Mezcla - Vidas Suspendidas

Le Metal, c’est comme une bonne reblochonade : costaud, revigorant, et toujours bienvenu. Mais de temps en temps, un poulet boucané, une petite paëlla, voire un bon vieux bò bún, ça aère les papilles, ça dépoussière la tripaille... Et ça nourrit tout aussi bien le bûcheron bougon headbanguant au son d'Evil Heineken Armageddon ! C’est pourquoi, foi de lapin, je saute à pieds joints sur toutes les propositions de Fusion Metal/ceci et de Crossover Bleuargl/cela qui me passent entre les pattes, pourvu que ça permette de goûter d’autres saveurs et/ou de bronzer sous d’autres cieux. Parmi les métissages conçus au sein de la matrice d’une metalosphère aujourd’hui complètement globalisée, ceux incluant une composante « musiques latines » sont à double tranchant : parfois on tombe sur d’engageantes invitations à abuser de la cerveza – miam O’Funk’illo, 8 Kalacas et les fulgurances les plus poilues gratouillées par Rodrigo Y Gabriela – tandis que d’autres fois la paëlla proposée contient quelques moules pas super fraîches – désolé mais je n’ai jamais vraiment réussi à rentrer dans le Flamenco Death d’Impureza. Après avoir fait tourner Metalmorfosis, son précédent album purement Metal (bien que teinté à la marge de Flamenco), on avait eu tendance à ranger Mezcla dans la deuxième catégorie. Mais l’arrivée de Vidas Suspendidas – qui fait suite à un Arena Roja 100% acoustique – était l’occasion d’accorder une seconde chance aux Auxerrois.

Bien que la note affichée ci-dessus n’atteigne pas les sommets de la Sierra Nevada, ce nouvel opus est une bonne surprise. Car si l’on avait trouvé franchement congrue la portion d’hispanité injectée dans la cuvée 2016, cette fois le Thrash / Death de la formation baigne dans une généreuse mixture faite de percu’, de clap-clap gipsy et de tricots acoustico-andalous. Sans compter des interventions de moins en moins rares de la chanteuse Catalina Gimenez, ainsi que – mais pour ça il faut se déplacer pour les voir jouer sur scène – le support chorégraphique de la danseuse Sophia Sena. Tout ce décorum enjolive un Thrash / Death toujours aussi sombre (il faut dire que le thème tourne cette fois autour des maladies orphelines), tricoté par des guitares ayant une forte appétence pour la mélodie, et porté par des rythmiques rarement déraisonnables. Et cette noire sangria de nous faire vivre de beaux moments d’ivresse. Sur « Borrelia » par exemple, quand au bout d’une minute trente le morceau abandonne ses guenilles lourdes et lentes pour progressivement révéler de la grandeur, jusqu’à exploser lors de deux pics, sur des saccades ascendantes magnifiées par une lead lumineuse vers la barre des 2:30, mais aussi à la toute fin, lorsque des arpèges flamenco se font entendre sur une rythmique « hélico de guerre ». On appréciera tout autant l’attente active, pleine de percu’ et de lamentations féminines, située à la moitié de « Respirar », ainsi que la montée fantastique vers le refrain de « Hombre Sin Dolor ».

Mais je ne laisserai toutefois pas éclater mon enthousiasme via des « Olé ! » fougueux couronnant une note joufflue. Parce que 1) les braillements arides et sans relief d’Alexis ont tendance à ternir ces belles mélodies ibériques 2) les morceaux donnent parfois l’impression d’avoir du mal à respirer pleinement, comme si une chappe pesante les compactait, brouillait les lignes et rendait plus ternes des couleurs qu’on voudrait chatoyantes. Je sais : ce deuxième reproche ne touche du doigt rien de bien tangible. Il s’agit juste d’une impression diffuse, résultant peut-être des choix de prod’. Pourtant il est rare que cette impression me quitte durant les 40 minutes que dure Vidas Suspendidas. J’aurais préféré un défaut plus clairement identifiable – comme le chant d’Alexis – afin d’espérer que ce feeling disparaisse sur le prochain album. Peut-être qu’en boostant et en « éclaircissant » le son… ?

Mais même si je ne peux m’empêcher de faire un peu grise mine, je dois reconnaître que ce nouvel album est foutrement intéressant. Et je vous conseille d’autant plus d’y jeter une oreille que les filtres auriculaires dont vous êtes naturellement dotés ne sortent a priori pas de la même chaîne de montage que les miens, et qu’ils pourraient donc tout à fait extraire de ces neuf morceaux du pur nectar de metal métissé et classieux. Ce serait dommage de ne pas essayer...

La chronique, version courte: nouvel album fortement typé Metal pour Mezcla, et métissage plus prononcé que jamais entre Thrash/Death charbonneux et Flamenco à robe sombre. Si l’on aurait aimé sentir plus souvent la chaleur du soleil andalou plutôt que les tourments et les doutes du crépuscule castillan, on ne peut qu’applaudir à ce mariage plus qu’abouti.

Cglaume

le 13/02/2023