Aara - En Ergô Einai

Chronique CD album (33:49)

chronique Aara - En Ergô Einai

Après Schammasch et Enoid, je remets le nez dans la scène Black Metal helvétique avec Aara. Actif depuis un peu plus de deux ans, cette formation est en fait à l’origine un binôme avec le multi-instrumentiste Berg et la chanteuse/parolière Fluss. Un batteur, nommé J, vient tout récemment d’étoffer le line-up. Deux ans, un EP, deux albums, le premier So Fallen Alle Tempel chez Naturmacht Productions, le second En Ergô Einaï chez Debemur Morti, voilà une trajectoire pleine d’efficacité et de promesse. Ça commence fort !

 

Berg et Fluss se veulent les parangons d’un Black Metal « non conventionnel » par l’élégance, l’esthétisme et l’émotion dégagés par leur musique. Aussi ont-ils choisi pour leur dernière création de puiser leurs sources d’inspiration dans l’Europe du 18ème siècle. L’idée défendue est de placer l’auditeur dans les pas d’un érudit au temps des Lumières, ce siècle caractérisé par sa quête de sens, de connaissances et d’autonomie de la pensée, par l’exaltation de la curiosité, de l’esprit critique et de l’entendement. Mais alors, comment draper toutes ces belles intentions dans une musique telle que la Black Metal ? En fait, les Suisses comptent sur l’alternance d’ambiances et de vitesses qu’autorise le Black atmosphérique et mélodique pour mettre en exergue les lignes de partage existant alors entre l’Ancien Temps, vitupéré par les Lumières pour ses présupposés et son immobilisme, et le Nouveau Temps, mu par sa foi inébranlable dans le pouvoir de l’expérience et de la recherche.

 

Et cela débute dès les premières secondes éthérées que l’on doit à Vindsval (Blut Aus Nord, Yeruselem), dont le jeu est aisément identifiable, présent ici comme un cadeau, pour célébrer d’une certaine manière l’entrée récente des Suisses dans le roster de Debemur Morti. L’instrumentation acoustique associée au synthé crée cependant une drôle d’ambiance qui dénote en fait en peu trop de la suite de l’album. Étrange. À moins qu’il s’agisse d’apposer au début de ce En Ergô Einaï un voile brumeux de rêveries et d’illusions, celui-là même que les savants et penseurs du XVIIIe siècle voulaient déchirer.

 

Un peu frustré par les dimensions de ce travail – cinq morceaux, 33 minutes, c’est un peu chiche –, je m’attendais pour être tout à fait honnête à plus d’investissement et de prises de risque. Le dernier Schammasch, par exemple, rendait davantage hommage, malgré ses nombreux défauts, à cette recherche de limites, de frontières. Or, que sont les Lumières, si ce n’est des personnes qui, la raison chevillée au corps et ennemies de l’inné, entendent tout examiner, tout remuer sans ménagement et, au passage, renverser quelques barrières ?

 

Justement, pas assez de barrières sont ici abattues en dépit de la grande qualité de la production, de la force de la prestation de la chanteuse et de la finesse déployée dans l’écriture des mélodies ("Arkanum", "Aargesang (Aare II)"). Et le problème se pose d’autant plus que les titres de So Fallen Alle Tempel, leur orchestration, leur ambiance théâtrale, m’avaient sans doute davantage convaincu… En comparaison, "Stein auf Stein" paraît bien trop académique, bien trop sage. Seul l’excellent dernier morceau "Telôs", qui commence superbement avec ses chants légers et pourtant habités, rend réellement hommage aux intentions affichées d’emblée par Berg et Fluss. Là, les tensions entre les Anciens et les Modernes sont enfin palpables. Quel souffle ! Certainement la voie à suivre pour les prochaines années…

 

Je fais certainement la fine bouche, étant donné la jeunesse de cette formation : il aurait suffi de quelques engagements supplémentaires, spécialement dans l’orchestration qui aurait pu être plus triomphante, pour que cet album En Ergô Einai devienne l’étendard d’un Black Metal non seulement épique et expressif, mais plus encore exalté et … éclairé. Un amer rayonnant dans l’obscurité.

 

Ces Suisses souhaiteront ardemment s’en rapprocher à l’occasion de leur prochaine offrande. Ils annoncent d’ailleurs déjà la couleur : la création d’une trilogie intitulée Triade – leurs compatriotes de Schammasch s’y étaient déjà attelés en 2016 au sein d’un seul et même album, Triangle – dont l’objectif sera ni plus ni moins de « pousser les limites d’un Black Metal par trop conservateur ». Nous verrons bien…

 

… Et assez rapidement à première vue, car la première étape, Eos, est déjà prévue pour le 19 mars 2021 ! Pour en avoir déjà écouté un morceau -"Naufragus" -, si (et seulement si) ce dernier donne le ton  de l'ensemble, cela augure d'une sortie Black marquante. 

photo de Seisachtheion
le 12/01/2021

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