Lankum - False Lankum

Chronique CD album (01:10:29)

chronique Lankum - False Lankum

“L'imitation est la forme de flatterie la plus sincère que la médiocrité puisse payer à la grandeur”. (Oscar Wilde, 1854-1900)

 

Nous rédigeons ce texte au printemps de cette année et nous affirmons d’ores et déjà avec outrecuidance que l’un des meilleurs albums de 2023, tous genres confondus, nous vient d'Irlande et n'officie pas dans le metal. Pour autant, sa musique peut s'avérer tout aussi, si ce n'est davantage, sombre, lourde et menaçante que certains groupes de doom ou de black metal.

 

Lankum avance sous l'étendard de la musique folklorique et on n'a rien à redire là-dessus, mais les Dublinois insufflent à leur univers une dose de modernité aussi inquiétante que lorsque Robert Eggers revisite au cinéma la figure de la sorcière dans un cadre maléfiquement bucolique. Avec ces touches expérimentales, ces drones inspirés, qui rappellent l'album génial que Big|Brave et The Body nous ont servi en 2021 ou la collaboration entre Maria W. Horn et Sara Parkman qui ont signé le fabuleux “Funeral folk” en 2022. Témoin ce 1e single de presque 9 minutes qui annonçait la sortie de "False Lankum”, et qui en assure son ouverture : “Go dig my grave” et ses 2 parties qui vous arrachent les tripes, la 1e tout en litanie hypnotique et la seconde basculant dans une rumeur de fin du monde. Le tout servi par un bijou de clip vidéo réalisé par Peadar O Goill et son majestueux travelling arrière suivi de ces plans sur des mains manipulant ou prises dans des fils, un peu comme les Nornes de Richard Wagner lacérant la trame sacrée des runes. Chef d'œuvre de noirceur paralysant les nerfs et l’esprit. Nous vous laissons comparer la présente version de cette chanson traditionnelle avec celles de Susanna, de Jean Ritchie ou encore de Sematary.

 

Le prestigieux et exigeant festival Roadburn, sophistiqué dans l’âme, qui réunit dans sa programmation de haute volée des groupes avant-gardistes, intellos, extrêmes dans leur approche de la musique, ne s’y est pas trompé, puisque dans son infinie cohérence, qualité difficile à cultiver pour quiconque se complait dans le nivellement par le bas et, dénué de tout sens de la nuance, confond verbiage et idiosyncrasie, constance et quantité, il a déjà inclus les Dublinois à son affiche aussi punk que classe. Lankum n’a pas besoin de jouer fort, de sortir les grosses guitares, de hurler à l’envi, pour se montrer radical dans la manifestation et l’exécution de sa musique. A l’instar des personnages qui apparaissent furtivement dans le clip de “Go dig my grave”, et sur l’artwork de l’album comportant un détail d’une gravure de Gustave Doré, des fantômes et des âmes perdues habitent le monde qu’elle nous décrit. Et ils ont des histoires à raconter bien plus belles, sincères et poignantes que celles que nous servent les clones de salon qui se contentent de reproduire sans comprendre. Que ce soit dans les courts interludes, titrés “Fugue” I, II et II, ou dans les instrumentaux à l’accordéon comme “Master Crowley’s”, il règne toujours dans le fond, tapie dans l’ombre, une présence tourmentée, portant en elle le poids du malheur, des drames et d’une certaine forme de damnation.

Prenez “Netta Perseus” : ce titre fonctionne comme celui qui ouvre “False Lankum”. Il se construit également sur 2 mouvements, l’un empli d’une pluvieuse mélancolie tambourinant sur les vitres humides du cœur au gré d’arpèges aussi légers que des larmes, le second croulant sous le faix des assauts tranchants de violons sépulcraux. Idem pour “The New York Trader” qui, malgré les boucles entêtantes de sa ritournelle, bascule dans une dramaturgie comminatoire qui donne corps au texte. Il en va ainsi de tout l’album, comportant seulement 2 compositions originales : “Netta Perseus” et “The Turn”. Lankum réinvente, se réapproprie, transcende les chansons et en exacerbe les émotions qu’elles contiennent. Lorsque les voix de Radie Peat et de Cormac MacDiarmada se superposent comme sur “Lord Abore and Mary Flynn”, la nostalgie gagne en profondeur. Mais derrière, un malaise et une tension sourdent insidieusement. Aussi capricieuse et incertaine qu’un ciel indomptable surplombant la lande dans sa monotone et magnifique étendue, la musique du groupe passe allègrement de la légèreté acoustique à la lourdeur électrique, voire bruitiste (témoin, la fin de “The Turn”), bourdonne âprement après avoir caressé l’auditeur de sa douce et cristalline chaleur.

 

Avec ce savoir-faire dans sa façon audacieuse et instinctive d’imprimer sa personnalité à des chansons traditionnelles, Lankum livre certainement son meilleur album à ce jour, en montrant comment ne pas tomber dans les pièges de la citation d’Oscar Wilde en exergue de cette chronique. Bien ancré dans ses racines, fidèle à son héritage culturel, fort d’un respect et d’une authenticité sans faille, mais aussi d’une liberté créatrice qui confine au génie de par les risques qu’il ose prendre. Lankum est un groupe de folk, mais ce qui le fait sortir du lot, c’est la moindre des expérimentations industrielles qui oriente un titre vers de surprenants espaces inexplorés jusqu’alors. On pense au Velvet Underground, à Pink Floyd, à Godspeed You! Black Emperor, ou encore à Current 93, mais de manière imperceptible, avec un naturel et un aplomb qui évitent tout artifice facile ou toute vaniteuse pédanterie dans ses intentions. Il y a du psychédélisme mystique dans “False Lankum” qui élève l’album au rang d’objet singulier qui n’a pas besoin d’éructer ni de s’agiter dans tous les sens pour surprendre par son originalité. Ou comment se montrer avant-gardiste en puisant dans le traditionnel pour usiner sa quintessence et nourrir sa propre magie. Une certaine idée de l’équilibre. Nul besoin de crier à l’apocalypse, il suffit d’en ouvrir les portes. Et Lankum en détient les clés.

photo de Moland Fengkov
le 25/03/2023

19 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 25/03/2023 à 10:30:36

Moland, fournisseur officiel de groupes de - oserais-je le terme ? - deep folk.

el gep

el gep le 25/03/2023 à 10:36:23

Aaaaaaaaah ! Faut que j'écoute çaaaaa !

Moland

Moland le 25/03/2023 à 12:36:05

@pingouins atta, y a un album qui résonne avec celui ci, chronique déjà fournie, pas encore publiée. On en reparle à ce moment là.

@el gep : je recommande une écoute active et attentive, dans des volutes de nicotine. :) 

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 25/03/2023 à 19:02:56

La voix est wouah !

Moland

Moland le 25/03/2023 à 19:29:30

@crom Laquelle ? Celle de Radie Peat ? Sacrée chanteuse. 

el gep

el gep le 11/04/2023 à 21:26:16

C'est mortel.
Puté les congs, pourquoi ils foutent pas l'alboume en écoute intégrale, tiaaa...

Moland

Moland le 12/04/2023 à 23:59:22

El Gep cet album va finir dans mon top5, assurément.  C'est d'une intelligence rare.  

el gep

el gep le 16/04/2023 à 07:47:17

Nous sommes dimanche matin, je suis au boulot et j'ai leur version de "Go dig my grave" qui tourne en boucle dans mon crâne, raaaah !

Moland

Moland le 16/04/2023 à 14:10:11

Haha bon choix. Bon courage pour le taf. 

Pingouins

Pingouins le 18/09/2023 à 22:01:10

Chuis quasi prêt à prendre les paris qu'on les retrouve au Roadburn l'an prochain.

Moland

Moland le 19/09/2023 à 00:49:56

Ils y ont déjà été programmés alors pari tenu

Moland

Moland le 24/10/2023 à 13:06:31

@Pingouins t'as gagné ton pari.

zeb

zeb le 08/11/2023 à 05:41:03

est ce que l'un d'entre vous a écouté OXN l'autre groupe de la chanteuse? ils ont sorti un album CYRM et bordel c'est encore mieux!!!!

Moland

Moland le 08/11/2023 à 06:50:16

Oui, moi. C'est tout aussi bon, dirais je. Moins folk, plus rock, pour le coup, mais tout aussi expérimental 

zeb

zeb le 09/11/2023 à 09:04:23

il va falloir que tu fasses une chronique vu comment cet album est passé totalement inaperçu. en cherchant je n'ai trouvé qu'un seul site français qui en parle ce qui est scandaleux. 

Moland

Moland le 09/11/2023 à 09:24:37

Me tente pas ! 
Ceci dit, si le seul texte que tu as trouvé sur le dernier OXN est bon, il vaut toutes les chroniques médiocres qu'on peut croiser sur la Toile. 

zeb

zeb le 10/11/2023 à 08:01:08

il est sur benzinemag et il est bon mais plus il y a de chro plus les gens pourront découvrir ce groupe quasi inconnu par chez nous.

Arrache coeur

Arrache coeur le 10/11/2023 à 09:01:26

Je vais les voir mercredi prochain à Anvers avec une pote qui les a découvert à Dublin pendant son erasmus, j'ai vraiment hâte. Très belle chronique qui met bien valeur la richesse de leurs compositions. 😊

Moland

Moland le 10/11/2023 à 09:37:39

Zeb : suis allé lire. Une chronique qui cite de manière pertinente Neurosis et Swans, 2 des 5 meilleurs groupes de toute l'histoire des citations, est forcément bien. 

@Arrachecoeur : tu vas kiffer. Je les ai vus en mai dernier, j'y retourne en février puis au Roadburn 2024, ça fera 3 fois en 1 an, et ce ne sera pas assez. Leur album reste mon AOTY à ce jour. Merci d'avoir lu la chronique. 

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