Nefarious Mash - Interview du 20/04/2023

Nefarious Mash (interview)
 

Bonjour et merci de répondre à mes questions. Pour commencer, une présentation de Nefarious Mash semble s'imposer.

 

Tout à fait. Nefarious Mash est le one-man-band de black metal expérimental que j’ai monté fin 2021 après avoir terminé mes études de musique faites au conservatoire et en musicologie, afin de pouvoir mélanger tout un tas d’influences comme la musique classique, contemporaine ou encore le jazz, dans une pâte de métal extrême. Qui dit métal extrême dit envoyer du bois, mais l’idée est d’en envoyer différemment, à ma façon.

 

J’imagine que le choix de sortir In Memory Of Your Hopes de manière indépendante s’est imposé face à la situation. Pourquoi avoir choisi de faire confiance à Solstice Promotion quelques mois après sa sortie originelle?

 

Oui ça s’est imposé car aucun label n’a voulu (et ne veut toujours) me donner ma chance. En attendant, c’est le règne du système D. En matière de promotion cela veut dire que je n’ai eu la possibilité de savoir réellement par où commencer que lorsque j’ai sorti mon album. Cela faisait six mois que j’essuyais refus sur refus de la part de tous les labels avec un produit sur lequel j’étais assis sans rien pouvoir faire. J’en ai eu marre et j’ai décidé de le mettre en ligne. Spontanément, dans mon coin, sans en dire plus que ça. Il faut dire que si composer et enregistrer est quelque chose de familier pour moi, je dois avouer que pour tout ce qui touche à la promotion, communication et « business » en général, je suis un novice complet. Pour tout te dire, je ne savais même pas qu’il existait des entreprises qui pouvaient offrir des services de communication quand j’ai sorti l’album, je croyais que tout était affaire des labels et qu’il fallait obligatoirement être signé pour cela. Ça m’a appris quelque chose. Pour ce qui est de Solstice Promotion, cette entreprise m’a été recommandée par James Leonard qui est l’ingé son avec qui j’ai travaillé sur In Memory of Your Hopes.

 

Il s’agit du premier enregistrement sous le nom de Nefarious Mash, est-il cependant votre première expérience musicale sérieuse?

 

Alors techniquement, dans Nefarious Mash il y a eu autre chose avant In Memory of Your Hopes. Un précédent album sorti bien des années auparavant, trouvable nulle part ailleurs que dans un petit carton pourrissant au fond de ma cave. Cet enregistrement était celui d’un adolescent qui tâtonnait maladroitement pour la première fois : un album zéro assez mauvais que je renie en très grande partie ahah. In Memory of Your Hopes est mon premier réel album en tant que compositeur. D’où le fait que je parle bien de 2021 pour la fondation de Nefarious Mash, car pour moi les choses sérieuses n’ont commencé au niveau du métal qu’après la fin de mes études. Ceci dit, trois ans avant cette sortie de 2022, dans le cadre d’un de mes cursus du conservatoire j’ai dû composer et travailler avec un groupe professionnel de musique contemporaine qui s’appelle les PCL (Percussionnistes Clavier de Lyon) pour plusieurs de leurs concerts-rencontres. Même si c’était en tant qu’étudiant, je considère cela comme ma première expérience musicale sérieuse. Elle fut très riche d’enseignement !

 

Pourquoi avoir choisi d’enregistrer tous les instruments en solo? Et avez-vous eu recours à une batterie acoustique ou à une boîte à rythmes?

 

Le fait que dans ta deuxième question tu ne sois pas certain qu’il s’agisse d’une boîte à rythmes semble montrer qu’on ne s’en est pas si mal tiré avec la batterie ahah ! Il s’agit en effet d’un instrument virtuel, sur lequel beaucoup de travail a été réalisé pour la faire sonner aussi humainement que possible. Pour la bonne et simple raison que je n’avais malheureusement ni l’argent ni les contacts pour travailler avec un batteur de session. Je ne pouvais donc faire autrement. Cela étant dit, travailler avec un batteur de session est quelque chose que je voudrais vraiment faire pour les albums suivants ! C’est vrai qu’on peut faire d’excellentes choses avec des instruments virtuels de nos jours et que c’est bien pratique, mais rien ne remplacera jamais un vrai batteur talentueux ! Au lieu d’être limité par l’outil, ça me permettra de me concentrer davantage sur l’écriture et de faire des choses beaucoup plus folles héhé. Et c’est valable pour tout futur instrument qui n’est pas une guitare ou basse. Je tiens à enregistrer ces dernières moi-même car beaucoup des compositions n’ont pas des traits guitaristiques typiques, et que toute l’énergie que je dépenserais à formaliser les partitions, expliquer l’interprétation, écouter le résultat, faire des retours etc peut tout aussi bien servir à faire le travail moi-même. J’ai beau être un assez mauvais instrumentiste, si je peux le faire autant que je le fasse. Surtout que la myriade de détails qu’il faut prendre en compte pour l’enregistrement nécessitent d’être joués sur ma guitare en particulier (qui a été fabriquée sur mesure tant sur le manche que les micros par un ami luthier) et qu’en matière expérimentale, pouvoir corriger ses différentes approches d’interprétation à la volée sans trop d’inertie est un atout précieux je pense.

 

Quels liens entretenez-vous avec les autres formations issues de la région grenobloise, Maïeutiste ou Barùs par exemple ?

 

J’ai parlé de James Leonard qui est l’ingé son avec lequel j’ai travaillé sur cet album (que j’ai connu au conservatoire d’ailleurs). Il se trouve qu’il est le guitariste et ingé de Barùs et qu’il a aussi travaillé sur des enregistrements de Maïeutiste. Sachant que beaucoup des groupes Grenoblois ont déjà été au concert d’autres groupes de la région, la plupart d’entre eux se connaissent bien. Ne jouant pas en concert de mon côté, je n’ai pas particulièrement de liens intimes avec eux autrement qu’en spectateur ravi de leurs performances.

 

Est-il dans vos plans de monter un line-up complet afin de donner une chance aux titres de In Memory Of Your Hopes sur scène ou d’enregistrer un nouvel album?

 

Pour ce qui est des futurs albums, comme je l’ai dit je travaillerai sûrement avec un batteur de session. Si le besoin de faire entendre autre chose que des guitares et basses se fait sentir je n’hésiterai pas à travailler avec d’autres interprètes. Cependant je n’ai à ce jour aucune intention de jouer sur scène. Je me sens vraiment comme un compositeur et mon intérêt principal réside dans le fait de créer les sons qui répondent à mes désirs. Une fois qu’ils existent je considère mon travail comme terminé et me plonge dans le suivant. Monter un groupe, répéter, faire des tournées etc est un tout autre monde. Et puisque j’ai d’autres activités compositionnelles en dehors du métal (comme la musique contemporaine), je doute d’avoir l’énergie de créer dans d’autres univers sonores si je dois porter la casquette d’interprète sur scène en plus. Quitte à porter plusieurs casquettes, je préfère de loin avoir plusieurs casquettes de compositeur. Après on ne sait jamais. Peut-être qu’après X albums j’aurai changé et que j’aurai envie de monter une formation pour les donner sur scène. Ou peut-être pas. À part dire qu’une probabilité lointaine est non-nulle faute d’omniscience, je suis loin de pouvoir dire qu’il faille la considérer. Ce qui est sûr, c’est qu’en l’état actuel des choses ça ne m’intéresse pas.

 

Pourquoi avoir choisi Camille Murgue pour illustrer ce premier album?

 

Parce qu’elle est de très loin l’illustratrice dont le travail me parle le plus. Je l’ai découverte sur un groupe facebook dédié au black metal il y a longtemps (black metal addict il me semble), et ses dessins m’ont immédiatement parlé. Vu que j’entendais faire de la musique très personnelle, par souci de cohérence il fallait que le visuel suive. En toute logique, être le 11394ème blackeux à prendre une photo de moi dans les bois l’air vindicatif arme à la main était exclu. Toujours dans ce souci d’authenticité, j’avais besoin de travailler avec une personne capable de faire des illustrations matures. J’entends par là un style qui ne soit pas un écho des affiches du cinéma de genre (type horreur) ou de la BD trash et assimilée. L’esthétique « pour les ados des années 80 » me laisse indifférent. Sans pour autant être photoréaliste il fallait néanmoins un trait dense et texturé qui ne soit pas stylisé jusqu’au burlesque. J’y tenais beaucoup. C’est d’autant plus important de soigner le visuel de nos jours que les découvertes se font essentiellement sur des plateformes où ce dernier précède le son, et fait office de carte de visite. Même si c’était déjà le cas chez les disquaires d’autrefois, la différence est qu’ici l’offre est infinie et en conséquence, la chance potentiellement accordée est infiniment plus fragile. Un visuel très solide est donc un atout indéniable et c’est pourquoi je me suis tourné vers Camille. Et en voyant le résultat qu’a pu produire l’étendue de son talent, je dois bien dire qu’après avoir travaillé avec elle à cette réalisation je ne regrette pas une seule seconde mon choix ! J’adore cette illustration, et je suis très content de voir que je suis loin d’être le seul !

 

J’ai beaucoup aimé cette manière de proposer une synthèse bien équilibrée entre les figures tutélaires de l’avant-garde, Arcturus, DHG, Fleurety et Ved Buens Ende. Je me trompe dans mon analyse?

 

J’aurais bien du mal à te répondre car je n’écoute aucun de ces groupes ahah. Sûrement que le parallèle est pertinent au regard des sons qu’ils ont pu produire et l’écho qu’ils ont eu chez toi. Je trouve toujours très intéressant de voir en quoi différentes formations qui évoluent chacune de leur côté, selon leur propre vécu et ressenti, peuvent aboutir à des résultats dont leurs auditeurs trouvent une parenté stylistique. Bien que les groupes de métal que j’écoute soient Gorgoroth, Meshuggah, Ad Nauseam ou encore Darkspace, mes influences musicales vont de toute façon bien au-delà du métal (classique, contemporaine et jazz comme dit plus haut, mais aussi l’électro-acoustique ou encore les musiques traditionnelles africaines, japonaises, tibétaines, géorgiennes et mongoles par exemple), mais cela va aussi bien au-delà de la musique. Pas étonnant donc qu’on puisse y trouver des ramifications qui me dépassent moi-même.

 

Puisez-vous votre inspiration dans d’autres domaines artistiques comme le cinéma ou la littérature ?

 

Absolument ! De toute manière quand tu es un artiste, ce que tu produis est pétri de tout ce qui te touche. Consciemment ou non. Personnellement je suis un grand amateur de cinéma d’art et d’essai, de littérature et particulièrement de poésie, de philosophie et de peinture. Et je n’ai aucun mal à affirmer que beaucoup des œuvres de ces domaines nourrissent infiniment plus mon inspiration que l’écoute de n’importe quelle playlist de black métal que tu pourrais trouver sur internet. Il n’y a pas de mystère : ton art est un morceau de toi-même que tu mets sur la table. Il est le reflet de ce avec quoi tu te nourris. Si tu ne te nourris que de choses très homogènes sans aucun réel contraste ni élargissement d’horizon, et que tu tournes en rond dans un verre d’eau stylistique sans prendre conscience de l’océan gigantesque qui t’entoure, je ne vois pas comment tu pourrais créer quelque chose de très singulier. Et selon ce que tu veux, ce n’est absolument pas un problème ! Après tout, comme pour le cinéma de genre, beaucoup de personnes trouvent leur plaisir dans le fait de s’insérer dans une esthétique très arrêtée et d’en réciter les codes sans déborder, d’en dévorer tout ce qui s’y fait à l’intérieur au point de pouvoir te sortir une liste de références longue comme trois fois mon bras. C’est simplement un autre tempérament. En ce qui me concerne je ne peux probablement pas te sortir une liste des groupes de black que j’ai écouté plus longue que mon doigt. Pour tout le reste, je vais voir ailleurs et avec un plaisir sans cesse renouvelé !

 

Quelle importance accordez-vous aux textes de Nefarious Mash? Sont-ils lisibles dans le livret?

 

Étant donné qu’à l’heure actuelle l’album est sortie uniquement en numérique il n’y a pas de livret à proprement parler, mais j’ai joint les textes au téléchargement sur mon bandcamp, dans un sobre PDF tout ce qui a de plus lisible. Si j’attache une importance aux textes de Nefarious Mash par la recherche et la « plume », où des concepts philosophiques argumentés viennent étayer par une prose littéraire une prise de vue sur l’attitude et le devenir des hommes ; ils ne sont en aucun cas là pour justifier ce que l’on entend. Bien qu’il s’agisse du fond, il tient une place secondaire par rapport à la forme qu’est la musique, qu’il se doit de ne pas obstruer. Cela ne veut pour autant pas dire que le travail sur ces textes est relégué au second plan. Loin de là ! Des choses qui ont des importances différentes reçoivent pourtant la même quantité d’attention et de soin. Je les travaille tout autant que le reste. Je vois la concordance entre le fond et la forme comme ça : la musique et la voix doivent pouvoir se suffire à elles-mêmes à l’audition de l’album : elles ne doivent pas avoir besoin de discours légitimant tentant de venir désamorcer d’éventuelles objections. Avoir besoin d’explications d’ordre intellectuel, conceptuel ou même simplement extra-musical pour justifier la musique est le premier pas vers une impasse esthétique selon moi (et un aveu de faiblesse artistique compte tenu du fait que la musique, elle, n’est pas concept). En revanche, pour ceux qui tirent un plaisir dans le fait de savoir ce que racontent les morceaux et en apprécient la recherche (voir qui en ont besoin pour rentrer dans la musique), il est important pour moi qu’ils aient quelque chose de consistant à se mettre sous la dent. C’est donc crucial pour moi que les purs esthètes que les textes n’intéressent pas n’aient pas besoin de s’y intéresser pour apprécier la musique, et que ceux qui s’y intéressent beaucoup et veulent approfondir les idées ne soient pas en reste et puissent le faire avec un maximum de matière.

 

 

Avez-vous d’autres projets, musicaux ou non en dehors de Nefarious Mash?

 

J’ai mentionné tout à l’heure être également compositeur de musique contemporaine et féru de poésie. À ce titre je mets en ce moment en musique des poèmes de Stéphane Mallarmé à travers une série de pièces pour piano et chanteuse lyrique. Le but étant bien sûr de les faire enregistrer et jouer en concert par des interprètes. Je passe également beaucoup de temps à écrire de la poésie, avec des poèmes en vers jouant autour des règles de versification classique, ou en prose beaucoup plus libre. J’aimerais bien à terme envisager une publication de recueil. Soit en forme assez condensée autour d’un seul thème, soit en quelque chose de beaucoup plus conséquent en plusieurs sections.

 

Les derniers mots sont pour vous.

 

Puisque je souhaite avec Nefarious Mash proposer un black métal très personnel, je sais pertinemment que ça ne peut pas plaire à tout le monde. L’essentiel est évidemment ailleurs. Pour ceux qui adorent ou au contraire détestent (et trouvent que la musique devrait davantage sonner comme ceci ou cela), le plus important pour moi, au-delà de leur appréciation, est qu’ils puissent sentir le travail que je mets dans ces sonorités. Après, être ravi ou absolument dégoûté par l’esthétique fait partie intégrante du jeu. Dans un style musical aussi particulier que celui-là, je pense qu’on a tous signé pour cela : et c’est bien en embrassant la réalité de ces écarts de réception que je compte délivrer mes futurs albums !

photo de Xuaterc
le 26/04/2023

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