Aara - Triade III: Nyx
Chronique CD album (41:09)

- Style
Black Metal éclatant - Label(s)
Debemur Morti - Date de sortie
31 mars 2023 - Lieu d'enregistrement Chäuer Studios Bärn (Suisse)
- écouter via bandcamp
Toute trilogie doit trouver une fin.
Pour les Suisses d’Aara, leur Triade s’est clôturée le 31 mars 2023 avec Nyx, elle qui avait débuté en mars 2021 avec Eos, puis en mai 2022 avec Hemera. On devine aisément le niveau de résolution et d’engagement dans la composition et la production d’une telle œuvre, possible seulement si ses auteurs – Berg aux guitares et aux samples, Fluss au chant et aux lyrics et J. à la batterie – ont été animés tout au long d’une réelle énergie de passion et de volonté.
Une œuvre qui doit être appréhendée comme un tout.
Une œuvre qui a été poussée à un très haut degré de régularité et surtout de singularité, au point d’être un des projets Black Metal les plus prolifiques (ce dénouement est le 5e album depuis 2019, tout de même), mais plus encore un des plus marquants de la scène européenne au cours de ces dernières années.
Une œuvre devant laquelle les mots rendent vaine et plate la description de l’état où je me suis trouvé lors des innombrables écoutes et où je me trouve toujours aujourd’hui... Au point de me dire qu’une des seules issues possibles consistait à parcourir le roman gothique de Charles Robert Maturin, Melmoth ou l’homme errant, qui a fourni l’identité et la trame conceptuelles de cette trilogie (je vous invite à parcourir mes deux précédents chroniques à ce sujet).
Avant de rentrer plus en détail dans l’analyse de cette dernière pierre, sachez qu’Aara a pris le risque de casser cette dynamique, en sortant en octobre dernier un EP, intitulé Phthonos. Il s’agit également d’une prise de risque artistique, dans la mesure où, pour la première fois, les Suisses ont travaillé avec un producteur « extérieur », en la personne de Markus Stock (Alcest, Empyrium, Schammasch). Souhaitant avoir « une approche un peu différente de [leur] Black Metal sans perturber la cohérence de la Triade », le groupe propose avec ce deux-titres un pur concentré de Black Metal mélodique dont l’ineffaçable puissance fait face à une clarté inouïe, qui atteint son acmé sur "Phthonos II", peut-être le meilleur morceau composé par Aara jusqu'ici (son break à la 5e minute est une absolue merveille, qui fout mes tripes à l’air à chaque écoute).
Phthonos, EP 2 titres magnifique
[Pourquoi une grenouille ? Une référence à la créature perfide, envieuse et malveillante
décrite dans les Fables d’Ésope]
La cohérence est maintenue donc… D’ailleurs, Phthonos, personnification de l’Envie et de la Jalousie, est le fils de … Nyx, déesse grecque de la nuit et maitresse de l’inframonde. Comme l’illustre l’artwork de Triade III : Nyx (signé Michael Handt), la Nuit est le parfait écrin pour compléter et refermer la trilogie d’Aara. Et c’est C. R. Maturin qui nous en donne la signification profonde : « Toutes les couleurs disparaissent la nuit, et pour le désespoir il n’y a point de jour : la monotonie est son essence et sa malédiction […]. La pensée, le sentiment, la passion, et ce qui les met en œuvre, la vie et l’avenir, tout est éteint et englouti. » (Charles Robert Maturin, Melmoth ou l’homme errant, t. 3, Paris, Librairie Hubert (trad. Jean Cohen), 1821, p. 37).
La nuit et l’obscurité sont les alliées fidèles de Melmoth, spécialement à la fin du roman (à laquelle Nyx fait référence), lorsque le héro accomplit le voyage souterrain dans les caveaux d’un couvent duquel il tente de s’enfuir (est-ce ses cloches que nous entendons sur "Edo et Edam" ?) ou se trouve captif de la prison de l’Inquisition. Il est normal que l’une et l’autre également le soit de ce dernier volet. Dès les premières secondes ambiancées à souhait du magistral "Heimgesucht", dont l’intro à la guitare a été réalisée comme pour les deux premiers volets par Jonny Warren (Kuyashii), comparse de Berg dans Modern Rites, on est pris dans les vapeurs malsaines de ce Black Metal de très haute volée. Dans la parfaite continuité des deux autres long-format, chaque morceau est fumant d’une féroce volupté : une guitare toujours aussi caractéristique, classieuse et haut-perchée, une batterie agile, convulsive et organique (davantage poussée – je trouve – dans le mix final que précédemment), et bien sûr un chant déchiré et déchirant. Je sais fort bien que la voix en rebute(ra) plus d’un, au point que certains s’en agaceront ou s’épuiseront à vouloir aller au-delà de ce mur monotone certes, mais émotionnel, bâti par les imprécations vocales de Fluss. Mais cette texture d’un autre monde, parfois accompagnées de chœurs ("Unstern", "Des Wanderers Traum"), me semble indispensable pour se laisser assaillir par ce Black Metal à la fois menaçant et éclatant, au riffing tempétueux, ce BM magnifique d’expressivité, d’intelligence, d’« énergie sauvage ».
De la « véhémence », rien que de la « véhémence » … Mais pouvait-il en être autrement, étant donné les tourments intérieurs de Melmoth, constamment en « communication avec le malin esprit » ? « Quand les âmes sévères cèdent à une émotion quelconque, elles le font avec une véhémence inconcevable, car tout est pour elles un devoir, et même la passion quand l’occasion s’en présente. » (op. cit., p. 24). Le « voile d’ombres et de noirceur » est épais, étouffant sur "Heimgesucht" (6e minute) ou sur "Des Wanderers Traum" (5e mn), et pourtant Aara est parvenu à associer avec une sensibilité et un trouble communicatifs « le contraste de cette obscurité avec l’éclat de la lumière ». Ce face-à-face est au cœur des créations de Berg et ce Nyx en administre à nouveau la preuve avec brio, que ses instants plus respirables et lumineux interviennent particulièrement en début ("Moribunda", intense passage également à partir de la 6e mn) ou à la fin des titres ("Emphase der Seelenpein", "Des Wanderers Traum").
Et voilà… La Triade d’Aara s’achève sur un dernier volet majestueux, entre classe et puissance, intégrité et virtuosité. Vous allez sans nul doute me trouver enflammé d’enthousiasmes. Et vous savez quoi : vous avez parfaitement raison ! Il faut savoir lâcher prise par moment : « Je confesse volontiers une soumission volontaire » reconnait face à ses Inquisiteurs Melmoth l’apostat, en parlant des maux démoniaques et des turpitudes morales qui le traversent. Pour ma part, quand une telle musique agit de cette manière sur moi, c’est avec une joie non feinte et un plaisir non dissimulé que j’accepte de lui abandonner toute réserve.
5 COMMENTAIRES
Thedukilla le 03/04/2023 à 19:19:08
Chaque opus de cette trilogie fait partie de mes albums de chevet de ces dernières années, au même titre que l’Hymn to the Woeful Hearts de Pure Wrath, le Sisyphus de Leitha, ou le Bloem de Fluisteraars.
Et vu le nombre d’autres albums que je viens d’écarter pour me limiter à trois, on peut dire que le Black Metal dans ce qu’il a de plus puissant et émotionnellement éclatant se porte très bien.
Rien de moins trve que d’être enthousiaste mais putain que ça fait du bien de voir que c’est partagé !
Seisachtheion le 04/04/2023 à 09:09:24
Merci @Thedukilla pour ces mots qui résonnent... Des mots semblables ont justement été employés par moi quand il a fallu défendre ma proposition de groupe du mois pour Aara auprès de la Team Coreandco. Alors même que l'attrait pour ce BM n'est pas forcément partagé, les Teamers ont accepté de faire un pas de côté. Merci à eux...
Pingouins le 04/04/2023 à 10:33:10
Un chouette album en effet, même si je n'ai pas écouté les deux précédents.
Xuaterc le 04/04/2023 à 10:33:27
De la bien belle ouvrage, et je parle du disque, de la trilogie et de la chro
AdicTo le 04/04/2023 à 11:05:40
Plus je l’écoute et plus j’ai envie de l’écouter. Je le préfère encore au précédent. Petit bijou :)
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