Wayfarer - A Romance With Violence
Chronique CD album (44:59)

- Style
Black metal des hautes plaines du Grand Ouest - Label(s)
Profound Lore Records - Date de sortie
16 octobre 2020 - écouter via bandcamp
La meilleure façon de balayer les doutes et de combler les attentes après un chef d’œuvre consiste à accoucher d’un nouveau chef d’oeuvre. En partant de cette maxime qui relève de l’évidence, on a presque tout dit sur le nouvel album de Wayfarer, le reste ne relève que du bavardage. Mais comme on aime bavarder, surtout autour d’un feu de camp, causons, développons, digressons. Le quatuor du Colorado nous avait laissés avec « A Nation of Immigrants », véritable apothéose de leur précédent opus, « World’s blood », en guise de calme après la tempête. En fermant les yeux, on apercevait des troupeaux de buffles avançant au pas vers les terres vierges du Grand Ouest des pionniers américains, dans un nuage de poussière filtrant au ralenti les rayons d'un soleil incandescent. Le riff de guitare acoustique, sur lequel la totalité du titre se construisait, était enrichi par moult nuances au chant, apaisé (y avait même l'intervention d'une voix féminine), et les nappes de la guitare amplifiée. Un western crépusculaire récompensant le voyageur éreinté après l’écoute de cette œuvre somme. Avant cette conclusion, l’album nous avait entraînés dans un rodéo musical d’une sauvagerie des plus sophistiquée. Dès l’album suivant, « A Romance with violence », Wayfarer poursuit sa route, dans absolument tous les sens du terme. Sans regarder en arrière, sans se reposer sur ses acquis, mais fort de ceux-ci.
En clair, ne vous attendez pas à un « World’s blood » bis, mais bel et bien à du Wayfarer. Là où la précédente étape de son voyage musical variait les cadences, les tempos, allant du galop au pas, en passant par le trot, le tout avec une richesse créatrice baignée dans une certaine chaleur poussiéreuse, la nouveau chapitre que sa discographie s’offre bénéficie d’une allure plus sereine, plus homogène, dans l’ensemble du voyage qu’il nous narre. Plus limpide, plus évidente, plus propre, voire, plus accessible. Au prime abord, uniquement, car en réalité, la route qu’il trace s’avère bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Elle se montre plus linéaire, plus confortable, plus moderne, dans un sens. Et c’est exactement là où l’histoire de « A Romance with violence » nous emmène : vers la modernité. Après avoir traversé le pays pour dénicher un lopin de terre où s’installer, quitte à en chasser les autochtones déjà sur place, les pionniers étendent leur territoire, bâtissent, construisent ce qui deviendra une grande nation dont les gratte-ciels défient les nuées. Fondée sur des piles de cadavres, dans le sang et la fureur, celle qu’engendre la quête de la fortune accessible à tous.
Cette histoire, c’est celle d’un pays, donc, mais aussi celle des membres du groupe, originaires du Colorado, un état chargé de l’histoire des premiers immigrants venus poser les bases des Etats-Unis. Une histoire que les vainqueurs ne racontent plus, après l’avoir écrite, préférant enterrer dans l’oubli les atrocités de leurs aïeux. « World’s blood » se chargeait des esprits tutélaires et des forces telluriques qui habitent les vastes plaines. Ses partitions dégageaient une certaine mystique vierge et pure. « A Romance with violence » se tourne vers ces hommes qui ont foulé ces terres et qui, une fois le sang séché et la poussière balayée, s’organisent, tracent des routes balisées, troquent leurs chevaux de chair et de sueur pour une autre monture, de métal et de vapeur.
L’allure de l’album s’en trouve moins chaotique que celle de son prédécesseur. Pas d’envolées pleines de rage, pas de ruptures abruptes, pas de libération des éléments aux quatre vents. Si un instrument s’emballe, il n’entraîne pas pour autant les autres. Ici, la totalité des morceaux ne s’écartent que peu du chemin qu’ils tracent. Prenez par exemple « The Crimson, rider » : ses 10 minutes se construisent en 2 parties distinctes et de durées égales, la première regorgeant de subtiles variations laissant la part belle aux arrangements, laissant chaque instrument développer ses partitions de manière progressive, homogène et claire. Les mélodies s’immiscent au gré des riffs entraînants et des hurlements retenus. Quand soudain, sans crier gare, avec une fluidité déconcertante, la chanson bascule sur une seconde partie, où, sans ralentir ni accélérer l’ensemble, les guitares se montrent plus acoustiques, comme si l’horizon s’aérait. Cette pièce monumentale de 10 minutes fait suite à l’ouverture de l’album, « The curtain pulls back », résolument chargée d’une dimension cinématographique : une mélodie dispensée par un piano mécanique de saloon, à peine accompagnée par de discrets violons, mais dont on distingue dans le fond les crépitements d’un souvenir d’archive. Cette minute inaugurale se termine sur la fin de la mélodie, rayée. L’intro et le titre d’ouverture posent clairement le cadre de « A Romance with violence ». Il est rare de se retrouver face à une œuvre dont la musique raconte à merveille l’histoire que nous délivrent les paroles. Ici, Wayfarer a œuvré de façon à ce que la musique se suffise presque à elle seule pour emporter l’auditeur dans son univers, ses ambiances, sa virée dans le temps. Wayfarer, avec cet album, nous montre qu’il a su digérer ses moult influences, puisées dans la musique de ses pairs (ils citent 16 Horsepower, des voisins de Denver, Colorado, et Neurosis, notamment) dans la littérature, le cinéma (Sergio Leone et Ennio Morricone se tapissent en embuscade), sans que celles-ci s’exposent de façon explicite. Digérées, puis diluées dans les ambiances mélancoliques de l’ensemble.
Encadré par ses 2 pièces maîtresses, de véritables cathédrales, que sont « The Crimson rider » et « Vaudeville » et son final épique en diable, qui s’étiole dans un fade out de toute beauté, l’album se construit comme un conte tragique dont chaque chapitre se rattache au précédent et aux suivants avec une fluidité envoûtante. Je vous défie d’identifier le moment précis de l’enchaînement entre « The iron horse » qui s’achève sur une ligne de basse langoureuse, et « Fire and gold », qui garde cette ligne de basse mais débute par un arpège de guitare acoustique pour laisser la part belle à une ligne de chant clair d’une tristesse à vous en foutre la chiale. Nous avons là la même équipe, aux instruments et aux manettes, que celle de « World’s blood », mais ce basculement, d’un album sauvage à un autre, davantage dompté, prouve tout le génie de Wayfarer : savoir exactement quelle direction le groupe veut donner à sa musique et savoir comment tracer ladite route. Wayfarer, cela signifie voyageur, si je ne m’abuse. Un nom idoine pour un groupe dont on emboîte le pas les yeux fermés. Pour mieux se laisser bercer avec délectation par les paysages que sa musique dévoile tout du long.
22 COMMENTAIRES
cglaume le 26/10/2020 à 08:28:24
... au passage, bienvenue à MolAndCo :D
Seisachtheion le 26/10/2020 à 09:18:55
Bienvenue p'tit ;p
Et tu commences par du très bon, même si j'ai trouvé leur précédent opus encore plus typé ''Wild West''
Margoth le 26/10/2020 à 17:38:17
Welcome ! Bon, encore un féru de black metal, c'est qu'on finirait presque par se renommer Black And Co :P
pidji le 26/10/2020 à 18:13:02
Ah !
Non c'est un concours de circonstances, Moland ne fait pas que dans le black
Sinon ce serait too much en effet 😁
Crom-Cruach le 26/10/2020 à 18:39:05
Salut.
Euh moi je lui aurait mis plutôt 9, 78 comme note.... Z'avez un programme spécial note chelou les gars/fille ??
Sinon le groupe est sympa (je vais creuser) mais je préfère, pour l'instant Glorior Belli et son Meet Us at the Southern Sign.
Moland Fengkov le 27/10/2020 à 00:46:49
Alors plusieurs choses.
D'abord, merci pour l'accueil. MolandCo, j'adeure !
Ensuite, je ne suis pas du tout féru de black metal, les classiques du genre au mieux m'indiffèrent, au pire, m'horripilent. N'est pas faute d'avoir essayé.
Moland Fengkov le 27/10/2020 à 00:47:01
Ceci dit, avec l'aide d'experts en la matière, et avec mes propres recherches, je m'aperçois que j'aime le black quand il ne sonne pas black, stricto sensu, et avec Wayfarer, c'est le cas, tout comme avec son frère jumeau : Cobalt.
Moland Fengkov le 27/10/2020 à 00:47:07
Pour cet album, je trouve qu'il est dans une suite cohérente avec le précédent, plus sauvage dans la thématique, la prod, la compo. Du coup, j'adure les 2. Et il va sans dire que, sauf coup de théâtre, je tiens là mon album de l'année.
Moland Fengkov le 27/10/2020 à 00:51:10
Et enfin, pour la note, c'est le fruit de savants calculs établis selon moult critères fort complexes. Merci pour l'équipe de scientifiques qui oeuvrent dans l'ombre.
Xuaterc le 27/10/2020 à 08:23:16
Bienvenue à toi, et très chouette chronique
Freaks le 27/10/2020 à 10:08:23
Perso j'ai aussi un souci avec l'orthodoxie Black mais c'est faute d'avoir essayé :p
Bienvenue dans la clique ;)
Vincent Bouvier le 27/10/2020 à 20:08:02
Yeup! Bienvenue à toi!
8oris le 29/10/2020 à 08:17:56
Superbe entrée en matière! Hâte de lire les prochaines!
Freaks le 26/11/2020 à 14:15:01
C'est sûr maintenant, Wayfarer sera dans mon top 3 de l'année. Et hop! une incertitude sur l'avenir en moins Mouaha!
Seisachtheion le 26/11/2020 à 18:18:13
Well done Freaks! Moi dans mon Top 5 !
Freaks le 27/11/2020 à 10:14:46
L'entrisme black fait petit à petit son œuvre... ;)
pidji le 27/11/2020 à 10:59:54
Je dois avouer que c'est un outsider de choix.
Xuaterc le 27/11/2020 à 12:11:41
Il va falloir que je l'écoute alors :-)
Freaks le 28/11/2020 à 07:43:57
Ca va te plaire Xuxu.. ;)
Le black metal du bayou c'est juste génial comme concept....
Freaks le 28/11/2020 à 07:44:18
:p
Freaks le 28/11/2020 à 09:07:14
Le Colorado est assez éloigné de la Louisiane mais les enjeux territoriaux et politiques étaient les mêmes à l'époque hein! ;) Vivre ou mourir…
Moland Fengkov le 01/12/2020 à 21:19:30
Album de l'année pour ma part, avec ceux de Thou et ERR, Kvelertak, Puscifer.
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