Negură Bunget - Zău

Déroutante n’est-ce pas la nouvelle de la sortie le 26 novembre dernier chez Lupus Lounge de l’album Zău de Negură Bunget !? L’histoire de ce groupe transylvanien tutélaire, créateur d’un Pagan Black atmosphérique et instrumental, forestier et mystique, ne devait-elle pas cesser en même temps que la mort brutale de leur batteur et maître à penser Gabriel "Negru" Mafa en 2017 ? Il s’agissait alors du seul membre restant du line-up originel, suite au départ en 2009 d’Edmond "Hupogrammos" Karban et de Cristian "Sol Faur" Popescu. La parenthèse semblait d’autant plus refermée que les musiciens intégrés dans un second temps par Negru dans Negură Bunget, à savoir Ovidiu Corodan, Petrică Ionuţescu et Tibor Kati, décidèrent eux-mêmes de tourner la page en inscrivant leur trajectoire musicale dans un nouveau projet : Sur Austru.

D’ailleurs, une très belle création est à mettre au crédit de ce dernier groupe avec leur Obârşie proposé depuis le 12 février dernier, deux ans après leur première pièce Meteahna timpurilo. Leur Black/Folk atmo fait mouche durant les 7 titres. Dès le magnifique "Cel din Urmă" qui aurait été sans nul doute un nouveau titre-vitrine du Negură Bunget post-split, l’auditeur est invité à une cérémonie initiatique, un hommage à la divinité de l’eau-source qui coule depuis les montagnes. Une cérémonie qui dure près d’une heure. Et quel plaisir de se rappeler la musicalité de cette langue, tellement sssssssssexy. L’identité BM y est sans doute plus affirmée (à la Summoning) comme sur "Ucenicii din Hârtop II", mais la coloration si typique du Metal transylvanien, dont le cahier des charges… euh pardon dont l’ADN impose l’usage d’une palanquée d’instruments traditionnels (xylophone, flute, dulcimer, tulnic, toacă, nai, kaval, etc.), n’est pas dénaturée ici. Pour preuve "Taina", l’entame tribale de "Caloianul" et "Codru Moma", morceau instrumental vibrant. "Ucenicii din Hârtop I" achève ce chemin spirituel par un trip quasi-druidique. Donc Sur Autru, prolongement naturel de Negură Bunget ?...

Obârşie, dernier album de Sur Austru

… Et bien d’aucuns en doutent, puisqu’il existe parallèlement Dordeduh, projet (plus ancien) ciselé par la paire Hupogrammos/Sol Faur, mais quelque peu en dormance depuis l’EP Valea omului (2010) et l’album Dar de duh (2012) ! Or, presque sans surprise, peut-être pour mieux faire face à Sur Autru (???), une nouvelle offrande a vu le jour le 12 mai dernier sous le doux nom de Har. Rappelant, à l’occasion de sa com’, sa paternité sur Om, la gemme noire des Carpathes sortie en 2006, le duo entend bel et bien apparaître comme le digne et l’authentique héritier spirituel de Negura. D’un côté, je dois bien admettre que la musique proposée – et Har en est une pièce maitresse – s’inscrit peut-être davantage dans la ligne directe de l’âge d’or de Negură Bunget. La première pierre "Timpul întâilor" en est une preuve patente ! Mais, de l’autre, la teinte musicale n’est pas tout à fait identique que celle de Sur Austru, puisque le Folk/Black de Dordeduh est à la fois plus Celtic à la Primordial, plus Psyche ("De neam vergur"), parfois plus orchestré ("Vraci de nord", "Desferecat") et surtout nettement plus prog à la Opeth ("Descânt", dernières respirations du même "Vraci de nord"). Dans le même temps, grâce aux courts mais planants "Văznesit" et "Calea magilor", les vibrations y sont plus transcendantales, plus hypnotiques, plus druidiques pour le coup, plus enclines à stimuler la consommation de feuilles ! Une chose est sûre : avec ce pavé transcendantal d’une heure pleine (avec les deux bonus tracks), la concurrence offerte est particulièrement rude, tant ce Hat est bon ! Mais, honnêtement, la quintessence du Metal transylvanien, propice aux déambulations incertaines dans les entrelacs brumeux des forêts roumaines, a été texturée avec autant de talent par Sur Austru comme par Dordeduh.

Har, dernier album de Dordeduh

La genèse de la sortie de Zău m’échappe à peu près complètement ; mais il semble évident que le dernier line-up, celui-là même que l’on retrouve dans Sur Austru, est à l’œuvre. L’effort est louable : les albums Tău (2015) et Zi (2016) sont orphelins de leur troisième pièce sensée clore ce qui est fort modestement appelé « the Transylvanian trilogy ». L’effort semble même compréhensible : les pistes de Negru derrière les fûts avaient déjà été enregistrées (n’oublions pas tout de même l’empreinte essentielle qu’il aurait posée sur les arrangements instrumentaux et la finalisation technique de l’ensemble). L’effort a été, en fait, trop tentant : remettre en 2021 Negură Bunget dans la lumière. Sauf qu’il n’en avait peut-être pas besoin. Au regard des créations post-split (le "Vîrstele Pămîntului" reste pas mal), il était quasiment impossible que Zău émeuve autant que Sala Molksa, fascine autant que Om. "Brad" et les deux premiers tiers de "Iarba fiarelor" font même craindre qu’on ait lissé Negură Bunget pour mieux le draper dans un Dark Folk ambient. "Tinerețe fără bătrânețe" sauve quelque peu Zău ; ce morceau réussi est une authentique proposition de Folk/Pagan Black. Ouf ! À défaut du mieux ("Obrăzar" est vraiment surproduit ; "Toacă din cer" est un patchwork malhabile), on a évité le pire car Zău aurait pu être plus outrageant encore. Mais comment accabler en dernier lieu cette « incantation finale », ce travail si éloigné, présenté pourtant comme « l’héritage et le dernier testament de Negură Bunget, un bel hommage à Gabriel "Negru" Mafa (R.I.P.), qui vivra à jamais au travers de cette musique » ?

Décidément, cette année 2021 est aussi riche qu’étrange pour le Metal roumain, puisque le 26 novembre 2021 a également été choisi par une autre formation transylvanienne et non des moindres – Ordinul Negru, riche de 15 ans d’expérience – pour sortir son EP (un titre de 23 mn) A Sojourner Wandering Through the Barren Openness. Il s’agit ici du revers expérimental de la pièce occulte proposée en septembre 2020 avec un autre court format (4 titres), au final plus surprenant et plus probant, intitulé Nebuisa. On retrouve tout de même dans ce titre unique de très bonnes séquences, à l’exemple du passage orientalisant bien troussé, accompagné par une voix féminine (à la 9^e minute).  Mais il y a de quoi rester pantois devant le choix de cette date par Loud Rage Music… Une volonté d’éclipser le dernier Negură Bunget ?!? Ah, au fait, signalons juste comme ça la présence en guest, à la mandoline, de … Sol Faur de Dordeduh !

A Sojourner Wandering Through the Barren Openness, dernier EP d’Ordinul Negru

Alors que « la trilogie transylvanienne » Tău / Zi / Zău s’achève, un double questionnement m’assaille :

- Après la mort de Negru, dernier membre originel, cela reste-t-il du Negură Bunget ? Sans doute que non et il est préférable d’ailleurs que ce Zău ferme définitivement la page, afin de laisser ce groupe asseoir un peu plus chaque jour sa position de formation mythique.

- Dans ce cas-là, l’héritage de feu-Negură Bunget constitue-t-il une puissante source d’inspiration ou un fardeau trop lourd à porter ? La première acception est déjà observable depuis plus d’une décennie déjà, ne serait-ce qu’avec Marțolea, projet solo porté par un ancien, Alin Drimuș. Cependant, au regard du micmac musicalo-mémoriel qui envenime toujours la scène Metal roumaine, il semble évident que l’un va dorénavant avec l’autre…

Alors, alors... ce joli p’tit monde :

- Negură Bunget, Zău = 6/10

- Sur Austru, Obârşie et Dordeduh, Har = 8,5/10 (ex-aequo, nah !!!)

- Ordinul Negru, A Sojourner Wandering Through the Barren Openness = 7,5/10

Seisachtheion

le 30/11/2021