Lugosi - inconsolable

Chronique CD album (42:38)

chronique Lugosi - inconsolable

Le 19 octobre 2022, Matt Bayles, producteur prolifique de la scène indie rock ouest américaine, fêtait ses 50 ans dans un bar et y conviait tous ses amis autour d’une chopine et d’un concert de These Arms Are Snakes. En milieu de set, débarqua un autre groupe qui était passé sous les manettes de ce producteur, un groupe que l’on n’avait plus vu en live depuis bien des années, un groupe qui sans le savoir allait, 23 ans plus tôt, participer à la création d’un nouveau courant musical. Mais ce 19 octobre 2022, Brian Cook, Dave Knudson, Tim Latona et Dave Verellen, remontaient sur scène et prouvaient dans une vidéo de qualité d’antan qui prouvait qu'ils n’avaient rien perdu de leurs antans. Quel plaisir de voir revivre mes héros de cette scène hardcore/punk/metal car ses héros, on s’y accroche, on a du mal à les déloger, on se refuse même à espérer des quidams qui vous chambouleraient autant. C'est alors que 23 ans après la sortie d’American Nervoso, tu reçois un mail du patron demande qui veut s’occuper du premier album de Lugosi dans un lapidaire message dont il a le secret : "punk, hardcore et mathcore ! Qui veut s'en occuper ?".

Un clic sur le lien et une minute après, sans réflexion, sans hésitation, je répondais à l’équipe d’un dithyrambique mais tout aussi lapidaire “oui”. Une minute…C’est court une minute…Mais ça suffit au titre qui ouvre Inconsolable, "Pigs", à me convaincre que Lugosi n’est que convainquant. Il y a eu les anglais de Pupil Slicer en 2021, il y aura les français de Lugosi en 2022. Et 2022 rime avec mieux...

 

 

Punk…Hardcore…Mathcore…Tout pourrait être dit mais il me semble qu’il faut en dire beaucoup plus. Commençons par l’artwork (signé Jérôme Royer) qui est franchement classe, et rappelle évidemment Jane Doe de Converge mais dans un style moins photographique, moins lithographique, plus coloré (et joliment en plus). Un artwork qui, une fois n’est pas coutume, donne une très bonne idée du contenu sonore: de la noirceur salie dans une ultime urgence de couleurs vives.

Et c’est bien le programme qui nous attend pendant les 42 minutes qui suivent. Une durée conséquente pour ce premier album qui s’articule en 10 titres. Lugosi, c’est donc la synthèse concise du rock boueux, du hardcore expiatoire, du punk à vif, du post-hardcore planant et du mathcore chaotique. Ce genre de mélanges existent déjà mais aussi bien réalisés soient-ils, ils restent souvent des mélanges. Chez Lugosi, le mélange devient véritablement style, patte sonore, les ingrédients dont Lugosi maîtrisent non seulement les codes mais aussi les déclinaisons se sont combinés, associés, embrouillés pour se faire oubliés au profit d’un résultat incroyable et naturel. Lugosi ne fait pas dans le frankenstein musical, Lugosi ne joue pas les savants fous, Lugosi n'intellectualise pas la musique mais se contente de la faire vivre.

 

 

Côté intention, cela vous rappellera aux plus belles heures de Eyes (pour le côté torturé), Converge (pour le jeu avec les tripes), les Melvins (pour l’efficace simplicité), Refused (pour l’interprétation bordélisér) ou le groupe derrière American Nervoso (pour la gifle reçue à la première écoute). Le riffing est efficace, super bien construit, les tournures mélodiques, hyper prenantes et catchy à la base sont de plus étirées, développées, malaxées dans tous les sens, dans tous les styles et chaque guitare complète l’autre dans une gigue électrique. Rien de diablement technique ou de profondément chaotique, l’intention est rock, punk, shoegaze, métal, peu lui importe, elle est libérée de toutes contraintes stylistiques, pas d’esbrouffe, que du barouf. Mais de même que la complexité, la simplicité a parfois besoin de maîtrise et cette dernière est bel(le) et bien présente.

Le son est majoritairement très fuzzy ou muddy-crunchy, un son très peu compressé et donc particulièrement vivant qui sent bon l’odeur de lampe chauffée à bloc et celle du tolex qui commence à se ramollir. Mais chez les guitaristes de Lugosi, l’énergie sonore vient essentiellement du jeu et de l’intention. L’ampli n’est là que pour sonoriser cette intention, il ne s’y substitue pas et ne l’édulcore qu’à peine.

La basse est très fuzzy, très chewy, un peu plus discrète dans le paysage sonore mais elle assure une assise musclée et apporte parfaitement du bas à l’ensemble. Elle aurait mérité une plus de brillance sur certains passages pour être plus mise en avant ("The Naked King Part 1.") même si c’est souvent nickel ("The Naked King Part 2.")

La batterie ? Une batterie totalement free donc qui a tout compris. Un jeu très ouvert, qui s’affirme dans la pulse plus que dans la métronomie. Un jeu entraînant autant qu’entraîné qui tombe toujours au bon moment. Un jeu qui sort les floor toms pile quand il faut, taloche la ride au bon moment et dégaine du roulement octopussien quand c’est nécessaire. Un jeu plus rock/punk que metal, qui ne se cache pas derrière la facilité d’un tapis de double et préfère se vénère avec sa snare ou faire la martingale aux cymbales.

Enfin, la voix…Un joyaux rock-punk trônant au milieu de ce palais électrique. La tessiture est superbe et passe allègrement d’une voix de crooner à un registre beaucoup beaucoup plus énervé mais toujours dans une saturation parfaitement intelligible et maîtrisée. Ici, point de growl mais de la gueulante, de l’uppercut vocal qui peut venir tranquillement de bien bas et monter à toute vitesse bien haut en te décalant les maxillaires au passage juste avant de revenir te caresser dans le sens du poil. Au-delà de la tessiture, la diction, le flow et encore une fois, l’intention, tout est impressionnant de maturité et d’émotions.

 

Inconsolable bénéficie donc d’une interprétation superbe qui plus est présentée dans un bel écrin live. La production est très rock et a cette patte des années 90-2K mais avec un polish plus moderne. L’équilibre très "live" entre les instruments semble parfois un peu dérangeant, les guitares pourraient paraître trop en avant ici de même que la voix à cet autre endroit mais après quelques écoutes, on se rend compte que cela fonctionne très bien et confère à l’album un petit je-ne-sais-quoi de très rock’n’roll limite garage.

 

Pure pépite interprétée, construite, mûrie, présentée avec soin, Inconsolable ne peut que plaire aux vieux briscards de cette époque bénite où le punk, le hardcore et le rock se tiraient la bourre au sein de groupes devenus depuis les inventeurs d’une nouvelle scène qui aura eu bien des représentants. Mais plus qu’un représentant, Lugosi s’affirme, dès son premier album, comme un héritier qui pourrait bien trôner aux côtés de ses grands paires. Que cette conclusion n'effraie pas ceux qui sont à la recherche de musique moderne car Lugosi n'est pas resté figé dans l'inaltérable marbre musical du passé mais y a sculpté cet Inconsolable à grands coups de burin.

 

A quelques semaines de la fin de l’année, le chroniqueur aime bien être surpris, se prendre quelques bonnes dernières raclées et là, non seulement mon top 2022 est sacrément chamboulé mais la première place vient d’être raflée. Et sur le haut de mon étagère d’albums "mathcore/punk/hardcore" tronera fièrement Inconsolable de Lugosi juste à côté d’American Nervoso de vous savez qui.

 

On aime bien : sérieux?..Tout

On aime moins: sérieux?...Rien

photo de 8oris
le 15/11/2022

14 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 15/11/2022 à 08:07:20

Ah ouais, carrément. Pas trop de suspense sur le haut de ton Top 2022

Pingouins

Pingouins le 15/11/2022 à 10:00:11

Ouch. S'il a fallu à ce point taire le nom de nous-savons-qui dans cette excellente chronique, c'est que ça va rouster exactement là où il faut. Pas encore eu le temps d'écouter mais je fais ça dès cet aprem en rentrant du taf !

8oris

8oris le 15/11/2022 à 17:53:18

@cglaume: il reste encore deux mois, il peut s'en passer des choses d'ici là mais c'est vrai que le coup de coeur est entier😉
@pingouins: j'ai hâte d'avoir le retour d'un expert! 😋

Pingouins

Pingouins le 17/11/2022 à 16:07:52

Et ben j'comprends pourquoi American Nervoso est rangé bien à côté, effectivement ça va carrément piocher de ce côté là !
D'ailleurs, ça pourrait être un énième groupe qui applique la formule "ceux qu'on ne peut nommer ici" + "pareil mais en suédois" (pour le côte plus directement punk-hardcore bien sombre qu'on trouve sur plusieurs morceaux), mais là ça fait pas resucée, une vraie bonne surprise en effet ! Et le chant m'a tantôt évoqué le côté noise/hardcore à la Chat Pile, tantôt pas si loin des éructations de Puciato sur certains morceaux de DEP.
J'aime bien aussi le fait qu'il y a des jeux sur les contretemps, mais que ça ne prétend pas faire du DEP ou du sur-technique, comme tu le dis bien !
Bref, Lugosi, z'attendez quoi pour venir jouer dans le sud, bordel ? Envoyez-moi un mail, je vous trouverai bien une date :D

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 17/11/2022 à 18:35:41

Hey, bon punk ça

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 17/11/2022 à 18:39:02

#Pinguoins : "S'il a fallu à ce point taire le nom de nous-savons-qui dans cette excellente chronique". De qui ? Je veux sachoir !

Xuaterc

Xuaterc le 17/11/2022 à 19:04:18

DEP?

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 17/11/2022 à 19:39:00

???

el gep

el gep le 18/11/2022 à 08:05:26

Botch!

8oris

8oris le 18/11/2022 à 13:02:02

El Gep a vu juste. Et merci Pingouins pour te petit retour qui conforte mon avis! :)

Vincent Bouvier

Vincent Bouvier le 18/11/2022 à 14:17:11

@xuxu: DEP  pour Dillinger Escape Plan

Xuaterc

Xuaterc le 18/11/2022 à 15:11:25

@Vincent, je savais, c'était ma proposition pour le groupe Hastur

Lugosi

Lugosi le 19/11/2022 à 18:51:50

Merci encore pour cette chronique et vos commentaires fort agréables à lire !
@pingouins : on y travaille ! mail envoyé 😁

AdicTo

AdicTo le 21/11/2022 à 20:28:27

Énorme. Merci pour la découverte :-)

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