord », entraînant en diable, malgré la stridence des riffs de guitare et la brutalité du chant, flirte avec les rythmiques hip-hop qu’on trouve dans Songs of Love and Hate, tandis que « The Father » et son chant clair et rampant (tout comme « You are the judge, the jury and the executioner ») lorgne vers les expérimentations shoegaze rencontrées sur l’album Selfless, par exemple. On pourrait dérouler par le menu la vertigineuse largeur de la palette, de la lourdeur mécanique et oppressante d’un « Mythology of Self » à la dansante noirceur de « Permission » rappelant l’univers de The Prodigy, en passant par les distorsions martiales de « Lazarus Leper », on n’aurait pas pour autant fait le tour de la question. Purge fonctionne comme un roller coaster sans fin qui entend parcourir toutes les expressions de la dialectique godfleshienne. Ce langage, reconnaissable parmi 100, unique en son genre, constitue l’outil que Broadrick utilise pour exorciser son autisme et communiquer avec le monde. Sa grammaire, cohérente, clairement normée et foisonnante, se trouve développée et réunie dans ce nouveau brûlot. Purge, titre idoine pour cet opus, entend redessiner les contours de son domaine en vomissant à la face du monde les éléments constitutifs de sa singularité. Tout ce qui est dehors n’est plus dedans.
18 COMMENTAIRES
8oris le 08/06/2023 à 13:55:53
Idiolectes? Idiotismes plutôt, non? ;)
Moland le 08/06/2023 à 15:01:24
Non. L'idiotisme est propre à une langue, l'idiolecte quant à lui est propre à une personne. Je parle ici des expressions et tics de langage d'une personne donnée, qui la définissent.
8oris le 08/06/2023 à 15:22:49
Dans ce cas, c'est bien idiotisme. ^^ Je ne crois pas avoir vu l'utilisation d'idiolecte dans sa forme pluriel. On parle de l'idiolecte d'un individu, cet idiolecte étant composé d'idiotismes. Peut être qu'un individu qui parle plusieurs langages peut avoir un idiolecte relatif à chacun d'entre eux ceci dit. Du coup, dans le cas d'un groupe au langage musical riche, j'imagine que ça peut le faire.
La vache, nous voilà sur CairnAndCo! :D
pidji le 08/06/2023 à 15:32:33
Et sinon, l'album ? 😂
Moland le 08/06/2023 à 15:57:14
Non non, on parle bien d'idiolectes, au pluriel, ce sont les expressions récurrentes dans le discours d'un individu qui le définissent. Dans "Les Visiteurs", le "OKAYE" du personnage de Clavier est un idiolecte, quiconque le prononce à sa façon y fait directement référence, et tous ceux qui ont la réf. reconnaîtront le personnage avec ce seul mot.
Les idiotismes, ce sont des formules qui n'existent que dans une langue donnée.
8oris le 08/06/2023 à 16:03:26
Ok, avec l'exemple, je comprends mieux. Ce sont des notions qui datent un peu pour moi maintenant (et je ne les manipule pas tous les jours). Merci!😊
@pidji: bah quoi, on ne peut plus profiter de la très bonne chro d'un très bon album pour se culturer un peu? 😂
Moland le 08/06/2023 à 16:12:51
Et sinon, Pidji, l'album, bah, il bute ! :)
Moland le 08/06/2023 à 16:15:24
Avec plaisir, 8oris. Pour aller plus loin, t'as les sociolectes, soit les expressions qui définissent un groupe de personnes, une communauté. Le "Apéroooo !!!" te renvoie direct aux festivaliers du Hellfest, donc, "Apéroooo !!!" est un sociolecte.
Crom-Cruach le 08/06/2023 à 17:47:04
Team Ministry
Moland le 08/06/2023 à 17:59:44
Pourquoi choisir ?
sepulturastaman le 08/06/2023 à 18:03:22
Pro-tips : allez sur le site du cnrtl : https://www.cnrtl.fr/definition/idiolecte :
idiolecte (anglo-amér. idiolect, du gr. ι ́ δ ι ο ς et de [dia]lect « dialecte », empr. du fr. dialecte), subst. masc.« Langage particulier d'une personne, ses habitudes verbales; le langage en tant qu'il est parlé par un seul individu » (Martinet ds Thinès-Lemp. 1975). P. ext. « Le langage d'une communauté linguistique, c'est-à-dire d'un groupe de personnes interprétant de la même façon tous les énoncés linguistiques » (R. Barthes, Élém. de sémiologie, 1964 ds Thinès-Lemp. 1975).
Moland le 08/06/2023 à 18:11:39
La définition correspond à la mienne :)
zeb le 01/07/2023 à 08:52:31
et sinon pour les gens qui, comme moi, ne sont pas allé longtemps à l'école, cet album c'est comme un best of de Godflesh mais qu'avec des titres nouveaux. du coup grosse gavade du début à la fin
Moland le 02/07/2023 à 12:04:06
Zeb c'est exactement ça. L'album convoque tous les élément constitutifs de l'ensemble de la discographie du groupe. Ceux qui prétendent que l'album de par son titre (purge) renvoie à l'époque de "Pure" se font bien avoir et par là même dévoilent au grand jour leur pédantisme en la matière.
el gep le 03/07/2023 à 10:52:33
Ahahah, Momo, c'est çui-kil-di-ki-léé: "et par là même dévoilent au grand jour leur pédantisme en la matière". Euh cette tournure de phrase, en matière de pédantisme, elle se pose là.
Zoubis, hein.
cglaume le 03/07/2023 à 12:18:22
Oh le coup bas Gepetto :P
el gep le 03/07/2023 à 12:33:59
Je rigole, hein.
Moland le 03/07/2023 à 16:26:15
El Gep même pas mal :)
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