Tool - 10,000 days

Chronique CD album

chronique Tool - 10,000 days

De grands ensembles. Des édifices aux façades rugueuses qui se succèdent, liés parfois entre eux, tels des couples se passant le relais pour ne pas briser le cycle ("Lost keys" et "Rosetta stoned") ou pour mieux marquer la frontière que l’esprit vagabond doit franchir s’il tient à s’immerger dans les espaces ouverts tapis sous le lacis des partitions. On pénètre d’emblée en terrain connu ("Vicarious"), comme si on posait le pied, sans réfléchir ni compter les années, sur le territoire de la continuité. Sorti du souvenir de "Lateralus", on commence à compter les jours : il y en aura dix mille, ramassés sur plus d’une heure de métaphysique sonore désormais inimitable. De motifs en gimmicks, on repère les marques, les balises, les aspérités auxquelles s’accrocher pour progresser.


Mirage pour dupes, cette terre qu'on croit acquise se fissure sur des abîmes encore inconnues qu'il revient à l'auditeur de défricher au fil des écoutes. La basse et la batterie se dressent avec assurance et bâtissent des murs à l’architecture complexe, au-delà desquels la voix lancinante et la guitare, tour à tour enveloppante et acérée, se déploient pour envahir un désert peuplé de métaphores musicales.
L'univers de Tool, d’une intelligence sans équivalent dans le monde du rock en général, et dans celui du metal en particulier, se veut exigeant. Leur musique ne s'offre pas, ou alors seulement en apparence, il faut la dompter, l'apprivoiser, l'assiéger avec la pugnacité d'un conquérant, la prendre, au sens sexuel du terme, la fouiller jusque dans ses entrailles. Elle rampe, opère des sursauts, ondule, se dérobe et suggère plus qu'elle ne dévoile, à la manière d'une Salomé érodant la volonté d'un roi, déchire les toiles qu’elle tisse parcimonieusement pour se perdre sur des routes sinueuses sur le bord desquelles on trouve des trésors presque invisibles ou imperceptibles. A peine effleurés, voilà qu’ils vous échappent, s’évaporent ou rejoignent l’ombre d’un pont surgissant ex nihilo. Lorsque l’on croit avoir atteint sa vitesse de croisière, le chemin s’interrompt brusquement pour laisser place à un nouveau paysage. Au choix, on se laisse perdre, emporter, ou on tente de semer au fil des plages des petits cailloux pour ne pas oublier d’où le voyage a débuté.


"The pot", à ce titre, illustre à merveille ce processus de métamorphose infinie de la spirale musicale hypnotique : ça commence en duo, la basse de Justin Chancellor, à la métrique reniant provisoirement le mode binaire, présente sa démarche dégingandée, parallèlement au chant aérien, presque enjoué de Maynard James Keenan. Les autres instruments s’immiscent discrètement jusqu’à imposer leur martelante présence. Le morceau file alors le long du sillon, sans jamais perdre de vue son point de départ, tout en explorant des champs qu’aucun présage ne vient annoncer.


"10 000 days" s’écoute avec un prisme, tel celui greffé à la jaquette, sorte de binocle offrant un point de vue différent sur les illustrations du livret. Réception brute indispensable, avant de s’équiper des outils fournis ou personnels pour plonger dans les strates infinies de l’ensemble. Le recul nécessaire pour apprécier la cohérence de la totalité de l'album s'allie à une plongée obligatoire pour qui espère saisir les arcanes des titres.


Lorsqu'on n'en est qu’aux premiers cercles, la lumière au loin guide ses pas et on sait que ce qui sonne comme une fin révèle en réalité le début d’un nouveau cycle. Un parcours en spirale qui mène droit à la fosse. Celle des salles où l'univers du groupe se déploie, en musique et en images.

photo de Moland Fengkov
le 27/03/2022

11 COMMENTAIRES

el gep

el gep le 27/03/2022 à 09:04:19

Belle chro, Momo!
Je ne veux pas leur enlever des qualités, notamment une certaine beauté majestueuse assez présente, mais je ne comprends pas trop la supposée sempiternelle complexité de leur musique.
Une batterie-poulpe, oui, quelques polyrythmies, mais aussi une guitare assez sobre finalement, imperturbable... Mais c'est pas du King Crimson ou "Ordo Ad Chao" quand-même!

Bref, me revoilà à radoter sur Tool...

Moland

Moland le 27/03/2022 à 11:09:50

Oui, en soi, chaque instrument ne part pas dans des sphères techniques, y a pas d'esbrouffe, la complexité vient de l'assemblage des parties, des structures, et là, je trouve que ça relève du génie. Les copycats cèdent à la tentation de la surenchère, alors que le secret de Tool tient dans l'équilibre des différentes partitions assemblées. 

Pingouins

Pingouins le 27/03/2022 à 12:13:28

Mes morceaux préférés de Tool sont sur cet album, "Rosetta Stoned" notamment.

Moland

Moland le 27/03/2022 à 20:45:09

"Rosetta stoned" qui doit toujours s'écouter avec le titre qui le précède et qui lui sert d'intro. 

AdicTo

AdicTo le 28/03/2022 à 07:46:09

Héhé! La chronique qui tombe à pic :-)

Je me suis replongé dans Fear Inoculum tout le week-end, et tu me donnes envie de revenir un peu plus en arrière.

Nice 👍

Moland

Moland le 28/03/2022 à 07:53:22

Fear inoculum, ce chef d'œuvre incompris. Album de l'année 2019. 

AdicTo

AdicTo le 28/03/2022 à 08:06:53

Plus uniforme mais magnifique. Descending reste un de mes morceaux préférés de Tool

Moland

Moland le 28/03/2022 à 10:55:35

Descending me fout littéralement la chiale. Les 2 soli sont magnifiques. T'as vraiment l'impression que Jones fait pleurer sa guitare. MJK ("le mec de Tool") se montre discret, il s'efface à la moitié du titre, mais avant ça, il aura livré une prestation élégiaque. Bref, chef d'œuvre, ce titre. 

Yann

Yann le 30/03/2022 à 10:34:05

Cet album ressemble à une gigantesque montagne russe émotionnelle. Passer du morceau titre à The Pot fut très perturbant à la première écoute. Avec les années, je vois Intension comme la genèse de Pneuma.

Dams

Dams le 01/04/2022 à 09:56:48

Moland, il faudra quelques années mais Fear Inoculum sera bien un chef d’œuvre culte !

fedaykyn

fedaykyn le 01/04/2022 à 10:29:53

Superbe album. L'enchainement part 1 part 2, pffff des frissons à chaque fois. Je crois qu'on se prend trop la tête sur Tool et son supposé style complexe et prog. C'est un groupe à part et c'est l'ensemble des émotions que le groupe dégage tant visuellement qu'au niveau sonore qui fait son très grand succès. Et c'est mérité. La première fois que je les ai écouté, c'était au moment de la sortie du coffret salival et j'ai été directement happé par ce groupe. Mais ça reste un groupe "complexe" même si au final assez simple. C'est ça le paradoxe.

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