Ignominy - Imminent Collapse

Chronique CD album (34:33)

chronique Ignominy - Imminent Collapse

La dissonance en musique, finalement, ce n’est qu’une impression. Cette absence de résolution harmonique (ça, c’est pour rappeler à certains les heures horribles passées en cours de solfège) crée une tension entraînant une impression, une interprétation, complexe, qui varie selon les individus, la culture et même l’histoire. Je fais partie de ceux qui la trouvent agréable à l’oreille pour son ambivalence, la difficulté d’appréciation qu’elle suppose, j’aime quand la musique demande un effort, un travail de déconstruction de l’oreille. Les groupes qui ont fait leur fond de commerce de cette particularité musicale ne sont pas tant dans une niche que ça et si Portal, Deathspell Omega et autres Imperial Triumphant (bien qu'officiant plutôt dans le black metal alors que nous allons plutôt parler de death metal dans la suite) restent à mon avis de parfaits mètres étalons du style, il m’a toujours semblé qu’il manquait une composante à leur musique tout impressionnante et superbe soit-elle. Car finalement, une musique dissonante peut-elle être entraînante ? L'interprétation complexe peut-elle se muer en émotion simple ? L’effort, en un sens intellectuel, supposé ainsi au moment de l’écoute n’empêcherait-il pas de vivre la musique de manière plus physique, plus immédiate, de se laisser mieux entraîner par elle? La question ne me semble pas triviale.

 

Ignominy propose avec Imminent Collapse sa réponse en 34 minutes. Plus qu’une réponse d’ailleurs, une démonstration, un CQFD signé par ces canadiens presque fraîchement débarqués. Presque car le groupe avait déjà sorti un EP, Fear the Living, en 2019 et...Fichtre! La progression est incroyable. Le groupe est passé d’un death/néo experimentalo-chelou un peu dissonant (mais pas non plus tant que ça), pas toujours très judicieux (cette piste en français) à un death-metal agressif, subtilement mais assurément dissonant, reconnaissable et…entraînant!

Détaillons tout cela...

 

L’agressivité est ici façonnée par une lourdeur extrême des guitares et des grooves qui m’ont un peu rappelé Morbid Angel, avec des alternances de passage half-time avec d’autres plus rapides. La prestation vocale ajoute son vinaigre à la sauce avec un grain de voix exceptionnel, très puissant, très vivant. Beaucoup de grave mais beaucoup de force, du rauque brillant. Immédiatement, ça m’a rappelé Frantz de Henker, va savoir pourquoi. Si elle est globalement brillante dans le mix et bien plus en avant que chez Portal, elle est parfois mixée de façon vraiment caverneuse ("Nightmare Bacteria") pour un résultat toujours aussi puissant…et prenant.

Côté dissonance, on a effectivement un guitariste qui a bien appris ses gammes tout comme il faut (lui!) mais il a surtout eu la bonne idée (lui!) de tout faire pour ne pas s’en servir. Oubliez le métal qui vient de là, qui vient du blues, ici les riffs sentent bon la viande pas fraîche avec leurs harmonisations méphitiques et leurs harmoniques artificielles nauséabondes. Alors, on n’est clairement pas dans la cours de récré des 6ème, là où il y a les grands comme Imperial Triumphant ou Deathspell Omega. Ce n’est pas la maternelle non plus, c’est plutôt le CM2. Disons que chez Ignominy, la dissonance se fait entendre sans jamais prendre le dessus, elle est la chair plus que la moëlle. Et sa fibre est définitivement plus death, un death sombre mais qui ne taquine pas non plus avec le black si ce n'est pour lui emprunter ses revers nauséabonds.

 

Ignominy arrive ainsi à garder une véritable intelligibilité dans leurs compositions, c'est dissonant mais on n'est pas du tout dans l'avant-gardisme exacerbé avec des accords avec plein de lettres et plein de chiffres. Si chaque morceau a son caractère, on retrouve malgré tout au fil des titres une construction, une façon d’amener le propos, une gestion de la dynamique, une forme de "groove". Évidemment, il ne s'agit pas du "groove" au sens "groovy" mais plutôt d'une capacité à insuffler aux morceaux des patterns rythmiques dont la compréhension est aisée. Un mélange de lenteur à la sévérité totale et de violence à la célérité brutale, tout cela comme un agréable gimmick qui donne à leur musique un vrai goût de reviens-y.

 

Un petit défaut dans le track listing avec ces deux pistes instrumentales qui n’apportent pas grand chose sinon une petite pause synthétique style dark-noise-ambiant pendant l’écoute. Un autre dans la basse qui est un peu trop dans le fond du mix, et c’est bien dommage car la prestation est vraiment très cool. Pas aussi technique que ce que l’on trouve dans le technical-death Label Rouge mais avec une attaque très ronde, très rapide et bavarde.

 

Rien à signaler sur la production qui fait le job sans être incroyable. Du qui dégouline un peu parfois sur les bords sans que ça coule non plus sur la paillasse...

 

Ignominy est typiquement le groupe que je conseillerai à quelqu’un qui n’a jamais écouté de "death-metal dissonant"...Et Imminent Collapse pourra être une parfaite porte d'entrée vers un style qui nécessite parfois quelques paliers, quelques étapes. On y trouve une musique riche mais abordable, complexe mais pleine de repères, dissonante mais..entraînante. Quand on voit la progression depuis leur précédentes sorties, on ne peut qu'espérer que le groupe continue d'évoluer autant et aussi bien.

 

 

 

On aime bien : un death metal dissonant mais très catchy...

On aime moins : une basse en retrait, deux pistes un peu inutiles..

photo de 8oris
le 20/03/2023

5 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 20/03/2023 à 11:29:07

Tu me ferais presque envie, à moi qui fuis dès que je vois le mot “dissonant”…

Moland

Moland le 20/03/2023 à 12:25:56

Moi c'est le contraire. Dès que je lis le qualificatif dissonant, ça éveille ma curiosité. Pas systématiquement satisfaite, mais assez pour laisser sa chance au produit. 

Moland

Moland le 20/03/2023 à 12:32:29

Écouté "Defaulting genetics". Ça passe très bien. Très abordable. Effectivement très entraînant. On entend bien la basse, je trouve. Je m'attendais à plus exigeant, en termes d'approche. Mais tu le dis bien dans ta chronique, il s'agit là d'une bonne porte d'entrée. 

Pingouins

Pingouins le 20/03/2023 à 15:48:56

Toute la musique que j'aime, citation absolument parfaitement insérée dans la chronique ahah :D

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 20/03/2023 à 16:43:46

J'imagine que pour les amateurs de ce type de Death, le OSDM fait le même effet. Perso la "dissonance" est sans intérêt. C'est froid et finalement très innocent comme Death. Aucun côté purulent et malsain pour moi. 

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